Bulletin Vert no 447
septembre — octobre 2003
« Des grandeurs aux espaces vectoriels. La linéarité comme fil conducteur ».
Collection « Mathématiques de la prime enfance à l’âge adulte ».
Ouvrage de 614 pages en A4, avec une excellente présentation, par une équipe de 13 auteurs enseignant dans les divers niveaux, de la Maternelle au doctorat. Coordinateur : Nicolas ROUCHE.
Bibliographie (5 pages. Trop !).
Index d’environ 400 entrées.
Éditeur : CREM, 5 rue Émile Vandervelde, B 1400 NIVELLES (Belgique).
18 € + frais de port. Téléchargeable gratuitement sur www.agers.cfwb.be
Cet ouvrage ne se veut pas un « projet d’enseignement » à reproduire tel quel, mais une « source d’idées et base de discussion », sur les plans à la fois pédagogique et mathématique, pour dégager et utiliser un fil conducteur étoffé.
Dans le Bulletin no 440, j’ai déjà rendu compte, avec éloges, de deux numéros de la même collection : « FORMES ET MOUVEMENT. Perspectives pour l’enseignement de la géométrie » (pages 391-393) et « CONSTRUIRE ET REPRÉSENTER. Un aspect de la géométrie de la maternelle jusqu’à 18 ans » (pages 393-394). Avec le présent ouvrage, avidement lu, je partage le même émerveillement, à en être désemparé : comment en laisser deviner la richesse et, simultanément, l’accessibilité et la profondeur ?
L’AVANT-PROPOS (4 pages) rappelle l’intérêt de briser, en mathématiques, des compartiments étanches et souligne que tel était, vers 1965-1980, l’objectif d’un enseignement précoce des structures. Mais « on a compris, aujourd’hui, que les structures ne peuvent pas être au début de l’enseignement.
Ce qui vient d’abord, ce sont les grandeurs, les nombres, les formes, des questions à leur sujet […] ». Dans cette optique nouvelle émerge, notamment, l’idée de linéarité.
« Elle est de celles – la principale, peut-être ? – qui peuvent soutenir la conception d’un enseignement en spirale, puisque, de classe en classe, elle revient dans des contextes divers et éclaire des questions de plus en plus vastes. L’idée de structure linéaire n’est pas donnée au départ, elle s’élabore en même temps que s’approfondit l’expérience mathématique des élèves ».
UN PREMIER PARCOURS
Il concerne les trois premières parties, dévolues à l’étude « de situations-problèmes conçues chacune pour des élèves déterminés, dans une tranche d’âge donnée et possédant certaines connaissances préalables. Toutefois, elles peuvent être adaptées, dans certaines limites, à d’autres élèves […] ».
Chaque étude se déroule suivant les rubriques suivantes soulignées en marge :
« De quoi s’agit-il ? », « Enjeux », « De quoi a-t-on besoin ? », « Comment s’y prendre ? », « Échos de classes », « Prolongements possibles », « Vers où cela va-t-il ? », « Commentaires ».
PREMIÈRE PARTIE – pour 2 ans et demi à 12 ans –
Chapitre 1. Les poids à l’école maternelle (11 pages) : …, balances, jeu.
Chapitre 2. Le tangram à l’école primaire (29 p.) : …, reproduction, dessins à l’échelle, fractions et aires.
Chapitre 3. Les mesures de capacité (12 p.).
Chapitre 4 : Grandeurs, pourcentages et représentations graphiques (4 p.) : …, à propos d’eau, …
Fiches à photocopier (24 p.).
DEUXIÈME PARTIE – pour 12 à 15 ans –
Chapitre 5. Tableurs graphiques, formules (51 p.) : […], abaques ; graphiques ; patterns de cubes ; … ; alignements, coordonnées et calculs sur les entiers, …
Ceci s’inscrit dans une optique précisée page 565 : « Qui dit rapport évoque une certaine relation entre deux choses. Qui dit proportion évoque l’égalité de deux rapports et renvoie donc à quatre choses. Nous adoptons ici de bout en bout un point de vue que nous croyons beaucoup plus éclairant, à savoir celui de fonction linéaire, renvoyant d’emblée à une multitude de rapports égaux.
Notre idée est de partir de tableaux de proportionnalité entre grandeurs – ces tableaux expriment des fonctions –, et de voir comment il faut adapter de tels tableaux pour passer des grandeurs aux mesures de grandeurs, puis [autres chapitres] aux grandeurs orientées et enfin aux vecteurs ».
Chapitre 6. Proportionnalité et non-proportionnalité en géométrie (25 p.) : …, périmètres ; aires ; « De la perspective au théorème de Thalès », en passant par le Rubik-cube, les « dessins sur table », …
Documents à photocopier (20 p.).
TROISIÈME PARTIE – pour 15 à 18 ans –
Chapitre 7. La linéarité à travers quelques siècles (15 p.) : Égyptiens ; arabes ; Fibonacci, …
Chapitre 8. Introduction au calcul vectoriel (62 p.) : déplacements (plan et espace) ; polynômes ; suites arithmétiques ; vers la structure d’espace vectoriel ; géométrie analytique et calcul vectoriel ; barycentres, problèmes d’incidence ; transformations.
Chapitre 9. Le produit scalaire (40 p.) : ses trois formes […] ; géométrie analytique et produit scalaire ; sections d’un cube, d’un tétraèdre régulier ; …
Chapitre 10. Nombres complexes et géométrie (31 p.) : historique ; quelques transformations ; de jolis problèmes, souvent classiques, traités par divers outils (excellent !).
Chapitre 11. Dessins en postscript et géométrie analytique (30 p.) : parallélogramme des milieux ; cubes et leurs sections ; « Vu et caché » ; …
Chapitre 12. Problèmes d’équilibre (23 p.) : barycentres, …
Chapitre 13. Les mouvements et les vitesses (63 p.) : « marcher ou nager … ? » ; grandeur vectorielle vitesse ; « immobiliser le temps » (jets de balles, d’eau, …) ; le « poisson-archer » ; « lent ou rapide ? » ; vitesse angulaire et linéaire ; « le mouvement de la vitesse » ; …
Documents à photocopier (30 pages).
Ce qu’il faut savoir du postscript, et macros (10 p.).
UN DEUXIÈME PARCOURS
QUATRIÈME PARTIE : ASPECTS HISTORIQUES ET ÉPISTÉMOLOGIQUES DES VECTEURS
Désormais la présentation est différente : la forme est discursive (et il n’y a plus de marge pour scander les diverses phases de situations-problèmes), mais l’exposé est toujours orienté par des observations, des étonnements, des questionnements.
Chapitre 14. La naissance des vecteurs : un survol historique (8 p.) avec, bien entendu, Hamilton, mais sans s’y limiter.
Chapitre 15. De la géométrie analytique aux vecteurs : essai d’analyse épistémologique (30 p.). J’y relève notamment la recherche du caractère intrinsèque ou non des relations (selon qu’elles résistent ou non aux changements de repères), et de pertinents éclairages sur les trois types de géométrie : affine, euclidienne, métrique. En n’oubliant pas (j’ajoute : cf. ombres de fenêtres à petits carreaux) « qu’il existe une infinité de géométries métriques, chacune définie par une classe de repères orthonormés les uns par rapport aux autres et tous munis de la même unité. Si on revient à l’univers physique, on retrouve les repères orthonormés au sens familier. Une géométrie métrique construite au départ d’un repère non orthonormé au sens familier fournit des résultats assez étonnants pour le sens commun (j’ajoute encore : revenir aux ombres, ci-dessus signalées, de carrés, de triangles isométriques, de cubes, …) ».
Un « regard en arrière » précise la ligne suivie pour les vecteurs : « S’agissant des vecteurs, on peut dire en schématisant quelque peu, que l’histoire est obscure mais pleine de sens et que les exposés axiomatiques sont clairs mais souffrent d’une insuffisance de sens. Nous avons cherché ici à construire un exposé à la fois pourvu de sens [à partir de questions motivantes, de démarches heuristiques autant que de preuves et de calculs] et clair [avec des raccourcis d’une histoire décantée] :
- départ avec « la géométrie analytique naïve en axes orthonormés […],
- des questions : quid des relations algébriques entre figures vis-à-vis du repère ?,
- les caractères intrinsèques « poussent à échapper aux coordonnées pour ne plus calculer qu’avec des points » …],
- le maintien du sens du signe « = » conduit aux « vecteurs libres », dits « vecteurs », avec leurs règles de calcul […], »
- [etc., avec questions et surprises relatives à la perpendicularité et à la distance, …].
Suivent quelques pages, aussi remarquables, que je ne saurais résumer ; « Le vecteur : un monstre commode ? » ; « Et sur le plan philosophique ? » ; « Les transformations ».
Extraits de textes originaux (8 p.) : de Wallis, Tait, Wessel, Bellavitis, Laisant.
UN TROISIÈME PARCOURS
J’y regroupe deux textes de référence : l’Introduction et le dernier chapitre, qui éclairent les objectifs et méthodes.
L’INTRODUCTION (10 p.) :
- revient d’abord sur des thèses fondamentales chères aux équipes Nicolas Rouche : « Logique et rigueur : le sens étroit » ; « intuition et créativité : le sens large » ; « la déduction comme fil conducteur » ; « les structures pauvres et riches » ; « voir et concevoir ».
- analyse l’évolution récente de l’enseignement des maths : les fils conducteurs jusqu’en 1980, la situation actuelle, et « Que faire maintenant ? ». […] « il ne suffit plus de connaître les mathématiques et de s’appliquer à les exposer clairement depuis le début.
Il faut d’abord être familier du savoir de l’élève et chercher par quels aménagements successifs et motivés on pourra en tirer le savoir mathématique souhaité ». Ainsi, pour la linéarité, sommes-nous partis de l’addition des grandeurs et de la multiplication d’une grandeur par un naturel…
LE CHAPITRE 16. La linéarité comme fil conducteur (34 p.).
Il s’agit d’une « synthèse de tout l’ouvrage : en renvoyant systématiquement à tous les autres chapitres, elle dégage la notion de structure linéaire dans ses divers avatars de la maternelle jusqu’à dix-huit ans. C’est donc à ce chapitre que le lecteur est invité à se reporter chaque fois qu’il éprouve le besoin de savoir où il en est ».
On y trouve aussi de nouveaux exemples :
- une fonction sur des volumes et masses qui met en évidence, simplement, onze facettes de la linéarité !,
- des études sur les formats de papier, les mesures décimales, …
- des généralisations (des rapports interne et externe de la proportionnalité vers les homothéties vectorielles, les transformations linéaires, …),
- etc.
Des « conclusions » soulignent » « un premier espoir : […] que le fil conducteur de la linéarité …] soutienne la conception d’un enseignement en spirale, aide à en assurer la cohérence, et ramène l’attention sur les structures dans l’enseignement des mathématiques », en évitant – répétons-le – leur « introduction prématurée dans une forme abstraite » et « en étant attentif à leur émergence et à leur maturation à travers toute la scolarité ».
Un « deuxième espoir » est que la prise de conscience des relations entre de multiples domaines aide l’enseignant dans son traitement des difficultés rencontrées par les élèves.
MA CONCLUSION :
L’ouvrage concerne tant de niveaux, tantôt avec des études pratiques, tantôt avec des théories « creusant profond », que des lecteurs pourraient se cantonner à ce qui leur semble de leur ressort immédiat, ce qui serait déjà beaucoup (c’est pareil pour notre Bulletin !).
J’espère, avec les auteurs, qu’il en ira autrement.
Comme les précédents, ce remarquable ouvrage du CREM (conçu et réalisé avec des aides gouvernementales belges), illustre un enseignement de mathématiques qui conjugue de sages ambitions rationnelles et des méthodes déjà éprouvées… Il le fait avec un talent éblouissant qui jamais n’écrase et toujours stimule, dense avec conviction et clarté.
Un livre fondamental, à posséder, à lire et relire, dès qu’on enseigne des maths, de la Maternelle à l’Université, avec une passion raisonnée.