Bulletin Vert n°507
janvier — février 2014

Jusqu’à ce que l’algèbre nous sépare La théorie des groupes et ses applications

par Javier Fresán
préface de Julien Melleray

Collection Le monde est mathématique — 2013
Édition réalisée avec le soutien de l’IHP
en collaboration avec Images des Maths
144 pages en 16 × 23, ISBN : 978-2-8237-0129-6

 

Nos lecteurs connaissent sans doute cette collection de 40 ouvrages vendus en kiosque.

Le présent opus (n° 31) prend la forme d’un dialogue imaginaire, post mortem, entre le mathématicien André Weil, cofondateur de Bourbaki, érudit polyglotte, et Claude Lévi- Strauss, ethnologue, qui introduisit le structuralisme dans sa discipline, auteur de Tristes tropiques, mais aussi (entre autres) des Structures élémentaires de la parenté. Tous deux, d’origine juive, s’étaient réfugiés à New York pour fuir le nazisme. Le second eut recours au premier pour l’aider à démêler les règles du mariage dans certaines tribus australiennes, et André Weil trouva une réponse dans la théorie des groupes. Javier Fresán précise que « hormis de rares exceptions, les propos des protagonistes sont tirés de la bibliographie  », et utilise ces échanges pour exposer l’essentiel de la théorie des groupes.

L’ouvrage comporte une introduction, six chapitres, une annexe, une bibliographie et un index.

  • Chapitre 1 : Les années Bourbaki
    présentation des origines familiales et brève biographie de Weil ; historique de la création de Bourbaki, groupe qui voulait « mettre l’axiomatique au service de l’idéologie des structures ». Le lecteur curieux pourra trouver des détails dans la Correspondance entre Henri Cartan et André Weil, recensée dans le BV n° 502, p. 117.
  • Chapitre 2 : Les structures élémentaires
    biographie de Lévi-Strauss, historique de la science ethnographique, avec aussi des compléments sur Weil et les bourbakistes, réflexions sur le processus créatif en art et en sciences.
  • Chapitre 3 : une histoire de groupes
    définitions et propriétés basiques de la théorie, avec démonstrations ; exemples classiques.
  • Chapitre 4 : Mariages algébriques
    certaines tribus ont des règles extrêmement compliquées quant à l’appartenance de l’homme, de son épouse et de leurs enfants à différents clans ; Weil parvient à les traduire par une loi de groupe : étant donnés des types de mariages $M_i$ (un homme de tel clan épouse un femme de tel autre clan), il appelle respectivement $f(M_i$) et $g(M_i)$ les types de mariage du fils et de la fille issus de ce mariage, et considère le sous-groupe, engendré par $f $ et $g$, du groupe des permutations des $M_i$. À cette occasion, il introduit des notions non vues au chapitre précédent : produit direct de groupes, groupes transitifs, …
  • Chapitre 5 : Sous le signe de Diophante
    cours d’arithmétique élémentaire, avec démonstrations, y compris équations diophantiennes, jusqu’au groupe des solutions de l’équation de Pell-Fermat ($x^2 - dy^2 = 1$) , et loi de groupe sur les courbes elliptiques ; avec une digression sur la cryptographie.
  • Chapitre 6 : La musique des sphères
    intervalles, gammes et fréquences ; application des groupes à la composition sérielle.
  • Annexe : Groupes abéliens de type fini à deux générateurs
    démonstration du théorème (utilisé au chapitre 4) qui affirme que « un groupe abélien fini engendré par deux éléments est isomorphe à un groupe cyclique ou au produit direct de deux groupes cycliques ».

Je n’étais sans doute pas le seul à avoir entendu parler d’un lien entre le structuralisme des sciences humaines et les structures mathématiques, sans avoir jamais découvert le détail de ce lien ; c’est maintenant chose faite, et c’est le principal mérite de ce bel ouvrage. Un autre est la qualité des démonstrations : claires et brèves à la fois.

Les remarques critiques sont anecdotiques : quelques différences de notations par rapport à nos habitudes, sans doute dues à la nationalité de l’auteur ; «  couple » remplacé par «  paire » ; sur les courbes elliptiques, passage « escamoté » des points réels aux points rationnels. On peut s’étonner de l’absence de définition générale des groupes-quotients, des sous-groupes distingués.

À noter, une ambiguïté quant au lectorat visé : certaines notions simples sont expliquées pas à pas, comme si on s’adressait à un lycéen, voire un collégien ; d’autres parties (dont l’annexe) sont du niveau licence. Mais, quitte à sauter les pages déjà connues ou trop ardues, chacun trouvera ici, avec jubilation, des connaissances nouvelles.

 

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