Bulletin Vert no 461
novembre — décembre 2005

Histoires de probabilités et de statistiques

coordonné par Évelyne Barbin et Jean-Pierre Lamarche,

Ellipses, août 2004, 296 p.

ISBN 2-7298-1923-1

 

Ce livre est né d’un colloque organisé à Orléans en juin 2002 par la commission inter-IREM d’Épistémologie et d’Histoire des Mathématiques, ayant réuni 150 participants, enseignants du secondaire et du supérieur. Les diverses contributions sont réparties en cinq parties.

La première, Histoires de chances et de hasards, comporte trois articles. Dans le premier, Norbert Meusnier exhibe deux textes extraits d’arithmétiques commerciales du XVIe siècle qui donnent, 150 ans avant Pascal, une solution conforme à la sienne du problème des partis, l’un pour deux joueurs et l’autre pour trois et l’auteur imagine une source arabo-musulmane à découvrir. Dans le second, Denis Lanier et Didier Trotoux étudient le cinquième exercice proposé par Huygens en 1654 dans De rationiciis in ludo aleae et les solutions de Montmort, Jacques Bernoulli, de Moivre et Euler. Dans le troisième, Jean-Pierre Cléro, partant de l’Essai en vue de résoudre un problème de la doctrine des chances de Thomas Bayes (publié en 1763, deux ans après sa mort par les soins de Richard Price), précise le projet de Bayes puis l’interprétation physique de sa règle, son utilisation en sciences sociales et ses aspects philosophiques.

La deuxième partie, Histoire de décisions comporte deux textes. Dans le premier, Bernard Parzysz raconte le débat dans une correspondance de 1669 entre Christian Huygens et son frère Louis à propos de problèmes démographiques posés à partir des tables de mortalité publiées sept ans plus tôt par John Graunt. Cette controverse les oblige l’un et l’autre à reprendre et préciser leur pensée et montre le rôle stimulant de la confrontation des idées dans l’émergence de concepts tels que l’espérance de vie, la durée de vie probable, la moyenne arithmétique et la médiane. Dans le deuxième, Henry Plane, Frédéric Métin et Patrick Guyot examinent diverse tables de la fin du XVIIe : de natalité, de mortalité, construites et développées par Graunt, N. Bernoulli, Halley, Buffon, Euler ; autant de documents utilisables dès le collège avec des professeurs d’histoire et géographie.

La troisième partie Histoire de rencontres des probabilités et des statistiques comporte trois contributions. Michel Henry détaille la démonstration par Jacques Bernoulli de son théorème : après avoir rappelé la notion de probabilité avant Bernoulli (Galilée, Pacioli, Cardan, puis Pascal, Fermat et Huygens, Leibniz et Montmort), il aborde l’Ars conjectandi (1713) et ses quatre parties. C’est dans la quatrième que se trouve une démonstration de ce qui deviendra la loi faible des grands nombres. Cette démonstration repose sur une analyse fine du rapport de deux coefficients binomiaux consécutifs suivie d’une bonne majoration des éléments de « queue ».
Michel Henry rappelle pour conclure la démonstration plus récente à partir de l’inégalité de Tchebychev. Michel Armatte présente ensuite la théorie des erreurs telle qu’elle s’est développée de 1750 à 1820, ses enjeux, ses problématiques et ses résultats. L’article aborde successivement l’erreur astronomique, l’erreur géodésique, la combinaison des observations et le milieu d’erreur, le cas des observations indirectes, la synthèse de Gauss et Laplace et la mise à l’épreuve de 1820 à 1940 avec la remise en question de l’omniprésence du modèle normal. Martin Zerner montre comment une statistique théorique s’est constituée en discipline entre 1922 et l’article de R. Fisher On the mathematical foundations of theoretical statistics et 1951, date de parution à Princeton du livre de H. Cramer Mathematical Methods of Statistics. Il parcourt successivement l’état des lieux (Galton, Weldon, K. Pearson), la structure du livre de Cramer, les concepts d’expérience aléatoire et de variables aléatoires, les fonctions des données comme variables aléatoires, la critique de la probabilité inverse, l’évolution de la conception des probabilités et conclut que l’approfondissement des concepts est plus important pour les applications des mathématiques que n’importe quelle technique.

La quatrième partie revient sur la probabilité des causes. Elle commence par un article de Michèle Villetard Tainmont et Joëlle Delattre consacré à la controverse antique sur les futurs contingents. Cette controverse a pris naissance en Grèce autour de la question « est-il possible de déterminer la valeur de vérité d’un énoncé portant sur un futur singulier ? » ; l’article examine successivement les textes d’Aristote, puis ceux des stoïciens et des épicuriens et ce qu’en dit Cicéron. La contribution de Jean-Pierre Lubet part à la découverte de la Théorie analytique des probabilités de Laplace, examinant successivement les textes relatifs à la probabilité des causes, aux fonctions génératrices appliquées ici à la solution du problème des parties, et au théorème central limite. Thierry Martin étudie les apports de Cournot tant à la statistique comme science qu’aux difficultés de les appliquer à des phénomènes sociaux.

La cinquième partie consacrée à l’Histoire de l’enseignement des probabilités et de la statistique concerne plus directement les membres de l’APMEP ; Norbert Meusnier donne une vaste fresque de cet enseignement en France de 1786 à 2002 :

  • 1770-1840 : le volontarisme de Condorcet- Laplace-Poisson : un enseignement incertain et épisodique.
  • 1816-1919 : l’X c’est presque tout : Lacroix, Arago, Liouville, Sturm, Bertrand, Lévy, …
  • 1914-1960 : la Tribu des Boréliens : Bachelier, Borel et l’IHP, Fréchet, G. Darmois et l’ISUP, Doeblin, Ville, Fortet, Dugué, …
  • 1945-1971 : la Tribu des Bourbakis : des points de vue inconciliables sur l’intégration (De Possel, Weil, Chevalley, Dieudonné, Schwartz, …).
  • 1971-2002 : l’enseignement des masses et sa diffusion à travers l’évolution des programmes.

Cette fresque se focalise sur quelques points importants et mériterait quelques compléments sur le rôle des Irems et de leur commission Statistique et Probabilités, sur celui de l’APMEP et de ses brochures, sur celui des autres pays en particulier anglo-saxons et sur leur influence par l’intermédiaire des congrès internationaux. Elle constituera une référence sur un sujet encore peu exploré, si l’on excepte les travaux de Bernard Bru, Pierre Crépel et Bernard Courtebras. Enfin, Éric Butz propose un scénario d’introduction historique au calcul des probabilités, suggérant des activités à partir de textes anciens scientifiques et philosophiques disponibles sur le site de l’IUFM de la Réunion, permettant la construction de savoirs mathématiques associés au calcul des probabilités à travers une initiation à la recherche scientifique.

Un ouvrage agréable à lire par la variété de ses articles et sa bonne présentation, apportant des informations nouvelles et des réponses originales sur des questions anciennes mais fondamentales pour les élèves et les enseignants d’aujourd’hui.

 

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