Mathématiques en Mésopotamie
Atelier présenté par André Bonnet pour la journée de la Régionale du 13 Mai 2017.
Évolution de l’écriture des nombres
Dès l’entrée de la salle où se tenait l’atelier, un poster montrait l’évolution de l’écriture des nombres en Mésopotamie, sur deux exemples :
- une bulle-enveloppe d’époque sumérienne (- 3300 ; - 2000)
- un fragment de tablette d’époque babylonienne (- 1900 ; - 600) en écriture cunéiforme.
Le berceau de l’écriture des nombres
Le panneau de l’exposition de l’IREM, montrait une autre bulle bulle-enveloppe, découverte en 1928 — 1929 dans les ruines du palais de Nuzi (site archéologique du XVe siècle av. JC. Près de Kirkuk au sud-ouest de Mossoul, en Irak) :
Ce fut l’occasion de raconter une très jolie histoire, signalée par Geneviève Guitel (dans sa thèse : Histoire comparée des numérations écrites, 1975) et reprise par Georges Ifrah dans Histoire universelle des nombres (page 17) :
Les spécialistes n’auraient sans doute pas attaché d’importance à cette découverte si un événement imprévu ne les avait éclairés sur la fonction initiale de l’objet : « Un serviteur de l’expédition avait été envoyé au marché pour acheter des poulets ; par maladresse, lors de son retour, les poulets furent mis dans la basse-cour avant d’avoir été comptés. Or le serviteur était totalement inculte, il ne savait pas compter, il était donc incapable de dire combien de poulets avaient été achetés. On se serait donc trouvé dans l’incapacité de lui régler cet achat s’il n’avait présenté un certain nombre de cailloux, mis de côté par lui, un pour chaque poulet, expliqua-t-il. » (G. Guitel19.)
Sans le savoir, un autochtone totalement analphabète venait ainsi de reconstituer les
gestes de quelques bergers incultes qui avaient vécu trois mille cinq cents ans avant
lui sur cette terre.
Mais c’était aussi l’occasion de rappeler que la numération babylonienne était une numération de position, à base soixante de base intermédiaire dix et qu’elle n’utilisait que deux symboles (le clou et le chevron, marqués sur l’argile fraîche à l’aide de la même extrémité d’un calame tenu de deux manières différentes) pour représenter les cinquante-neuf chiffres.
La tablette YBC 7289
La tablette YBC 7289 figure aussi sur ce même panneau de l’exposition (voir ci-dessus). Elle est datée d’environ 1800 av. JC. C’est sans doute la copie d’un élève d’une école de scribe, correspondant à un exercice ayant pour énoncé : « un carré a 30 comme côté, donne sa diagonale ».
L’élève a reproduit la donnée 30 sur un côté du carré qu’il a dessiné, puis il a inscrit sur la diagonale (en écriture cunéiforme) le nombre :
$$1.24.51.10 = 1 + \dfrac{24}{60} + \dfrac{51}{60^2} + \dfrac{10}{60^3} = 1,414212963...$$
nombre qu’il connaissait par cœur et qui est une valeur approchée de racine de deux à moins de $6×10^{-7}$ près, puis il a inscrit le résultat demandé :
$$42.25.35 = 42 + \dfrac{25}{60} + \dfrac{35}{60^2} = 42,4263888889...$$
Quelle technique l’élève scribe a-t-il utilisé ? Nous ne le savons pas.
On peut en imaginer trois :
- L’utilisation des tables de multiplications par 20, 4, 50, et 10 dans la mesure où il compte obtenir le résultat en multipliant 30 par la valeur approchée de $\sqrt{2}$
- la seule utilisation de la table de 30, s’il multiplie la valeur approchée de $\sqrt{2}$ par 30.
- la division de 30 par 2.
C’est vraisemblablement la troisième hypothèse qui est la bonne ; car c’est beaucoup plus facile et on sait, de plus, que cette pratique était courante, de nombreuses tables d’inverses ayant été trouvées par les archéologues.
En numération sexagésimale, 2 est l’inverse de 30 et la multiplication par 30 donne le même résultat que la division par 2 à une soixantaine près (penser à la conversion en heures-minutes-secondes : une heure est égale à deux fois trente minutes).
On ignore comment les babyloniens étaient arrivés à obtenir une telle précision.
Certains prétendent que c’est par la méthode de Héron, que les babyloniens connaissaient, bien avant les grecs.
C’est peu vraisemblable, car cette méthode qui consiste à partir d’un rectangle 1×2 et à produire des rectangles de même aire (égale à 2) en prenant pour l’un des côtés la moyenne des deux côtés du rectangle précédent.
Ainsi on obtient le rectangle $\dfrac{3}{2} \times{} \dfrac{4}{3}$, puis le rectangle $\dfrac{17}{12} \times{} \dfrac{24}{17}$ et là, pour les mathématiciens de cette époque, le calcul ne peut se poursuivre, car pour les babyloniens 17 c’est igi-nu qui signifie que 17 n’a pas d’inverse .
En effet, en base soixante, seuls les nombres ayant une décomposition en facteur premiers de la forme $2^\alpha 3^\beta 5^\gamma$ ont un inverse (ayant une écriture sexagésimale finie).
L’hypothèse la plus crédible est l’obtention par approximations successives. En effet il très facile d’élever au carré la valeur à tester, ce qui permet de savoir si ce carré dépasse ou non 2.
La tablette de Suse et le nombre $\pi$
Pour les problèmes relatifs au cercle (calcul du périmètre ou de l’aire) la valeur 3 est souvent utilisée comme « constante du cercle ».
De la tablette trouvée en 1936 à Suse (Iran) et datant d’environ 1680 av. JC. on peut, en étudiant la résolution de problèmes liés au cercle, en déduire une meilleure approximation : $3+ \dfrac{1}{8}$ (voir le poster ci-dessous).
L’atelier du scribe
Avec de l’argile fraîche et des calames sumériens (deux extrémités de sections circulaires, mais de diamètres différents) ou babyloniens (une extrémité taillée en biseau utilisée dans deux positions différentes pour laisser la trace d’un clou ou d’un chevron) on pouvait, sur ce stand :
- fabriquer des bulles enveloppes sumériennes ou babyloniennes
- reproduire des tablettes à partir des nombreuses planches du livre de la Thèse de Christine Proust : « Tablettes mathématiques de Nippur »
- ou encore fabriquer des tables de multiplication, de carrés, d’inverses …
Note :
Christine Proust (Directrice de Recherche au Laboratoire SPHERE) a fait une conférence sur les écoles de scribes en Mésopotamie pour la journées de la Régionale Aix-Marseille en 2012. Vous y trouverez le compte-rendu de cette conférence.