JN 2025 — Toulon
Discours d’ouverture
de la présidente de l’APMEP
Les mathématiques ont toujours la côte
Mesdames, Messieurs, cher·es collègues,
C’est avec un grand plaisir que je vous retrouve aujourd’hui pour l’ouverture de ces journées nationales et pour vivre ensemble ces quelques jours où chaque année, les mathématiques ont toujours la côte. En arrivant, malgré la fatigue d’une première période toujours chargée, nous anticipons la joie et la fébrilité des discussions enflammées qui commencent autour d’un café et se terminent souvent très tard. Nous allons retrouver nos collègues d’ici et d’ailleurs, faire de nouvelles rencontres, nous avons choisi avec soin des ateliers, des conférences qui vont nourrir notre réflexion pour l’année entière.
Et il semble que nous ne soyons pas seul·es à penser que les mathématiques ont la cote. En effet, notre discipline est au cœur des récits de nos institutions : une nouvelle épreuve de bac et de DNB, pour améliorer le niveau des élèves, des classes à horaires aménagés pour certaines filles pour que toutes trouvent le goût des mathématiques, des messages performatifs sur leur place dans les parcours sélectifs scientifiques du supérieur. Quel que soit le ou la ministre de l’éducation nationale (et ils et elles ont été nombreuses durant mes années de mandat), ce récit est identique : tout changer, en détricotant ce que le précédent ou la précédente a fait, en remplaçant un dispositif par un autre, en déguisant un troisième sous un nouveau nom, pour revenir à notre situation initiale mais dégradée… Ah, et toujours à l’économie, bien sûr. On nous raconte que ces économies sont nécessaires, que nous dépensons trop, que l’éducation nationale est le premier budget de l’état, comme un reproche alors que nous devrions être fiers d’un tel choix pour notre pays. Le premier budget de l’état mais est-ce assez ? car nous sommes bien placé·es en tant que professeur·es de mathématiques pour savoir que le majorant d’un ensemble n’est pas forcément un grand nombre, et en tant que citoyens et citoyennes pour rappeler que financer l’éducation n’est pas une simple dépense mais un vrai projet de société. Alors sur ce thème, l’ambition sans moyens pour la servir est une forme de trahison. Un exemple parmi tant d’autres : « La stratégie de réussite en classes de 4e et de 3e ». Les établissements doivent élaborer un plan qui vise à la réussite scolaire, au développement du pouvoir d’agir, à l’orientation en confiance. Les moyens associés ? une page eduscol, un vade-mecum, un discours, il ne manque qu’un numéro vert… Je force le trait, mais si peu… Les phrases creuses comme « la stratégie renforce les enseignements communs » ne tiennent pas face à notre réalité, la charge pour nous de bâtir des plans d’actions qui ne s’alimenteront finalement que de nos espoirs et notre engagement…
Bien sûr, il est nécessaire de changer des choses. Forts de nos constats de terrain, de l’attention que nous portons à nos élèves, nous appelons à des changements. Avec différentes associations, avec l’ADIREM, la CFEM, avec le collectif Maths&Sciences, nous sommes force de propositions. Des propositions sur un temps long, pas des décisions qui arrivent au gré des circulaires, qui épuisent les équipes à tous les niveaux, dans les établissements, dans les inspections. Pas des décisions qui semblent servir un objectif différent des besoins réels et identifiés pour notre école.
Si majoritairement, nous restons heureux, heureuses d’enseigner, trop nombreux et nombreuses sont celles et ceux parmi nous qui craquent, ne voient plus de sens dans ce qui nous est demandé, se perdent à s’investir dans des dispositifs instables auxquels il faut croire une année puis renoncer ensuite. Le manque d’attractivité de notre métier repose sur de nombreux facteurs dont le salaire et la mobilité font partie bien sûr. Mais au cœur de cette question se pose surtout celle de la perception de notre métier dans la société et en premier lieu par nos gouvernants.
Face au récit politique, un imaginaire pour se réapproprier l’école
Dans notre école rêvée, notre travail est reconnu. Notre créativité, notre engagement, l’attention que nous portons à la réussite de chacun et de chacune, notre ambition pour nos élèves, pour les emmener au-delà de la place que les biais liés aux stéréotypes et la société pourraient sembler leur assigner. Nos compétences sont reconnues et l’innovation et la liberté pédagogique sont encouragées, sans restreindre les recherches à celles estampillées, sans contraindre dogmatiquement les méthodes qu’il faudrait appliquer. Dans cette école rêvée, notre institution écoute nos besoins, comprends nos difficultés, nous soutient, Notre temps de travail aussi est reconnu et nos missions rémunérées à la hauteur de ce qu’elles engagent.
Et cette école rêvée est au service de la formation des élèves, qui retrouvent le goût des apprentissages. Moins de crispation et de précipitation, plus de lenteur et de d’attention portés à leurs besoins. C’est possible dans cette école rêvée parce que nous avons du temps auprès de nos élèves : Du temps pour soutenir leur travail en classe et en dehors et pour cela, des classes moins chargées sont nécessaires. Du temps pour être vigilants, attentifs à toutes et tous, valoriser les progrès, fournir une aide. Du temps pour mener à bien les programmes et déployer tous les types d’activités qui y sont mentionnés, des automatismes au service de la résolution de problèmes pour donner à voir ce que peuvent les mathématiques, ce qu’elles sont, pour développer la créativité, la persévérance, la collaboration. Nous avons aussi du temps avec nos collègues, pour coordonner notre action, réfléchir en équipe, du temps pour mener à bien des projets au sein de notre discipline ou avec d’autres. Du temps de classe différent, pour permettre à tous les élèves de goûter à d’autres manières de réfléchir aux savoirs scientifiques. Du temps enfin pour nous former, avec nos pairs, avec des formateurs et formatrices engagé·es et reconnu·es pour cela ou dans le cadre des IREMs, en appui sur une recherche en didactique dynamique et plurielle.
C’est bien cette vision que porte déjà l’APMEP, les mathématiques y sont une discipline parmi d’autres, pas une discipline clivante, élitiste ou outil de sélection. Une discipline qui apporte du plaisir même si elle fait parfois naître des émotions contraires quand un sujet résiste, quand il faut se montrer persévérant. Une discipline dans laquelle, au même titre que pour les autres sciences, la manipulation, la recherche de problème, la modélisation sont présentes et ne semblent pas être une ludification anecdotique. Nous portons aussi l’idée des mathématiques comme une culture commune, avec les sciences mais aussi les autres disciplines. Elles concourent à former de futur·es citoyens et citoyennes éclairé·es à même de décrypter le monde qui les entourent, à même de faire preuve d’esprit critique, de parler un langage commun qui relie et permet de construire ensemble. Et comme nous savons que nous enseignantes et enseignants, formateurs, formatrices, ne sommes pas seul·es à poursuivre cet objectif, à diffuser ces savoirs, à agrandir le monde, dans ce futur désirable, nous ne sommes pas bridés par le manque de financement pour les projets engageant des associations partenaires ou simplement les transports pour s’y rendre. Dans ce futur désirable, les attaques contre les lieux de culture comme le palais de la découverte cessent. Parce que ces lieux sont les lieux de la culture vivante. Celle qui nous surprend, qui relève de l’exceptionnel, qui ne se limite pas à ce que l’on cherche, celle que l’on vit ensemble avec d’autres connus ou inconnus, celle que l’on partage. Parce que ce commun n’a jamais eu autant d’importance qu’aujourd’hui.
La bonne nouvelle, c’est que cet imaginaire a déjà pris racines dans nos classes et nos quotidiens. Dans tout ce qui relève de leur possible, les adhérents et les adhérentes de l’APMEP le font vivre. Dans nos classes, dans les instances de notre association, nous donnons à voir nos mathématiques, notre engagement, notre réflexion, notre attention portée au monde qui nous entoure.
Alors, nous ne sommes pas toujours d’accord, les débats parfois houleux qui animent les réunions de commissions, les assemblées générales le montrent. Cependant, des valeurs communes nous lient, notre attachement au service public, de la maternelle à l’université, à un maillage territorial permettant à toutes et tous de poursuivre une formation quelle que soit sa condition sociale, notre souci de la réussite de tous et toutes. Et aussi, en nous investissant dans les instances, nous trouvons le sens de notre engagement. Tout n’est pas mathématique dans le quotidien de notre association. Si nous réfléchissons aux nouveaux textes, recueillons les points de vue des collègues, faisons émerger les idées, synthétisons et portons une parole au plus près de ce que disent nos adhérents et nos adhérentes, nous devons aussi changer les radiateurs, choisir un nouvel hébergeur pour les serveurs, demander des devis pour les publications, être attentifs aux conditions de travail de notre secrétaire qui est seule au local. Tout cela demande du temps et de nombreuses compétences puisées dans notre collectif. Le travail intense des réunions de bureau ou de comité s’articule alors avec la détente du soir et le soutien dans les amitiés qui se bâtissent. Et riche de toutes les personnalités, anciens, nouveaux, jeunes ou retraités, ce commun qu’on y construit donne foi en l’avenir.
Un mot pour finir : je sais que l’année ne fait que commencer et que de nombreux défis attendent le bureau jusqu’au mois de juin… mais l’ouverture de ces journées donne le signal de ma dernière année de présidence alors j’ai un petit pincement… Tout en réfléchissant aux mille choses que je pourrai faire du temps libéré, j’éprouve peut-être déjà un peu de nostalgie… La présidence de l’APMEP est une tâche exigeante mais ô combien passionnante. Réfléchir, écrire, s’exprimer devant nos instances, dans la presse. Quand Alice et Sébastien, mes prédécesseurs, me l’ont proposé, je n’étais pas certaine d’en être capable et c’est leur confiance qui m’a permis d’avoir l’audace de m’engager. Ils étaient la partie émergée de l’iceberg collectif sur lequel ce rôle s’appuie et ce collectif est vraiment ce qui permet de l’assurer et qui fait que finalement, on ne part jamais vraiment. Si je suis les exemples de celles et ceux qui m’ont précédé, comme Christiane Zehren présidente d’honneur qui est là avec nous aujourd’hui, quand le virus de l’APMEP nous attrape, il n’a pas de remède. Et même si des augures aiment à miser sur l’IA pour nous remplacer, je parie quant à moi sur la puissance de notre intelligence collective, sur notre vitalité communicative et sur le caractère émancipateur de la rencontre entre des professeur·es pas du tout artificiel et des élèves eux aussi bien vivants. Alors quelles que soient les prochaines personnes qui, présidente, président, adhérent, adhérentes, incarneront notre association, je ne suis pas inquiète car je sais qu’elles porteront ces valeurs. Et c’est toute notre force, car de se savoir uni, joyeux et créateurs, nous saurons toujours rallumer la lumière, dans les yeux de nos élèves et pourquoi pas dans ces temps moroses… Et moi, je serai juste à vos côtés, passant le flambeau en toute confiance.
Bonnes journées nationales.
