Bulletin Vert n°502
janvier — février 2013
Petite mathématique du cerveau Une théorie de l’information mentale
par Claude Berrou et Vincent Grippon
Odile Jacob, 2012
160 pages en 14,5 × 22, prix : 22,90 €, ISBN : 978-2-7381-2838-6
Deux éminents chercheurs en théorie de l’information ont relevé le défi de mettre à la portée d’un large public à la fois un bilan de l’état des acquis actuels en ce domaine, et leurs apports personnels, avec de plus des perspectives sur les recherches futures.
Entre une Introduction et un Index, l’ouvrage est structuré en quinze courts chapitres : Le siècle des machines pensantes, L’information, Le codage redondant, Le codage redondant revisité, Les graphes, Les neurones, Les réseaux de neurones, Codes, cortex, cycles, cliques et corrélation, La parcimonie, Les cliques neurales, quelques chiffres, Des cliques, mais encore, Des chaînes de tournois, L’information mentale, Le cogniteur.
Dans une « démarche résolument réductionniste », les auteurs laissent de côté la « formidable complexité physico-chimique du cerveau » pour tenter de construire un « modèle de mémoire cérébrale numérique », pouvant déboucher sur « la conception de machines véritablement neuromimétiques », qui pourraient avoir des retombées positives pour la médecine neurologique : « ce n’est pas de la nature que nous nous inspirons pour concevoir une machine, mais c’est dans une machine, imaginée par l’homme, que nous cherchons des éléments d’explication de la nature ».
Ils se situent donc à l’intersection de la théorie de l’information et de l’intelligence artificielle. Ils utilisent largement la théorie des graphes, et celle des codes. Ils reportent dans les notes de fin d’ouvrage les développements mathématiques les moins simples, mais même ceux-ci sont à la portée de tout lecteur du BV. Ils définissent clairement chaque terme du vocabulaire spécialisé, et illustrent leurs propos par des exemples bien choisis. Selon eux, leurs modèles, même s’ils sont « très rudimentaires », leur permettent d’émettre l’hypothèse fondamentale que « la complexité informationnelle du néocortex peut se réduire à celle d’un graphe récurrent organisé et à l’addition de quelques mécanismes de contrôle ». Ils comptent sur la réalisation future d’une version basique d’une machine électronique qu’ils baptisent « Cogniteur » pour confirmer leurs théories.
Ce texte est donc un rapport d’étape sur un travail en cours, ouvert sur des développements ultérieurs.
Le hasard m’a fait recevoir ce livre alors que j’achevais la lecture de la biographie de Norbert Wiener, « père de la cybernétique ».
La divergence des approches donne au lecteur, même ignorant en la matière, des occasions de réflexion et de prise de recul. Berrou et Grippon adoptent comme allant de soi la toute-puissance du numérique, alors que Wiener, en accord avec des découvertes de neurophysiologistes, pensait qu’au moins une part d’analogique s’imposait dans toute modélisation du cerveau. Berrou et Grippon citent McCulloch et Pitts, collaborateurs de Wiener, mais jamais Wiener lui-même.
Plus généralement, on peut être sceptique quant à la réalisation des scénarios de science-fiction inclus ici et même datés (« la machine n’aura plus besoin de l’intervention humaine pour continuer de s’améliorer […] entre 2030 et 2040 »), surtout sachant que les auteurs excluent totalement les émotions de leur champ de recherche : selon de multiples articles récents, les activités logiques et émotives du cerveau humain sont inséparables ; d’ailleurs il ne peut guère y avoir construction d’un raisonnement sans désir d’arriver à la conclusion ; et le désir n’est-il pas une émotion ? D’autre part, les implications éthiques et sociologiques du développement de ces sciences, qui tourmentaient tant Wiener, ne sont même pas évoquées.
En conclusion : une lecture facile, instructive, qui fait réfléchir et affûte l’esprit critique : n’est-ce pas ce que l’on cherche ?