Bulletin Vert n°515
septembre — octobre 2015
Amour et maths
par Edward Frenkel
Traduit de l’anglais par Olivier Courcelle
Flammarion, 2015
368 pages en 15,5 × 23,5, prix : 23,90€, ISBN : 978-2-0813-4419-8
Un chercheur de tout premier plan, d’origine russe, enseignant à l’Université de Californie-Berkeley, nous livre son autobiographie professionnelle : débuts rendus difficiles par l’antisémitisme qui régnait en URSS ; choix d’un domaine de recherche spécifique : le programme de Langlands, avec description des résultats antérieurs et de ses propres apports ; amour immodéré des mathématiques pures et de leur beauté, mais aussi de leurs liens étroits avec la physique quantique. Cet amour est symbolisé par un film, « Rites d’amour et de maths », qu’il conçut à Paris, où l’on voit un mathématicien tatouer la « formule de l’amour » sur le corps de sa compagne.
L’ouvrage comporte une Préface, des Conseils au lecteur, dix-huit chapitres assez courts, un Épilogue, 42 pages de notes, un Glossaire, un Index.
Chaque chapitre comporte des éléments biographiques, mais qui très vite dérivent vers des contenus mathématiques, au fur et à mesure que l’auteur les découvre et les utilise, voire les crée. Frenkel s’attache à donner vie aux notions rencontrées, à en créer une image mentale ; il est guidé par la notion d’analogie ; son point de vue est strictement néoplatonicien : pour lui, le monde mathématique a une existence objective et éternelle, indépendante de l’homme. Les définitions formelles, les démonstrations rigoureuses, sont tantôt omises, tantôt reportées en notes ; néanmoins, après cette lecture, on a le sentiment d’un début de familiarité avec des notions telles que : groupes de Galois, groupes de tresses, surfaces de Riemann et leurs groupes fondamentaux, groupes et algèbres de Lie, faisceaux, dualité quantique, théories de jauge, théories des cordes et des supercordes, … Le programme de Langlands est présenté comme une grande théorie d’unification des mathématiques, qui recherche une mystérieuse structure sous-jacente à toutes les mathématiques, expliquant les régularités similaires observées dans des champs différents : théorie des nombres, courbes sur les corps finis, surfaces de Riemann, physique quantique. La « pierre de Rosette » qui permet les passages d’un domaine à l’autre est constituée des travaux d’André Weil, complétés par le « dictionnaire faisceaux-fonctions » d’Alexandre Grothendieck.
Ce livre, qui a obtenu le Prix Euler 2015, n’est certes pas un cours, il ne permettrait pas de préparer une épreuve d’examen ou de concours portant sur les sujets abordés ; pourtant il va plus loin que la vulgarisation, il est un modèle d’apport de culture mathématique ; on en sort enrichi, avec l’impression d’être plus intelligent. Il est aussi un témoignage plein de vie sur la pratique de la recherche mathématique, où l’on rencontre des personnages attachants : Gelfand, Fuchs, Lenglands, Drinfeld, Feigin, Witten, …
L’un de ses rares et minimes défauts est lié à la volonté de s’adresser à un public le plus large possible : la présentation détaillée de choses élémentaires, telles l’addition des angles modulo 360°, sera jugée superflue par la plupart des lecteurs du BV. Une autre imperfection est un certain flou dans le vocabulaire, peut-être lié à la traduction : on peut être surpris de trouver dans le groupe des symétries du carré quatre rotations, mais pas de symétrie axiale ! Il faut dans le contexte comprendre « symétrie » comme « isométrie positive ».
En conclusion, je recommande chaudement cette lecture passionnante, (relativement) facile, et grandement enrichissante.