Bulletin Vert n°505
septembre — octobre 2013
Le Théâtre quantique
par Alain Connes, Danye Chéreau et Jacques Dixmier
Odile Jacob, 2013
220 pages en 14,5 × 22, prix : 20,90 €, ISBN : 978-2-7381-2983-3.x
L’un des plus prestigieux de nos mathématiciens (Collège de France, Académie des sciences, médaille Fields, …) s’est associé avec un autre mathématicien de renom et une auteure de formation littéraire pour nous concocter un curieux ouvrage.
Il est fait de quinze chapitres dont les titres sont autant de clins d’œil : la robe de Bures, Ali et les quarante milliards de neurones…
Les sept premiers nous font partager la vie d’une physicienne de haut niveau, cultivée, jeune, belle et à la vie amoureuse libre et bien remplie. Nous suivons ses déplacements des locaux du CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire), où elle travaille, aux profondeurs du LHC (Large Hadron Collider), en passant par les musées de Venise et l’IHÉS (Institut des hautes études scientifiques) de Bures-sur-Yvette. Ses recherches portent sur le Big Broson, un boson hypothétique un milliard de fois plus massif que celui de Higgs. Ses dialogues avec ses collègues et ses réflexions personnelles sont l’occasion de nous initier aux concepts de la physique quantique et à leurs prolongements philosophiques inévitables sur la nature du temps.
La deuxième partie est policière, après la mort de ladite chercheuse dans l’un des détecteurs du LHC ; le commissaire explore des pistes nombreuses : professionnelles, amoureuses, financières, et même religieuses.
Plutôt désarçonné par l’environnement, il demande des explications sur les recherches, et se voit répondre : « si vous êtes prêt à écouter, avec une attention soutenue, un cours de deux ou trois mille heures, je pourrai vous fournir un début d’explication ».
Le dénouement (chapitres 14 et 15, épilogue) prend la forme de la science-fiction, genre que Jacques Dixmier pratique parfois : la puissance des électro-aimants du LHC se conjugue avec un « réseau de neurones » informatique pour « capter la configuration matérielle d’un véritable cerveau humain » et « simuler les fonctions cérébrales les plus subtiles ».
Plein de suspense, distrayant et instructif à la fois, cet ouvrage, illustré de nombreuses photographies des lieux évoqués, se lit en une heure ou deux, mais fait réfléchir et rêver bien plus longtemps.
Son aspect de témoignage sur le travail des chercheurs n’est pas sans évoquer le « Théorème vivant » de Cédric Villani, mais ici le lecteur dispose d’un glossaire pour y chercher au moins un début de compréhension des contenus ; cependant il ne le trouvera pas sans un bagage scientifique certain : par exemple le diagramme de Feynman est défini comme « représentation graphique des termes dans le développement perturbatif d’une amplitude de diffusion » ; pas exactement un vocabulaire de vulgarisation pour tous ! quant à nous, lecteurs « matheux », nous pouvons ressentir une certaine frustration à ne lire que quelques allusions aux mathématiques sous-jacentes, en particulier la géométrie non commutative (domaine de prédilection d’Alain Connes). Mais ne boudons pas notre plaisir !