Bulletin Vert n°476
mai — juin 2008
Éditorial du Bulletin 476
Il y a quarante ans,
« à bas Euclide » et vive les mathématiques modernes !
Il y a quarante ans, se déroulaient les manifestations de mai 68. Nous entendons parler de cet anniversaire longuement rappelé dans les médias. Mais nous oublions ou nous ignorons qu’il y quarante ans, c’était aussi la réforme des mathématiques modernes qui se mettait en place de la maternelle à l’université.
Je fais partie de cette génération « math moderne ». Je n’ai pas vécu la réforme à l’école primaire où je devais encore résoudre les problèmes de trains qui se croisent, mais dès la classe de sixième, mon premier cours de math est un de mes souvenirs les plus précis. Je revois ma table encombrée de papiers à découper. Nous avions débuté par la théorie des ensembles et l’une de mes premières leçons portait sur les définitions des fonctions, applications et bijections. Je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais utilisé durant toutes ces années un compas ou un rapporteur. Il m’est resté de cette formation des difficultés à dessiner mais une facilité d’abstraction certaine.
C’est après guerre que naît le besoin d’une réforme de l’enseignement des mathématiques qui occupent désormais une place centrale non seulement dans les sciences mais dans le développement économique. Les scientifiques prennent conscience de l’incroyable efficacité des structures mathématiques pour rendre compte de la réalité. L’OCDE de l’époque pousse à une évolution de l’enseignement en ce sens.
La commission Lichnerowicz est créée au début de l’année 1967. Elle est chargée par le ministre de l’éducation de réformer l’enseignement des mathématiques. Dans les programmes, une place importante est donnée à l’algèbre et à la structure des ensembles, à tous les niveaux d’enseignement, de l’école primaire à l’université. Cela va donner malheureusement, quelquefois, des définitions caricaturales dont va s’emparer la presse : « on appelle droite un ensemble $D$ d’éléments dits points muni d’une bijection $g$ de $D$ dans $\mathbb{R}$ et de toutes celles qui s’en déduisent de la manière suivante : $a$ étant un nombre réel arbitraire, on a soit $f(M) = g(M) + a$ ou $f(M) = - g(M) + a$ ». Le même enseignement de mathématiques est également proposé à ceux qui vont entrer dans la vie active et à ceux qui vont poursuivre des études longues. Il avait été voulu au tout début comme une égalité sociale face à un enseignement qui favorisait les classes instruites.
Mais c’est aussi l’époque reine de la sélection par les mathématiques dont nous ne sommes toujours pas remis. Au début des années soixante, la scolarité devient obligatoire jusqu’à seize ans. Ce prolongement des études obligatoires, ainsi que le baby boom d’après guerre, vont créer une explosion du nombre d’élèves dans le secondaire. La pénurie en enseignants qualifiés est dramatique. Seul à peu près un quart des enseignants est alors certifié ou agrégé, les autres n’ont souvent même pas la licence de mathématiques.
De plus, les licenciés de mathématiques d’alors n’ont en général pas été formés aux « maths modernes ». Et c’est malheureusement au moment de la mise en place de la réforme des mathématiques modernes, que les enseignants seront les moins bien formés sur ces notions.
Au début des années soixante, la formation continue des enseignants est pour ainsi dire inexistante. Elle est assurée par l’APMEP et la SMF sous forme de conférences.
En 1968, l’APMEP réfléchit depuis une dizaine d’années déjà à une formation continue possible. Le projet prend forme dans la charte de Chambéry où la demande de création des IREM fait son apparition.
La commission Lichnerowicz va reprendre ce projet. Le besoin en formation des professeurs du secondaire, mais aussi des professeurs des écoles est criant.
Edgar Faure annonce au mois de juin 1968, lors des Journées nationales de Besançon, la création des IREM. L’existence des I.R.E.M. impliquera un nouvel esprit de coopération entre les maîtres de tous les niveaux d’enseignement et ce nouvel esprit portera beaucoup des espoirs de la réforme.
Durant toutes ces années, la place de l’APMEP sera prépondérante. Elle contribuera à transformer l’état d’esprit des enseignants de l’époque en montrant les besoins d’une réforme pédagogique et scientifique conforme à l’avancement des mathématiques contemporaines. Mais le manque d’expérimentations des programmes de quatrième et la précipitation ministérielle à leur publication mettront un frein à la réflexion de l’APMEP entreprise depuis plus de 10 ans.
Pour l’APMEP de l’époque, si des changements de contenus étaient nécessaires, cela allait de pair avec un « dégel pédagogique » qui a pu avoir lieu en Sixième-Cinquième mais a été irrémédiablement stoppé dès la Quatrième à cause de la lourdeur et de la théorisation excessive des programmes.
La charte de Chambéry est en ligne sur ce site, ainsi qu’un texte de Gilbert Walusinski « Histoire instructive d’un échec ».