Journées Nationales au Havre

Questions d’actualité : Table ronde lundi 22 octobre 2024

La perception des mathématiques dans la société : l’influence de cette perception sur leur enseignement et l’influence de cette perception sur la réussite des élèves.

table ronde
22 octobre 2024

 
Questions d’actualité École — Collège
Table ronde du lundi 22 octobre 2024 lors des JN au Havre

 

Présentation des invité⋅e⋅s

  • Discutant⋅e⋅s
    • Robin Jamet,
      médiateur scientifique au Palais de la Découverte
      promoteur des mathématiques à travers des ouvrages et des émissions de vulgarisation
    • Élise Janvresse,
      directrice adjointe scientifique du CNRS mathématiques (INSMI)
      ancienne directrice de l’IREM de Picardie
    • Maíra Mamede,
      sociologue de l’éducation, rattachée au laboratoire CIRCEFT-ESCOL
      correspondante Recherche dans le LéA-IFE Ecrainum
    • Jean-Paul Vilas Boas,
      ingénieur expert dans le domaine de l’Assurance
      spécialiste dommages

La table ronde débute par la projection du nuage de mots issu du sondage proposé la veille lors de la réunion des commissions école-collège. Voici les mots proposés pour répondre à la question : « Quels sont les trois premiers mots qui résonnent en vous par rapport à l’enseignement des mathématiques à l’école primaire et au collège ? » :

On y note l’abondance du mot « plaisir ».

Henrique Vilas Boas pose le cadre : au-delà du plaisir, nous allons évoquer la question des mathématiques dans la société française. L’idée est de travailler en trois phases :

  1. questionner le rapport maths / questions de société (à travers des expériences)
  2. questionner de la place de l’école dans ces questions
  3. imaginer des propositions pour travailler sur ces questions d’une société plus éclairée qui fait des mathématiques un objet d’émancipation pour les élèves / pour les citoyens.

 

Comment les gens autour de vous parlent des mathématiques ? Comment analysez-vous cette perception ?

Henrique Vilas Boas pose alors la première question : À partir de votre expérience, à partir d’une situation vécue : comment les gens autour de vous parlent des mathématiques ? Comment analysez-vous cette perception ?

Il précise que l’intérêt de la discussion, c’est d’aller sur des controverses et de pouvoir en discuter ; de confronter des points de vue.

Élise Janvresse évoque qu’elle n’a pas d’expérience avec des élèves ou des plus jeunes collégiens mais, dans la société, quand elle parle de son travail de chercheuse en mathématiques : ça ne laisse pas indifférent ; immédiatement les personnes lui parlent de leur expérience des mathématiques. C’est un domaine très clivant : discipline la plus détestée ou la plus aimée. Ce n’est pas toujours négatif ; il y a beaucoup de personnes qui ont des bons souvenirs. Il y a celles qui ont arrêté les maths et qui le regrettent. C’est un ressenti qui ressort de milieux sociaux variés. Les gens ont envie d’en parler.

Ce qui fait du tort à la discipline, c’est l’idée qu’on est soit bon ou mauvais en mathématiques, la « bosse des maths » est un état de fait. Cela porte à son sens beaucoup de préjudices pour l’enseignement.

Jean-Paul Vilas Boas prend la parole avec sa formation d’ingénieur, 15 ans d’expérience en tant que contrôleur technique qui contrôle la conformité des ouvrages (solidité, sécurité incendie...). Cela relève des sciences de l’ingénieur et donc des mathématiques : il y a beaucoup de calculs à effectuer (conformités à respecter). Il faut un lien fort avec tous les acteurs permanents : la discussion sur l’outil mathématique est indispensable mais implicite. Jean-Paul Vilas Boas a un ressenti d’omniprésence des mathématiques dans le quotidien (et ici en particulier dans le domaine de la construction). Il est important qu’il y ait une conscience de ces outils qui sont les briques des savoirs et des professions.

Henrique Vilas Boas intervient et interroge : « On ne parle pas des mathématiques, dimension implicite ou éléments qui font discussion » ?

Jean-Paul Vilas Boas : Les mathématiques sont un moyen, un outil pour discuter. La réalité de la production c’est de mettre en œuvre de nouvelles modélisations pour s’adapter à la réalité du terrain. Cela permet de faire évoluer les modèles. Cependant, ce « parler mathématiques » reste implicite dans son quotidien professionnel.

Henrique Vilas Boas conclut : Les mathématiques sont donc soit au premier plan soit implicites dans le quotidien de certains métiers.

Maíra Mamede vient en contrepoint et affirme qu’il est aussi clivant de dire qu’on est sociologue. Tout le monde a son mot à dire quand elle dit qu’elle est sociologue. Quand elle ajoute qu’elle participe à la formation des enseignants, toute la société a son expertise sur comment devrait être la formation des enseignants. Contrairement au mathématicien, le sociologue n’est pas perçu comme très intelligent. Les mathématiques sont perçues comme quelque chose d’étanche et d’inaccessible contrairement à l’école.

Dans son parcours, elle a eu l’occasion de se rapprocher d’une collègue formatrice et chercheuse en didactique des mathématiques avec qui elle partageait un intérêt commun pour les inégalités entre les élèves. Elle forme notamment les enseignants du 1er degré qui ne sont pas très à l’aise avec les mathématiques (ils ne sont pas des matheux). Elle a l’impression que les apports théoriques ne sont pas forcément mobilisés en classe devant les élèves. Cependant, en partant des élèves et en cherchant à comprendre le raisonnement sous-jacent à la difficulté de l’élève, ces futures enseignantes perçoivent mieux l’intérêt d’enseigner les mathématiques pour aider l’élève à surmonter ses difficultés. Ne pas comprendre d’où vient le problème les conduit à mener l’élève vers une piste qui contourne cette difficulté, et empêche de ce fait les élèves d’apprendre.

Henrique Vilas Boas relève ici la dimension des émotions quand on parle de mathématiques. Il évoque la question de ces implicites, du contenu mathématique dans le cadre de l’école.

Maíra Mamede précise alors qu’en effet les connaissances disciplinaires et théoriques sont un levier pour former les enseignants mais que de focaliser leur regard sur les élèves leur apporte des connaissances disciplinaires et théoriques.

Robin Jamet est le dernier à prendre la parole sur cette première question. Il affirme d’emblée être en accord avec les propos d’Élise Janvresse. Il a été en confrontation avec des publics très variés. Au palais de la découverte, il est en lien avec des scolaires, en dehors du cadre de la classe. Il a aussi collaboré avec des personnes faisant un magazine de sciences qui sont réticents avec les mathématiques. Le terme « mathématiques » bloque beaucoup de cerveaux. Son outil de mesure, c’est l’unité maths au Palais de la découverte : l’espace est sous dimensionné pour l’accueil de scolaires mais, lors de l’ouverture au grand public, si la salle des maths est pleine, cela signifie que le Palais est complet... Robin Jamet fait référence à Michaël Launay qu’il cite : c’est une « chance d’avoir une passion valorisée socialement ». Il poursuit son exposé en évoquant les parents (le plus souvent des mamans) qui amènent leurs enfants en difficulté en maths pour se faire « soigner » de leur manque d’appétence des maths. Certains viennent par devoir, ce n’est pas nécessairement un plaisir culturel mais parce que « c’est bien ».

Les mathématiques ne marquent pas autant que les autres sciences présentes au Palais ; néanmoins, il n’envie pas ses collègues parce que le « spectacle » de l’électrostatique entrave parfois l’apport de connaissances derrière. Il évoque également les nombreux enseignants de primaire qui n’ont pas d’attrait envers les maths et qui s’intéressent à des choses qui, pour des matheux, n’ont pas d’intérêt particulier. Il explique cela par le fait que, lorsqu’on n’est pas à l’aise, on se raccroche aux définitions.

Robin Jamet estime avoir le luxe de se concentrer sur le sens plus que sur des programmes à suivre et l’évaluation des élèves. Il indique qu’il est plus compliqué pour un enseignant d’évaluer du sens plutôt que des connaissances de définitions.

Enfin, il conclut son propos en évoquant que, pour les gens qui sont loin des mathématiques, les maths sont un domaine réservé à l’école. Un de ses objectifs, c’est de faire prendre conscience aux gens que les mathématiques font partie de la culture générale et cela n’est pas acquis pour une immense partie de la population. C’est à son sens un gros problème de point de vue.

 

Quelle place occupe l’école dans son fonctionnement actuel dans ce panorama que vous venez de faire ?

Henrique Vilas Boas aimerait revenir sur la question des programmes, de la prescription.

Élise Janvresse s’étonne du fait que, lorsqu’on interroge sur ce que sont les maths, les gens évoquent les « calculs » , la « géométrie utile » mais le raisonnement n’y est pas toujours associé. Pour certains élèves les démonstrations avec que des mots (sans calcul ou géométrie pratique) ne sont pas de vraies démonstrations. Elle s’interroge sur ce que l’on peut mettre derrière le mot mathématique et si tout le monde y met la même chose.

Robin Jamet l’interrompt pour préciser la définition d’après plusieurs mathématiciens : on parle de mathématiques à partir du moment où on n’a plus besoin de revenir à quelque chose de concret pour raisonner.

Élise Janvresse y voit la discipline du raisonnement, en particulier le raisonnement hypothético-déductif qui amène à une conclusion qu’on ne peut pas réfuter.

Jean-Paul Vilas Boas s’interroge sur la présence concrète des mathématiques. Il évoque la réalité mathématique tout autour de nous, les outils mathématiques concrets et prend l’exemple de la construction acoustique de l’amphithéâtre qui nous accueille. On se sert des mathématiques pour comprendre le réel, construire des objets, des espaces, des relations humaines.

Élise Janvresse intervient pour préciser que la plupart des personnes sont persuadées qu’il y a des mathématiques partout mais eux n’y voient aucun intérêt puisqu’ils n’ont pas l’intention de les faire eux même.

Maíra Mamede revient sur la question de la place de l’école. Une des missions de l’école, c’est un rôle de sélection, toute la question est de savoir sur quelle base est faite cette sélection. En France, l’origine sociale reste très fortement corrélée aux trajectoires scolaires. Et les mathématiques sont bien placées comme outil de sélection des élèves dans une logique méritocratique. Les mathématiques apparaissent comme difficiles, la notion de plaisir qui prend le dessus sur la difficulté pour certains (associée au plaisir d’apprendre pour certains et pour d’autres l’impossibilité d’y accéder). Les maths paraissent comme quelque chose de très fermé. La différence de rapport au savoir est importante dans le rôle de l’école. Quand les élèves comprennent que les maths c’est aussi pour eux, ils peuvent prendre plaisir à apprendre. Mais les dispositions ne sont pas figées, le rapport aux maths peut évoluer de la même manière, à partir du moment où on lui associe le plaisir d’apprendre (pas parce que c’est rigolo ou ludique) mais le plaisir est la confrontation à la difficulté pour construire une nouvelle manière de raisonner. Cela peut aussi renforcer l’identité des enseignants et leur redonner du plaisir à enseigner.

Robin Jamet complète ces propos en indiquant que les mathématiques sont souvent vues comme une discipline de sélection. Si le programme était « savoir argumenter », « savoir écouter », « savoir observer », il aurait son utilité. Mais, en mathématiques, la question de l’évaluation des argumentations est moins présente que l’évaluation de savoirs faire techniques. Il ajoute que l’on entend souvent que les maths sont partout, mais la technologie est aussi partout et pourtant on ne la considère pas comme fondamentale.

Élise Janvresse ose la comparaison avec le français : on peut lire mais ne pas tout comprendre et en retirer quelque chose. Mais, pour les mathématiques, comme c’est cumulatif, il est difficile de prendre le train en cours de route.

Maíra Mamede développe alors la différence entre un « bon élève » et un « élève en difficulté » : c’est la manière dont ils investissent les situations scolaires. Il est important de déconstruire la question « à quoi ça sert ». Le rôle du savoir n’est pas d’avoir une utilité. Le savoir est important en lui-même pour l’apprentissage. Les « bons élèves » font sans chercher à savoir pourquoi, apportent une valeur intrinsèque au savoir. Dans les classes favorisées, les élèves nonchalants peuvent puiser dans les dispositions sociales pour se mettre au travail lorsque les choses deviennent sérieuses ce qui est plus délicat pour des élèves d’autres origines sociales.

Henrique Vilas Boas revient sur la question des malentendus pour parler des mathématiques et il interroge sur les rôles de l’école sur ces effets.
Une personne dans la salle précise qu’on ne définit pas ce que sont les mathématiques mais l’activité mathématique : il est important que les élèves soient confrontés à des débuts de concepts.

Robin Jamet intervient pour préciser qu’il faut évaluer ce à quoi on a envie qu’on s’intéresse (compétences de recherche, …) et donner de la liberté aux enseignants pour aborder les choses à leur manière.

Maíra Mamede évoque son LéA-IFE sur la résolution de problème, LéA-IFE implanté sur deux territoires : un territoire mixte et un territoire REP+. Elle a pu constater en REP+ une acculturation à l’usage de l’écrit difficile et pas nécessairement le raisonnement mathématique. Dans ces territoires, il faut apprendre aux élèves à utiliser le papier et l’écriture pour réfléchir (usage de schémas etc) ; l’écrit pour penser n’est pas naturel. Elle a pu observer qu’en termes de raisonnement, tous les élèves ont réussi à s’adapter aux problèmes.

En revanche, pour l’évaluation, alors même que ce sont les mêmes types de problèmes qui sont présentés aux élèves, seuls, ils n’y arrivaient plus parce qu’il s’agissait d’une situation d’évaluation. Il y a donc un réel biais lié à l’évaluation ; il est important de déconstruire cette peur de l’évaluation, pour que les élèves ne perdent pas leurs moyens quand ils sont évalués

Maíra Mamede insiste également sur le passage de l’école maternelle au CP qui est souvent présenté comme une « rupture » pour les élèves (« tu vas aller à la grande école ») et cela les déstabilise et leur fait en quelque sorte perdre leurs moyens.

 

Conclusion

Henrique Vilas Boas reprend la parole pour la clôture de la table ronde. Le temps étant compté, il propose à nos quatre invités un jeu : «  Vous êtes nommés Ministre de l’Éducation Nationale. Quelle serait la première mesure qui vous viendrait en tête ? »

Robin Jamet s’empare de cette question et a déjà une proposition très concrète : faire entrer du « maths en jeans » dans les mathématiques parce qu’il faut qu’il y ait une place pour la recherche semblable à la vraie recherche.

Maíra Mamede propose d’emblée de déconstruire l’idée de la formation initiale vue comme apprentissage de pratiques qui rendent les personnes aptes à enseigner. Le métier est formatif. Elle expose que la formation initiale seule ne suffit pas ; c’est bien le métier qui est l’élément le plus formatif. Il faudrait donc réfléchir sur les conditions d’exercice du métier et la formation continue.

Pour Jean-Paul Vilas Boas il serait nécessaire d’avoir une prise de conscience des mathématiques à avoir. Il envisagerait de demander aux collégiens ou lycéens de demander à leurs parents s’ils utilisent des maths dans leur métier ou dans leur quotidien pour créer du lien entre les mathématiques et la réalité. Il lui semble fondamental de comprendre les outils qu’on va utiliser pour faire des choses.

Élise Janvresse est la dernière à prendre la parole et rejoint la proposition de Maíra Mamede. Pour elle, il faudrait revoir la formation initiale et continue. Et puis aussi remettre les maths dans le tronc commun au lycée pour tous les élèves.

Le temps imparti pour les échanges est écoulé. Henrique Vilas Boas remercie les intervenants pour leur participation à ces échanges riches qui ont égayé les visages de nombreux participants.

 

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