Bulletin Vert n°499
septembre 1995

Combattre l’innumérisme

Le Comité sur l’enseignement des sciences de l’Académie des sciences, inquiet de la carence de culture mathématique qui s’étend en France, tient à sensibiliser l’opinion publique et les décideurs sur la nécessité et les atouts d’un enseignement efficace et ambitieux des mathématiques tout au long de la scolarité.

Son avis, signé de tous les membres du Comité et de son Président, Alain-Jacques Valleron, est en ligne sur le site de l’Académie des sciences, dans la rubrique enseignement

L’enseignement des mathématiques soulève des difficultés dans tous les pays du monde, et depuis longtemps : la commission internationale de l’enseignement mathématique, qui avait déjà vocation à étudier ce problème, fut créée il y a plus de 100 ans. La solution n’a toujours pas été trouvée. De nombreuses réponses sont proposées par les uns et les autres : certaines s’appuient sur une conception des mathématiques « au dessus des autres sciences », d’autres sur une vision utilitariste où les mathématiques seraient vues seulement comme un outil indispensable aux sciences expérimentales et aux technologies.

En tout cas, le constat est qu’on en est maintenant, avec les mathématiques, à un problème aussi grave que celui de l’illettrisme. Un nom analogue a même été trouvé pour désigner cette carence de culture : « l’innumérisme ». En France, ce phénomène d’inculture mathématique s’étend. Il faut donc le combattre. Ce ne peut être l’affaire des seuls mathématiciens et professeurs de mathématiques, car au delà des mathématiques d’autres disciplines sont touchées par un affaiblissement des connaissances et de la compréhension, directement ou par contrecoup. Tous les citoyens sont concernés, et au premier chef les autres scientifiques. C’est pourquoi le Comité sur l’enseignement des sciences de l’Académie des sciences, qui regroupe des mathématiciens et des spécialistes de toutes les sciences, se saisit actuellement de la question.

Il faut d’abord rappeler que l’apprentissage des mathématiques est une discipline de l’esprit, à tous les niveaux, et que c’est à ce titre — plus encore qu’en vue d’applications pratiques — qu’il est utile à tout le monde.

Pour l’élève, les mathématiques sont d’abord un dépaysement, et il est souhaitable que ce dépaysement soit agréable. Il peut tout à fait en être ainsi, comme en témoigne le succès des jeux mathématiques. Au delà de leur attrait pour les jeux, on doit garder l’ambition que le plus grand nombre possible d’élèves soient sensibles à la puissance et à la beauté de ce qu’ils peuvent découvrir dans l’ensemble du « paysage mathématique ». Quand Georges Snyders parlait de la « joie à l’école » comme d’un objectif pédagogique, il mentionnait comme objet de joie un théorème mathématique, allant ainsi bien au-delà de l’exemple précédent des jeux. C’est une ambition légitime, et raisonnable, que de faire accéder tous les élèves à cette sorte de joie.

Cela n’implique pas que l’enseignement des mathématiques soit pour autant coupé du monde. Les nombres, les figures, les opérations, les constructions, les équations et les formules se rattachent à des pratiques de la vie courante et à des connaissances enseignées dans les autres sciences ; les occasions de mettre ces rapports en évidence sont nombreuses, et il faut donc bien évidemment s’en saisir. Enfin, comme dans toutes les sciences, la mise en situation historique est aussi une manière d’humaniser l’enseignement.

Il faut, dans l’intérêt de l’humanité dans son ensemble et de notre pays en particulier, que chaque jeune dispose — pour sa culture et son avenir professionnel — des outils intellectuels qui lui permettront ensuite d’aborder la multiplicité des savoirs ; certes, toutes les sciences apportent de tels outils, mais les mathématiques apportent des outils généraux d’une telle portée que leur place dans l’enseignement doit être confortée mieux qu’à présent.

Tout ceci implique de penser désormais différemment l’évolution des contenus enseignés, en évitant d’abord l’erreur trop commune de sous estimer les capacités des élèves. Ainsi, certaines connaissances mathématiques fondamentales doivent être acquises suffisamment tôt. Puis, au cours de toute la scolarité, elles doivent être entretenues et enrichies en mettant en œuvre des synergies d’apprentissage avec les autres disciplines. Malgré les difficultés du temps présent nous devons faire confiance aux capacités des élèves et à celles de leurs professeurs. C’est la condition d’un enseignement scientifique efficace et ambitieux.

L’Académie des sciences, comme elle l’a fait dans le passé, compte contribuer activement dans les mois qui viennent à l’élaboration d’un ensemble de propositions aptes à satisfaire cette ambition.


Le Comité sur l’enseignement des sciences est composé des Membres de l’Académie des sciences affiliés aux sections suivantes :

  • Alain-Jacques VALLERON, Biologie humaine et sciences médicales, Président
  • Christian AMATORE, Chimie, Délégué à l’Éducation et à la Formation
  • François BACCELLI*, Sciences mécaniques et informatiques
  • Gérard BERRY*, Sciences mécaniques et informatiques, intersection des applications des sciences
  • René BLANCHET*, Sciences de l’univers
  • Sébastien CANDEL, Sciences mécaniques et informatiques
  • Marie-Lise CHANIN, Sciences de l’univers
  • Jean DALIBARD, Physique
  • Henri DÉCAMPS*, Biologie intégrative, intersection des applications des sciences
  • Stanislas DEHAENE, Biologie humaine et sciences médicales
  • Jean-Pierre DEMAILLY, Mathématique
  • Christian DUMAS, Biologie intégrative
  • Pierre ENCRENAZ, Sciences de l’univers
  • Anne FAGOT-LARGEAULT, Biologie humaine et sciences médicales
  • Jacques FRIEDEL, Physique
  • Jean-Pierre KAHANE*, Mathématique
  • Odile MACCHI, Sciences mécaniques et informatiques
  • Ghislain de MARSILY*, Sciences de l’univers
  • Yves QUÉRÉ, Physique
  • Daniel RICQUIER, Biologie intégrative, vice-Président Délégué aux Relations Internationales
  • Bernard ROQUES*, Biologie moléculaire et cellulaire, génomique
  • Jean-Didier VINCENT, Biologie humaine et sciences médicales
  • Jean-Christophe YOCCOZ, Mathématique

* également en Intersection des applications des sciences

Académie des sciences, Délégation à l’Information Scientifique et à la Communication (DISC) :

  • Bernard Meunier, Délégué, Membre de l’Académie des sciences
  • Marie-Laure Moinet, Chargée des relations avec la presse Tél : 01 44 41 45 51/44 60
  • presse@academie-sciences.fr

 

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