JN 1984 — Sophia-Antipolis

Le discours d’ouverture
du président de l’APMEP

Pascal Monsellier,
président de l’APMEP

 

 

Cela fait vingt ans que le système éducatif français connaît de profondes mutations. Mais ces changements, que nous avons pour certains d’entre eux précédés, souhaités et accompagnés, n’ont pas suffi pour construire un instrument apte à répondre aux besoins de l’heure. Ce système se révèle encore inadapté aux classes d’âge de plus en plus nombreuses qui le fréquentent à un niveau de plus en plus élevé. Manquant de souplesse, il ne peut faire face avec rapidité aux mutations considérables des techniques et de l’économie, comme par exemple la chute brutale des offres d’emploi de niveau V (CAP ... etc) ou les besoins beaucoup plus importants de bacheliers scientifiques.

Ces dernières années, la publication de rapporte importants (Legrand, Prost, Soubré ...) a été suivie avec attention par les enseignants, et par ceux de l’APMEP en particulier. Mon propos n’est pas de donner mon avis sur ces documents qui n’ont pas de valeur réglementaire et dont les Ministres n’ont repris que certains (voire aucun) aspects, mais de souligner l’importance l’importance de ces rapports, quelle que soit la pertinence ou la valeur de certaines de leurs propositions, car ils ont opéré une analyse de notre enseignement, non pas à travers la vision idéale d’une école théorique. mais à partir de la réalité statistique du système scolaire français dans toute sa diversité et des attentes de la société à son égard. Les débats auxquels ces rapports ont donné lieu ont révélé que de nombreux enseignants n’avaient pas attendu une autorisation du Ministère pour engager une action de rénovation.

L’APMEP et l’innovation

Ces professeurs qui ont inscrit dans leur métier l’adaptation au monde contemporain, on en trouve beaucoup dans les associations d’enseignants, et à l’APMEP en particulier. L’innovation n’est pas pour nous une nouveauté et, sans remonter au début du siècle (l’APMEP a été fondée en 1909, et nous fêtons cette année ses 75 ans !), je citerai deux thèmes que nous avons longuement défendus et qui nous sont toujours chers.

  • 1. Il y a vingt ans, lorsqu’il parut inéluctable que l’enseignement des mathématiques dût évoluer rapidement, alors que le Ministère de l’Education Nationale ignorait que le terme même de « formation continue » put exister, c’est l’APMEP qui a milité pour la formation des lREM qui les a fait vivre avant leur fondation officielle à travers les Chantiers mathématiques, qui a obtenu leur création à partir de 1968, et ce sont les militants de l’APMEP qui ont en grande partie fait vivre ces instituts pendant plusieurs années.
     
    Les lREM sont un peu oubliés ces temps-ci, et leur avenir parait sombre. Les résultats qu’ils ont obtenus ont été sans doute inégaux, mais ils ont accumulé une somme d’expériences et de résultats irremplaçables, et inégalés. Leur principe de base, qui mêle étroitement recherche sur l’enseignement et formation des enseignante, a créé un modèle de formation original et innovateur, qu’on aimerait voir mieux pris en compte : dans les modèles actuels de certaines Missions à la Formation continue OU dans les Instituts de formation des maitres en gestation.
  • 2. Il y a douze ans, dans"sa Charte de Caen, l’APMEP montrait que l’innovation ne se décrète pas, mais que c’est un lent processus qui, mettant en interaction tous les partenaires du système éducatif, nécessite du temps et beaucoup de travail. Nous disions dès cette époque qu’il était utopique de rénover globalement le système éducatif, ou même tout un établissement scolaire et qu’il était urgent, dans tout collège ou lycée qui en ferait la demande, de créer un « secteur—innovation » qui regrouperait tous ceux qui souhaitent vivre une rénovation collectivement assumée sans contraindre ceux qui préfèrent rester dans la tradition. Pour nous, le « secteur innovation » n’est pas un ghetto bien pensant s’opposant à un secteur traditionnel conservateur ; c’est une proposition réaliste qui permettrait les évolutions nécessaires en évitant les contraintes et en tenant compte de l’extrême diversité des partenaires. La manière dont fonctionnent certains collèges en « rénovation » montre qu’on aurait pu, en acceptant notre proposition de « secteur-innovation »,éviter un gaspillage énorme : décréter la rénovation d’un collège à une faible majorité s’est avérée parfois une opération dangereuse.

Si j’ai rappelé ces deux exemples, c’est pour montrer que, pour l’APMEP, l’innovation n’est pas le dernier gadget à la mode, mais une démarche qui va de pair avec une analyse approfondie et un vécu réel des problèmes de l’enseignement.

Dans sa tête dans sa classe dans son établissement

Innover donc, non pas par goût instable du changement permanent, mais parce que pour remplir sa mission, l’Education Nationale doit se transformer tous les jours et adapter ses moyens et ses fins aux besoins et aux demandes du pays.

Innover dans sa tête

Nous sommes nombreux à réclamer les mutations institutionnelles indispensables à une adaptation réelle du système éducatif à notre temps. Mais nous savons que ces mutations, à elles seules, ne suffisent pas pour apporter des transformations décisives. L’innovation ne se décrète pas, d’en haut, pour les autres. Elle se vit, ou se refuse, dans des communautés éducatives qui s’adaptent au milieu qui est le leur, et trouvent des solutions qui leur conviennent. La transformation des structures doit s’accompagner, éventuellement être précédée, d’un choix clair de ceux qui y sont appliqués.

Celui qui innove, nous le savons, renonce à une partie de sa tranquillité, à une peu de son temps libre et, dans certains cas à quelques unes de ses certitudes. Il ne peut le faire que si cela correspond à une démarche personnelle et à un besoin profond basé sur une analyse qui lui est propre. Cela prend du temps, mais nous sommes convaincus qu’une innovation, une rénovation réussie ne peut passer que par une prise de conscience collective, au sein des équipes d’enseignement, et individuelle.

Innover dans sa classe

À l’heure où la société nous demande d’accueillir davantage d’élèves de chaque tranche d’âge, de maintenir dans le système scolaire des élèves qui, il y a quelques années, en auraient été rejetés, et de former toujours davantage de scientifiques, il nous faut absolument trouver dans nos classes les réponses pédagogiques et didactiques. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés n’existaient pas hier sous la forme dans laquelle ils se posent. Demain, le bouleversement technologique de notre société risque de rendre davantage obsolètes la majorité des approches culturelles et pédagogiques que nous avons connues. Les solutions qui pourront être apportées ne viendront pas d’autre part, dans les textes duMinistère ou dans le Bulletin national de l’APMEP. Il faudra les trouver par nous-mêmes, dans nos classes, dans nos réflexions et nos recherches.

Innover dans son établissement

Notre métier change à grande vitesse. Nous sommes rentrés, pour beaucoup d’entre nous, dans une profession quasi-libérale où l’individualisme était la règle et les solutions invariables depuis des années. Nous nous voyons confier une mission où le travail en équipes, au sein de notre matière et avec les autres disciplines, sera de plus en plus une nécessité. De plus, un établissement scolaire sera demain très différent de ce qu’il était hier. Ce n’est pas un souhait, c’est un constat ; il serait grand temps qu’on s’en aperçoive. Nous attendons depuis bientôt deux ans et demi qu’un réflexion s’engage à la suite du rapport Soubré. La décentralisation et la démocratisation des institutions scolaires ont besoin, elles aussi, d’une très profonde rénovation.

Je terminerai par l’affirmation d’une conviction personnelle.

En France, l’éducation est toujours décrite comme une institution très centralisée.

Mais l’innovation se centralise mal. S’il faut bien entendu que chacun respecte les règles nationales et que l’État reste le garant de l’égalité républicaine de chacun devant l’éducation, c’est à chaque communauté scolaire de conquérir des espaces de liberté qui lui soient propres en trouvant à chaque fois, avec tous les partenaires de l’école, les réponses qui conviennent.

La tenue de ces journées montre bien que l’APMEP est au rendez-vous de cette mutation.

 

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