Éditorial du BGV n°193
Une échéance majeure
Dans moins d’un mois se déroulera le premier tour de l’élection présidentielle. L’APMEP a adressé aux différents candidats un courrier accompagné de sa plaquette « Visages » avec ses propositions et revendications.
Quel que soit le vainqueur, notre association aura à coeur de défendre l’un de ses principes fondateurs : la laïcité. Mais ce mot fourre-tout peut cacher des réalités bien différentes et sans doute, au sein même de l’APMEP, chacun n’y met pas exactement la même chose. Il y a toutefois un point sur lequel nous pouvons nous rejoindre : l’exigence d’une école publique de qualité avec des moyens effectifs pour atteindre des objectifs ambitieux. Cela passe, nous n’avons cessé de le répéter, par une formation continue qui n’apparaisse pas seulement au détour d’une réforme, mais qui accompagne l’enseignant tout au long de sa carrière.
Les candidats semblent, dans leur ensemble, sensibilisés aux inévitables transformations qu’apportera le numérique dans la société tout entière, et donc aussi dans l’éducation. Évidemment, nous ne pouvons pas encore prévoir comment les technologies de demain (demain se rapprochant singulièrement d’année en année) impacteront nos façons d’enseigner, mais nous nous doutons bien qu’il sera bien difficile à l’école de rester en dehors de ce tourbillon. Ce ne serait de toute façon pas souhaitable.
Les plans numériques se suivent, visant à inciter les professeurs à s’impliquer dans ce processus. Évidemment, il n’existe sans toute presque plus d’enseignants de mathématiques n’utilisant pas en classe une calculatrice, un logiciel de géométrie dynamique ou un tableur. Mais nous ne sommes pas encore, loin s’en faut, aux prémices d’une révolution pédagogique. Difficile de savoir si elle aura lieu, et qu’elle sera son ampleur, mais la révolution numérique est déjà en marche. Il s’agit de préparer les enseignants à en comprendre les enjeux, non pas seulement par des formations verticales, mais aussi en les associant à la réflexion qu’il faudra avoir pour accompagner des changements qui paraissent inévitables.
La formation continue ne doit pas se réduire à une bonne parole institutionnelle ou à l’acquisition de nouvelles connaissances, de nouvelles pratiques apportées par un « expert », elle doit tout autant vivre dans l’échange entre pairs. Mais cela demande un réaménagement du travail des enseignants. En amont de la formation continue, il y a évidemment la formation initiale. L’APMEP, au côté de nombreux autres acteurs comme la CFEM, milite pour un recrutement bien moins tardif que le M1. Un concours à bac + 2 paraît à beaucoup la bonne façon d’assurer une formation de qualité, tant sur le plan disciplinaire que sur le plan didactique. On peut d’ailleurs remarquer que c’est à ce niveau d’enseignement que sont recrutés les ingénieurs, les étudiants d’écoles de management, …, et c’est même à bac + 1 que l’on choisit d’être médecin. En quoi le métier d’enseignant serait-il différent ? Ne serait-ce pas le moyen d’une véritable professionnalisation au moment où les compétences pour être un professeur ne se réduisent pas à une excellence disciplinaire ? On entend beaucoup parler de fonctionnaires chez les différents candidats. La fonction publique coûte cher puisque, par définition, ce qu’elle rapporte ne peut pas facilement être mesuré. Néanmoins, quand on fait mention dans certaines enquêtes économiques de la participation des mathématiques à la richesse nationale, il semble bien que l’on oublie, par exemple, qu’il a fallu en amont former tous les acteurs de cette richesse. Ils ne sont souvent que le résultat d’une longue chaîne d’enseignants (mais pas que) qui a permis l’émergence de talents.
Pourra-t-on remplacer le professeur par un robot, un androïde qui sera capable de détecter le stress de l’élève en analysant sa pulsation cardiaque ou son degré de transpiration, en lisant dans son iris les moments de chute d’attention, en les anticipant même ? Ce jour-là, la formation des « maîtres » sera plus simple. Pour l’heure, la personne qui est devant la classe est encore bien humaine. Elle est souvent entrée dans ce métier par amour de sa discipline et elle est immédiatement confrontée à des difficultés qui n’ont pas grand-chose à voir avec ce qu’elle attendait. Dans tout métier, le contact avec le terrain se révèle bien différent de celui qui avait été annoncé durant la période de formation.
Mais celui d’enseignant demande souvent un temps long. Chacun d’entre nous se souvient de ses approximations de début de carrière. On sait bien que l’on ne devient pas professeur du jour au lendemain. La pression du « résultat » risquerait bien d’être contreproductive en la matière. Il faut donner du temps à cet apprentissage (qui d’ailleurs se poursuit tout au long de la vie professionnelle). Les règles de rentabilité de l’entreprise ont peut-être des raisons d’être dans leur univers. Elles seraient très mal adaptées à l’environnement scolaire. C’est pourquoi il est important de répéter que le statut de fonctionnaire n’est pas un luxe, mais une condition importante pour obtenir des enseignants de qualité. Avec l’idée de « refondation », les gouvernements précédents ont choisi des objectifs élevés. Sans doute un peu trop, car même si des changements ont eu lieu, on a souvent l’impression d’être devant un verre à moitié vide, ou à moitié plein. Certes la réforme des cycles est une grande nouveauté susceptible de transformer les méthodes d’enseignement (si on lui donne les moyens d’exister). Structurellement, elle ne change pas grand-chose. Une réorganisation en profondeur a souvent été évoquée au travers de formules comme bac-3, bac+3.
Mais nous n’en avons pas su beaucoup plus sur ce qui était envisagé. Pourtant, les réformes réalisées ne peuvent pas s’arrêter là. Elles doivent être au minimum suivies par une réforme du lycée. Ne serait-ce pas le moment de prolonger vraiment cette idée de refondation en allant un peu plus loin que de nouveaux programmes, de nouveaux horaires,…, mais en mettant à plat l’organisation même de notre lycée et de l’enseignement supérieur ? On nous répète un peu partout qu’il y a un impératif d’élever le niveau général pour une meilleure adaptation aux mutations profondes qui nous attendent. Certains pensent qu’il est temps d’aller vers une prolongation de la scolarité obligatoire. C’est une contribution importante au débat. Mais elle implique sans doute une réflexion en profondeur sur les contenus à enseigner et sur l’organisation du lycée (en particulier sur la place du bac dans un tel dispositif).
Comme à chaque élection, nous sommes dans l’incertitude. Les promesses seront-elles tenues ? Pour certaines d’entre elles, nous aimerions bien que ce ne soit pas le cas. Réformer l’école est un vaste chantier et nous sommes souvent restés au milieu du gué.
Attendons celle-ci. Nous verrons bien et, dans tous les cas, nous agirons pour que nos idées soient connues par nos futurs dirigeants.