Marcel DUMONT
professeur de mathématiques
et de rêves
Ce qui importe c’est d’arracher toutes les dictatures à cette double croyance : « croire qu’on peut obliger quelqu’un à penser quand il n’en a pas envie », « croire qu’on peut l’empêcher de penser quand il en a envie » !
J’ai connu Marcel à la fin des années 80, il était déjà un vieux militant de la popularisation des mathématiques pour tous les âges. Professeur à l’école d’architecture de Rouen, il était à l’initiative et à la conception de l’exposition Horizon mathématiques.
Marcel a été professeur de mathématiques. Pour lui un enseignant devait d’abord rendre ses élèves curieux, leur faire partager le plaisir de découvrir, d’inventer par soi-même. Et surtout, par l’immense respect qu’il manifestait à l’égard des élèves, jamais il n’oubliait qu’ils étaient des enfants qui, certes, devaient apprendre, mais qui avaient aussi le droit de s’amuser. Avec raison, il pensait que les élèves ont toujours des capacités, des ressources, insoupçonnées du système éducatif et des élèves eux-mêmes.
Il a laissé un tel souvenir que, 64 ans après son départ du lycée Montaigne, des anciens élèves lui ont organisé une manifestation d’hommages.
Marcel a été durant une douzaine d’années détaché à mi-temps à l’INRP (Institut National de Recherche Pédagogique). Par la multitude d’ouvrages qu’il a écrits ou co-écrits, parfois avec Françoise Pasquis-Dumont, il a proposé, à ses collègues professeurs, de nombreuses pistes pour mettre en œuvre une pédagogie innovante. Cette production fut l’occasion de collaborations avec des didacticiens québécois. Dès la fin des années 60, il a été l’un des tout premiers à percevoir l’intérêt de l’usage en classe des nouveaux moyens de calculs pour initier les élèves à l’algorithmique.
Marcel a été aussi un militant en participant activement à la vie de l’Association des Professeurs de Mathématiques. Au cours des années 70, il en a été l’un des vice-présidents. Quand Marcel assistait à une réunion ou une conférence, aux Journées nationales ou régionales de l’APMEP, ou ailleurs, et que la parole était donnée au public, il était souvent le premier à intervenir. De sa voix passionnée, il défendait alors, avec force et détermination, ses idées et ses convictions … au risque parfois d’agacer certains.
Marcel avait une curiosité tout azimut, un enthousiasme hors du commun. Il n’hésitait jamais à nous encourager à développer de nouvelles actions pour construire un monde plus humain. Il disait aussi : Ce qui importe c’est d’arracher toutes les dictatures à cette double croyance : « croire qu’on peut obliger quelqu’un à penser quand il n’en a pas envie », « croire qu’on peut l’empêcher de penser quand il en a envie » !
Marcel était aussi un professeur de rêves, mais pas de rêves pour le simple et seul plaisir de rêver, de rêves pour agir. Il disait : « ce n’est pas la vie plus ou moins courte ou longue qui compte, ce sont les idées, les actions et les objectifs ... sans oublier les contextes affectifs sans lesquels nous ne sommes que des machines ».
Il m’a appelé par téléphone jeudi, « pour prendre des nouvelles » m’a-t-il dit. Marcel était toujours très attentif au bien-être de chacun. Il était préoccupé par les ennuis de santé de son ami, éditeur de son dernier livre paru au début de cette année. Nous nous sommes promis de nous rencontrer en mai, quand nous serons tous doublement vaccinés. On peut le dire, la concision n’était pas la première qualité de Marcel. Pour lui, nos visites à Sahurs ou au moulin vendéen étaient toujours trop courtes. Pour lui, la conversation s’arrêtait toujours trop tôt. Mais jeudi, pour la première fois, c’est lui qui prit l’initiative de la conclure, comme si le temps lui était compté.
Où que tu sois, Marcel, tu peux être rassuré, nous resterons curieux, et nous inciterons les autres à le devenir … s’ils ne le sont pas déjà. Comme toi, nous sommes persuadés que « c’est le manque d’appels à l’intelligence dont souffrent nos sociétés ».