Guy Brousseau, créateur de l’inaltérable Théorie des Situations

Le chercheur Guy Brousseau est à l’origine de la théorie la plus fondamentale en didactique des mathématiques : la TSD, Théorie des Situations Didactiques. En effet cette théorie essentielle analyse de façon détaillée les rapports entre les situations de recherche proposées aux élèves (et adaptées au niveau concerné), leurs productions, leur compréhension des notions, et les concepts mathématiques en jeu.

Guy Brousseau a développé cette théorie avec des expérimentations au niveau du primaire ; il a dirigé ma thèse, et j’ai adapté la notion de situation adidactique pour qu’elle soit praticable au niveau secondaire puis supérieur. Cela devient, comme le dit Alain Mercier, une situation à dimension adidactique. Aux niveaux secondaire et supérieur, la construction de situations nécessite aussi une analyse sémiotique plus élaborée des symboles en jeu, ce qui a conduit à l’utilisation de la sémiotique peircienne. Avec Patrick Gibel, nous avons continué à travailler ces méthodes.

La didactique des mathématiques a donc été initiée par Guy Brousseau au niveau de l’enseignement primaire : le travail théorique très consistant de l’auteur et des chercheurs du domaine a produit des situations, et étudié leur mise en œuvre dans des classes avec les productions des élèves et la gestion de la situation par le professeur (Brousseau, 1986). La TSD, élaborée dans ce contexte, promeut l’enseignement des notions fondamentales des mathématiques, à un niveau donné, par des situations adéquates favorisant des phases significatives de recherche par les élèves. La base des théories didactiques est la recherche sur les savoirs, leur enseignement, leur apprentissage ; dans la TSD cela comprend, après la construction des situations mises en œuvre dans les classes, des analyses qualitatives des situations et du travail des élèves. Il y a donc un focus sur les thèmes mathématiques, leurs difficultés, les obstacles et le processus d’apprentissage.

Ainsi que nous le disons dans Bloch & Gibel (2024), pour construire une situation, le chercheur doit se poser la question de la nature du savoir visé, et des moyens d’atteinte de ce savoir. La TSD considère le savoir mathématique dans son ontologie mais se fixe comme but de construire d’abord une forme pragmatique de ce savoir, sans exigence de formalisme. Dit autrement, la situation construite doit d’abord conduire les élèves à un usage matérialiste des outils de ce savoir, en se posant des questions, en calculant pour résoudre le problème posé.

Les modèles que l’on construit dans la TSD fonctionnent comme des outils pour répondre à des questions essentielles : comment analyse-t-on les difficultés inhérentes à l’enseignement et l’apprentissage d’un signe et d’un concept mathématique ? Qu’est-ce qu’une situation adaptée à l’enseignement de ce concept, pour que les élèves n’aient pas seulement des injonctions à apprendre par cœur ? Quels sont les phénomènes didactiques ? Comment les observe-t-on et peut-on en rendre compte ? Et comment les élèves accèdent-ils à la compréhension d’un concept et de son utilité dans la résolution de problèmes ?

M. Legrand (1996) remarque que, parfois, une situation fondamentale d’un savoir peut déstabiliser certains élèves : c’est pourquoi il est essentiel que la présentation des situations soit motivante pour les élèves et les conduise à se poser des questions pertinentes. Selon C. Margolinas (1993, p. 150) :
Ainsi la situation fondamentale :

  • est une situation d’apprentissage d’une connaissance qui relève d’un concept donné ;
  • fournit une métaphore durable capable de donner du sens aux différents aspects de ce concept, tant « savants » que technologiques ou culturels.

Rappelons qu’une métaphore est une incarnation concrète, dans un exemple, d’un concept abstrait ; cette concrétisation, même partielle, permet donc bien de comprendre les significations et les utilisations de ce concept. Ainsi l’expérimentation de situations permet d’éclairer le sens que les élèves peuvent attribuer au concept.

Notons que le champ de la didactique des mathématiques, et en particulier la TSD, a évolué depuis les premières recherches : du niveau primaire au secondaire et supérieur, et par la mise en évidence de l’importance des signes et des ostensifs, ce dernier terme étant utilisé dans la TAD (Théorie Anthropologique du Didactique). En effet les savoirs mathématiques en jeu dès le secondaire comportent davantage de signes formels et de théorèmes : de l’algèbre dès le collège, et des fonctions puis des dérivées, intégrales… à partir de la classe de Seconde. Donc les situations mises en œuvre à ce niveau doivent intégrer ces éléments théoriques des mathématiques, et l’objectif d’une situation doit être de partir d’un problème du bon niveau et conclure sur le concept visé, exprimé dans les termes et symboles mathématiques adéquats.

Les situations adidactiques du primaire supposent que l’élève travaille seul, ou en groupe avec d’autres élèves, mais que l’enseignant les laisse chercher librement et ne fasse une synthèse de ce qu’il veut enseigner qu’après que les élèves aient proposé leur propre solution (plus ou moins correcte). Lorsque que les situations sont construites au niveau du secondaire, et du supérieur, elles ne doivent pas être laissées aussi ouvertes : une raison en est que les élèves n’ont pas tous les outils pour résoudre le problème et l’exprimer de façon experte avec les signes mathématiques définitifs de la théorie en jeu ; et une raison institutionnelle est que le temps disponible est moins important. En effet les situations proposées au niveau concerné durent deux ou trois séances, et ensuite l’institutionnalisation du savoir et la désignation des concepts doivent être effectuées par l’enseignant. Les étudiants ont ensuite accès aux problèmes classiques de la théorie introduite dans la situation, et doivent étendre le savoir qui a été saisi à ces problèmes et à la fonction des concepts.

Je veux enfin saluer Guy Brousseau pour son extrême compétence scientifique ; sa femme Nadine et lui m’ont accueillie à Bordeaux lors de mon travail de thèse ; je suis allée avec lui à Pampelune présenter ce travail de thèse. Merci à Guy pour cet énorme travail de construction théorique, et pour son soutien aux chercheuses et chercheurs. La TSD a prouvé son excellente efficacité pour analyser l’enseignement des mathématiques, et bien sûr pour construire des situations permettant aux étudiants de comprendre les concepts mathématiques.

 

Bibliographie

  • Construction de modèles en didactique. L’exemple de la TSD et des études sémiotiques.
    Bloch I., & Gibel P. (2024). Revue Caminhos da Educaçao Matematica, Instituto Federal de Sergipe, Brasil.
  • Fondements et méthodes de la didactique des mathématiques.
    Brousseau, G. (1986). Recherches en Didactique des Mathématiques, 7(2), p. 33-115
  • La problématique des situations fondamentales.
    Legrand, M. (1996). Recherches en Didactique des Mathématiques, 16(2), p. 221-279.
  • De l’importance du vrai et du faux dans la classe de mathématiques.
    Margolinas, C. (1993). Éd. La Pensée Sauvage.

 

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