Vers des sciences sans filles ? communiqué du Collectif Maths&Sciences

Réforme du lycée général :
vers des sciences sans filles ?

communiqué
du 4 octobre 2022

 
communiqué du Collectif Maths-Sciences, 4 octobre 2022
Avec le soutien de NUMEUM et Talents du Numérique

La structure du lycée général actuel en cause

Cette note du Collectif Maths&Sciences analyse l’évolution de la répartition des filles suivant un cursus scientifique en terminale depuis la réforme du lycée. Elle montre une diminution inédite de la part des filles dans tous les parcours scientifiques, en rupture avec les signes positifs des dernières décennies dans ce domaine. En cause ? La structure du lycée général actuel.

Les filles réussissent mieux que les garçons à tous les niveaux d’étude et dans pratiquement toutes les formations, de l’école primaire jusqu’au lycée et dans les études supérieures [1]. Pourtant des inégalités persistent concernant les études scientifiques où elles sont d’autant moins représentées que la formation concerne les sciences dites « fondamentales » [2] . Cette sous-représentation résulte de l’image des sciences, particulièrement des mathématiques, véhiculée par la société, l’enseignement et les stéréotypes [3] . Un long combat contre les inégalités filles — garçons au lycée avait permis de faire progresser le taux de filles en formation scientifique au lycée de 40,2 à 47,5 % entre 1994 et 2019 [4] . Ces effets sont encore très en dessous des besoins nécessaires pour parvenir à un équilibre femme — homme souhaitable dans les études supérieures et les carrières scientifiques [5] .

Dans notre dernier communiqué du 13 septembre 2022, Impact de la réforme du lycée général sur les effectifs scientifiques de terminale, nous avons montré la chute des effectifs des élèves scientifiques en terminale depuis la réforme du lycée général en 2019. Nous analysons ici l’évolution depuis la réforme de la répartition par sexe des effectifs scientifiques, selon leur formation en mathématiques.

 

Effectifs des élèves scientifiques en terminale depuis la réforme : décrochage massif pour les filles

Les graphiques 1 et 2 [6] représentent l’évolution depuis la réforme des effectifs des élèves à profil scientifique de terminale. Un élève de terminale à profil scientifique est un élève de terminale S en 2019, puis suivant une doublette scientifique avec le système actuel (choisie parmi Mathématiques, NSI, Physique-Chimie, Sciences de l’Ingénieur, Sciences de la Vie et de la Terre). Ceux qui suivent 6h ou plus de mathématiques par semaine sont ceux qui ont conservé les mathématiques parmi leur choix de spécialités.

Alors qu’on observe une légère baisse de 3% des effectifs de terminale et une proportion de filles qui reste stable (56 %), la baisse des effectifs scientifiques est de 20 % pour les garçons et 28% pour les filles. Cette baisse est brutale lorsqu’on associe un enseignement de mathématiques de 6h ou plus par semaine : l’effectif des garçons diminue de 37%, et celui des filles de 61 %.

Élèves scientifiques
 —28% de filles en 2 ans


1. Lecture : le nombre de filles à profil scientifique passe de 94 522 en 2019 à 67 890 en 2021, soit une baisse de 28 %.

Élèves scientifiques suivant 6h de maths ou plus
 —61% de filles en 2 ans


2. Lecture : le nombre de filles à profil scientifique suivant 6h de maths ou plus par semaine baisse de 61 % depuis la réforme.

 

Focus sur la formation intensive en mathématiques : une baisse qui touche essentiellement les filles

L’analyse de données disponibles [7] montre que la diminution des effectifs des élèves scientifiques suivant plus de 8h de maths par semaine est particulièrement inquiétante pour les filles. Alors que les effectifs de garçons semblent presque stables, les effectifs de filles chutent d’environ 5 000, et concentrent la quasi-totalité de la baisse d’effectif global.

On compare les effectifs des élèves scientifiques suivant plus de 8h de maths par semaine : il s’agit des élèves de terminale S en spécialité maths en 2019, puis des élèves suivant la spécialité maths et l’option maths expertes en terminale (9h de maths par semaine).

3. Lecture 18 096 filles suivent plus de 8h de maths par semaine en 2019 ; elles sont 12 796 en 2021, soit une baisse de 29 %.

 

La part des filles scientifiques : la réforme du lycée, une rupture majeure dans la lutte contre les inégalités

La part des filles chute dans tous les parcours scientifiques, avec un déséquilibre jamais atteint si l’on considère les parcours intégrant une formation en mathématiques de plus de 6h par semaine : en terminale en 1994, il y avait 40,2% de filles. En 2021, il y en a 35,7% avec un profil similaire. La rupture est aussi brutale qu’inédite. Même si on considère tous les élèves à profil scientifique, la part des filles recule de 20 ans en 2 ans de réforme, avec seulement 44,7% de filles en 2021 [8] .

On représente l’évolution de la part des filles parmi les élèves scientifiques de terminale selon le volume de maths suivi : jusqu’en 2019, les élèves scientifiques sont les terminales S, et ont 6h ou 8h de maths par semaine.

Après la réforme, ils ont 0, 3, 6 ou 9 heures de maths par semaine.

4. Lecture : les filles représentent 56 % des élèves de terminale et elles représentent 35,7 % des élèves scientifiques qui suivent au moins 6h de maths par semaine en 2021. Elles représentaient 47,5 % de ces effectifs en 2019 (courbe verte).

 

Quelques pistes d’analyse des ruptures d’égalité observées depuis la réforme

  • Des choix scientifiques réduits et déterminants en première : la précocité des choix accentue la dimension genrée des choix conseillés et offerts et les refuges dans des choix stéréotypés. L’absence de disciplines scientifiques dans le tronc commun rend impossible les changements d’avis vers les parcours scientifiques en terminale. Un rééquilibrage entre tronc commun et spécialités en première serait à mettre en œuvre.
  • La meilleure réussite des filles en seconde leur offre un plus large éventail de choix pour les spécialités, les conduisant statistiquement à s’éloigner des spécialités scientifiques (5 spécialités parmi 13 possibles). Ces dernières seront plutôt conseillées aux garçons, en raison de leurs moindres performances en maîtrise de la langue. Là encore, l’absence de disciplines scientifiques obligatoires est à questionner.
  • L’obligation d’abandon de la 3 e spécialité en terminale conduit à celui de la spécialité maths pour les profils, majoritairement féminins, attirés par la biologie et la santé. C’est la seule façon pour conserver les 3 disciplines de première, SVT, physique-chimie et maths [9] (comme option de 3h en plus du cursus), alors que ces disciplines étaient auparavant équilibrées en Terminale S (5,5h de SVT, 5h de physique et 6h de maths). Une réflexion sur l’équilibre général des disciplines enseignées en terminale semble indispensable pour répondre aux besoins des contenus scientifiques des formations du supérieur.
  • Le caractère facultatif de l’option mathématiques expertes. Sa présentation élitiste peut tendre à décourager davantage les filles que les garçons. Le caractère facultatif demande un engagement fort de la part de l’élève, lorsqu’il n’est pas soumis à des contraintes d’établissement. Les pressions extérieures entraînent donc une aggravation des menaces de stéréotypes.

 

Conclusion : quels effets de la structure du lycée actuel sur l’orientation scientifique des filles en terminale ?

Depuis la réforme, quel que soit le parcours scientifique suivi, le nombre de filles chute massivement, et la part des filles régresse brutalement au profit des garçons.

Diminution de plus d’un quart (—28 %) des effectifs de filles scientifiques.

Presque trois fois moins (—61 %) de filles scientifiques suivant un enseignement de mathématiques de plus de 6h par semaine :
 94 500 filles scientifiques en 2019,
 36 500 seulement en 2021.

Un retour en arrière de 20 ans dans la lutte contre les inégalités filles garçons pour les sciences : en 2021, la part des filles revient à son niveau de 2002, à moins de 45 %.

Un déséquilibre jamais atteint pour les élèves scientifiques suivant plus de 6h de mathématiques par semaine.
 En 2019, la part des filles est de 47,5 % ;
 En 2021, elle n’est plus que de 35,7 %.

 

Le Collectif Maths&Sciences

Le Collectif Maths&Sciences rassemble :

  • des associations des professeurs du second degré
    • Association des Enseignantes et Enseignants d’Informatique de France (AEIF)
    • Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Publi (APMEP)
    • Association des Professeurs de Sciences Économiques et Sociales (APSES)*
    • Association Enseignement Public & Informatique (EPI)
    • Union des Professeurs de Physique-Chimie (UdPPC)
  • des associations des professeurs des classes préparatoires aux grandes écoles
    • Association des Professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC)
    • Union des Professeurs des classes préparatoires aux grandes écoles agronomiques, biologiques, géologiques et vétérinaires (UPA)
    • Union des Professeurs de classes préparatoires Scientifiques (UPS)*
  • des sociétés savantes et associations scientifiques de chercheurs et enseignants-chercheurs
    • Association des Directeurs des Instituts de Recherche pour l’Enseignement des Mathématiques (ADIREM)
    • Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques (ARDM)
    • Conférences des Doyens et Directeurs des UFR Scientifiques (CDUS)*
    • Commission Française pour l’Enseignement des Mathématiques (CFEM)
    • Comité de Liaison Enseignants-Astronomes (CLEA)
    • Comité National Français d’Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques (CNFHPST)
    • Groupe d’Études des Membranes (GEM)
    • Société Française d’Astronomie et d’Astrophysique (SF2A)
    • Société Française de Biométrie (SFB)
    • Société Française de Biophysique (SFB)
    • Société Française de Biologie du Développement (SFBD)
    • Société Française de Statistique (SFdS)
    • Société Française d’Histoire des Sciences et des Techniques (SFHST)
    • Société Française de Physique (SFP)
    • Société Informatique de France (SIF)
    • Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI)
    • Société Mathématique de France (SMF)
  • des associations pour promouvoir la place des femmes dans les filières et métiers scientifiques
    • Femmes et Maths
    • Femmes Ingénieures
    • Femmes et Sciences

Les noms étoilés $^*$ n’ont pas participé à ce texte.

Pour mémoire, voir le poster : Filles, maths et sciences, du lycée à l’université.
Ce poster propose une synthèse des analyses réalisées début 2022 montrant les impacts de la réforme du lycée général sur la formation en mathématiques et en sciences pour les élèves du lycée général, en particulier pour les filles.

L’ensemble des communiqués, documents et analyses du Collectif sur la place de la formation mathématique et scientifique des élèves et la place des filles est disponible sur le site de la SMF.

 

Notes

[1EESRI 2021 Parité dans l’enseignement supérieur. On compte 92 % des filles et 82 % de garçons bacheliers en 2020 ; en moyenne les diplômés du supérieur concernent 45 % des jeunes européennes mais 35 % des européens. Les diplômés de niveau master concernent 31 % des filles et 22 % des garçons en 2020.
Vous pourrez comparer avec la version 2022 de l’ESRI
ESRI : État de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France

[2Ibid. En 2020, les filles représentent 49 % des étudiants en sciences à l’université, mais 30 % en sciences fondamentales et 29 % dans les formations d’ingénieur, en progression d’environ 3 points sur 10 ans.

[3Des sous-performances des filles en maths semblent apparaître au cours de l’année de CP (voir par exemple l’ article du Monde du 31/08/22 : Mathématiques à l’école : comment l’écart de niveau entre filles et garçons se creuse dès le CP)

[4DEPP, Filles et Garçons sur le chemin de l’égalité, édition 2020 ; p 23.

[5EERSI, Vers l’égalité hommes-femmes 2021. p.39 et 61 : il y a 23% de femmes parmi les enseignants-chercheurs en mathématiques/informatique /physique, et aussi parmi le personnel R&D en entreprise en 2018. Il y a 28% de femmes parmi les ingénieurs de moins de 30 ans, et cette proportion stagne depuis 2013 : Ingénieure, un métier pour nous les femmes sur le site de Femmes Ingénieures.

[6Données issues des notes d’information de la DEPP 20.38 et 21.41.

[7Pour la répartition des filles et garçons en 2021, nous avons calculé des extrapolations à partir des seules données disponibles (notes de la DEPP 21.38 et 22.19). Nous faisons l’hypothèse que la part des filles ayant choisi l’option maths expertes dans chaque doublette est la même en 2020 et en 2021.

[8DEPP, Filles et Garçons sur le chemin de l’égalité, édition 2020 ; p 23. : la part des filles en TS est de 44,7% en 2002 puis augmente jusqu’en 2019.

[9En première, un élève ayant choisi de suivre les 3 spécialités, SVT, PC et Maths doit en abandonner une en terminale. La seule solution pour conserver ces 3 disciplines est de garder SVT et PC en spécialité de 6h par semaine et de prendre une option, Maths Complémentaires de 3h par semaine, en plus de son cursus.

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