Bulletin Vert n°488
mai — juin 2010
Mathématiciens français du XVIIe siècle Descartes, Fermat, Pascal
sous la direction de Michel Serfati et Dominique Descotes
Presses universitaires Blaise Pascal, 2008
284 pages en 14 × 21, ISBN : 978-2-84516-354-6
Ce recueil d’études est né d’un colloque organisé en 2005 par l’IREM de Paris VII et le Centre International Blaise Pascal de l’Université Clermont II. Il rassemble quatre textes consacrés à René Descartes, un à Pierre Fermat, deux à Blaise Pascal :
Constructivismes et obscurités dans la Géométrie de Descartes. Quelques remarques philosophiques, par Michel Serfati, souligne d’une part le constructivisme radical de Descartes, qui ne considère pas comme pleinement existante une courbe algébrique (pourtant introduite par son équation) tant qu’il n’a pas fourni au lecteur un mode effectif de sa construction ; d’autre part le désordre de son texte, l’absence de plan cohérent (Descartes écrit lui-même que le livre III est à lire avant le II), qui ont rendu nécessaire d’y adjoindre les Notes de Florimond de Beaune et les Commentaires de Schooten. Michel Serfati tente de pallier ce défaut en dégageant trois thèmes transverses (le problème de Pappus, la recevabilité des courbes, la construction des racines d’une équation), et de l’expliquer par le manque de temps, la stratégie du secret, le conflit entre deux critères de recevabilité.
Trends in German mathematics at the time of Descartes’ stay in southern Germany, par Ivo Schneider, dresse un état des lieux des mathématiques en Allemagne en 1619, quand le jeune Descartes (24 ans) y séjourne ; et évoque quelques uns des mathématiciens qui ont pu lui apporter : Günewald, Kepler, Bramer, Roth, Bügi, Faulhaber, …
L’imagination dans la Géométrie de Descartes : retour sur une question ouverte, par Mateus Araújo Silva, oppose l’imagination, au sens de mise en image, visualisation (fût-elle mentale), au raisonnement et au calcul, rangés dans l’intellect pur ; en un texte solidement structuré en quatre parties, l’auteur combat la thèse selon laquelle l’invention de la géométrie analytique aurait marqué le déclin de l’imagination ; pour Descartes elle reste indispensable dans la première et la dernière des trois étapes de résolution d’un problème : construction géométrique initiale, traduction et traitement algébrique, re-traduction et construction géométrique.
La règle des signes de Descartes : le long cheminement d’une imprécision, par Bruno Gagneux, ne traite pas de la règle sur laquelle transpirent nos collégiens (moins par moins donne plus, etc.), mais d’une règle majorant le nombre de racines de chaque signe, pour une équation algébrique, en fonction des alternances des signes de ses coefficients. Telle qu’exprimée par Descartes, elle cesse d’être valable si des racines sont imaginaires, ou si des coefficients sont nuls ; deux siècles passeront avant sa reformulation et sa démonstration complète par Gauss.
Dans Pierre Fermat, profil et rayonnement d’un mathématicien singulier, Maryvonne Spiesser tente une biographie forcément lacunaire (son année de naissance, l’identité de sa mère, sont incertaines) de ce « mathématicien baroque » qui n’a guère laissé de traces écrites en dehors de sa correspondance. Puis elle le définit comme fondant la science sur l’expérience, et attaché à la recherche de méthodes générales.
La pensée des ordres dans les traités sur la roulette de Pascal, par Claude Merker, analyse, « décortique » les textes de Pascal, et les traduit en notations modernes, jusqu’à rendre évident que sa « Doctrine des indivisibles » fut une préfiguration du calcul intégral. La « roulette » n’est autre que la cycloïde ; les « ordres », dans la pensée pascalienne, se déclinent continument depuis les trois ordres des corps, des esprits, de la charité jusqu’aux différents ordres des infiniment petits. L’auteur manifeste un enthousiasme communicatif pour l’oeuvre mathématique de Pascal, qui est aussi « un joyau de littérature ».
Constructions du triangle arithmétique de Pascal, par Dominique Descotes, se présente comme une description, une analyse et un éloge dithyrambique du Traité du Triangle arithmétique, petit ouvrage où on trouve le procédé de construction du triangle, puis ses applications concernant les ordres numériques, les combinaisons, les partis (problèmes à propos des jeux de hasard), et les puissances des binômes. Pour D. Descotes, le triangle est un outil de traduction, d’un domaine des mathématiques à un autre ; le traité contient « une réflexion fondamentale sur l’esprit géométrique » et « une mise en représentation de la recherche mathématique », qui « exerce autant l’esprit de finesse que l’esprit de géométrie » ; il a une valeur littéraire incontestable, de par ses enchaînements lumineux, sa recherche de la concision, et sa mise en pratique de « l’art de persuader ».
La parution de ce recueil dans une collection ordinairement consacrée à la recherche littéraire est un très bon signe quant à la reconnaissance des mathématiques comme partie intégrante de la culture universelle.
Ces textes ont en commun leur érudition, leur rigueur scientifique, leur souci permanent de citer leurs sources ; l’abondance des notes, la non-traduction des citations anglaises, italiennes, latines ou espagnoles, la présence d’un article en anglais, l’abondance des bibliographies, peuvent faire considérer ce recueil comme réservé aux spécialistes.
Mais la diversité des approches (historique, philosophique, mathématique), la clarté de la rédaction, la présence de nombreuses figures, et la proximité de certains des thèmes abordés avec les programmes actuels de l’enseignement secondaire, peuvent et doivent inciter à s’y plonger ceux de nos lecteurs qui ont quelque curiosité intellectuelle pour le passé de notre discipline.