Bulletin Vert n°489
juillet — août 2010
Éditorial du Bulletin 489
Vers un Institut national de formation continue ?
Qu’on me pardonne un éditorial un peu long, mais le sujet en vaut la peine. La formation continue des enseignants français apparaît sinistrée. Si la situation n’était si désolante, on pourrait au moins se rassurer par le fait que ce constat de sinistre généralisé semble être partagé par tout le monde, jusqu’aux aveux même d’un ministre de l’Éducation nationale. On ne peut évidemment pas s’en satisfaire et une telle unanimité dans le constat impose une nécessaire refonte de l’ensemble de la formation continue. Depuis un an, le ministère affiche la volonté de la réformer en profondeur. Entre effet d’annonce et réalité, notre cœur balance et nous ne pouvons que souscrire aux intentions volontaires. L’APMEP a, en tous les cas, des propositions à faire.
Le colloque de l’Académie des sciences
Au mois d’avril 2010, l’Académie des sciences a organisé un colloque intitulé "Cultiver la science ; la formation continue des professeurs enseignant les sciences". Il a été proposé à l’APMEP de faire partie du comité d’organisation et nous n’avons pas hésité, compte tenu de l’enjeu et des actions à suivre possibles [1].
La date du colloque était parfaite car elle suivait notre comité de mars qui venait de se positionner et de voter un texte sur les modalités possibles d’une formation continue entièrement repensée. De plus, nous n’étions pas la seule association de spécialistes, puisque l’UDPPC et l’APBG étaient également membres du comité d’organisation. Cela nous a permis de disposer de trois temps de participation et d’intervention.
Tout d’abord, un collègue a présenté le témoignage d’un enseignant, ses besoins en formation continue, les difficultés à s’y insérer, à trouver des stages puis à y participer et rattraper ou non ses cours. Dans un deuxième temps, Gilbert Faury de l’APBG et moi même, avons disposé d’une demi-heure plénière pour présenter les analyses communes des trois associations de spécialistes, les demandes et les propositions de changement nécessaire à une formation que nous souhaitons voir se mettre en place. Il est frappant de constater une quasi unanimité dans nos analyses et revendications, avec, pour les mathématiciens, le modèle particulier des IREM à promouvoir et pour nos collègues des sciences expérimentales, ce même modèle en horizon.
Enfin, j’avais la charge de diriger un atelier centré sur la formation continue à distance au lycée. L’intérêt essentiel qui est ressorti de l’atelier a été de montrer qu’une formation continue à distance ne pouvait remplacer des moments de présence des stagiaires [2]. Il était en effet important d’affirmer clairement qu’une formation continue à distance doit, certes, être un outil intéressant à utiliser, mais ne peut se réduire à cette manière, seulement dans un souci d’économie dont on voit par ailleurs qu’il semble principal dans la gestion de l’Éducation nationale actuelle.
Il était d’autant plus important de l’affirmer, de le prouver par les interventions de l’atelier, lorsqu’on entend le Recteur Monteil [3] préciser que les enseignants de terrain doivent « se saisir de leur propre formation continue ». Si cette expression signifie que l’État peut, de cette manière, se désengager de sa mission, qui doit consister à organiser une formation continue à ses employés, nous ne serons bien entendu pas d’accord.
L’explosion du numérique permet de trouver énormément de documentations en ligne et on voit vite le raisonnement qui consiste à laisser les professeurs se former sur Internet, par leurs propres moyens, grâce à ce qui peut se présenter comme une offre très riche de formation. En revanche, j’ai plutôt envie de reprendre à mon compte l’expression du Recteur Monteil : oui, nous, enseignants du secondaire et du supérieur, nous comptons nous saisir de la problématique de formation continue, grâce notamment à l’action de l’APMEP. Nous avons des demandes précises, des réflexions argumentées, des propositions élaborées à soumettre au ministère. C’est justement tout l’enjeu de ce Bulletin.
Le séminaire de l’APMEP : La formation continue repensée
Notre séminaire de 2010 était consacré à la formation continue, non sans raison, avec un esprit de continuité. Il le fallait car depuis pas mal d’années, le constat est accablant et chaque réunion de nos comités le démontre. La formation continue ne fonctionne plus. Pour essayer d’avoir des éléments d’analyse institutionnels, nous avons sollicité la DGESCO qui a bien voulu apporter des informations. Depuis une quinzaine d’années, la DGESCO a engagé une enquête dont le but est de mesurer le réalisé de l’activité de formation. Virginie Gohin, Responsable du bureau de la formation continue à la DGESCO, a eu l’amabilité de venir présenter cette enquête. Si l’on ne devait retenir que deux chiffres, ce seraient sans doute le nombre moyen de jours par enseignants formés : 6 jours pour les professeurs du premier degré, 2,6 jours pour les collègues du secondaire. Mme Gohin reconnait la difficulté à interpréter ces résultats, compte tenu des disparités importantes dans l’encodage des formations proposées dans chaque académie. En effet et pour illustrer ce fait par un exemple, selon que la formation propose ou non des TICE, utilisés ou non en mathématiques, les informations ne sont pas identiquement comptabilisées. Toutefois, cette présentation a un mérite immédiat : celui de montrer que l’offre de formation continue se décline d’une manière illisible, tout en étant enfermée dans des priorités académiques imposées par les contextes locaux. Il semble alors que l’organisation même de ce système de formation soit en cause.
Notre second intervenant au séminaire, René Cory, nous le montre d’une façon efficace, en indiquant plusieurs pistes qui guideront notre réflexion à venir [4] :
L’offre de formation est illisible ;
Il est important de réhabiliter la formation de longue durée ;
Il est indispensable de coordonner et organiser l ’offre de formation ;
Il faut prendre en compte à leur juste valeur les actions de formation ;
Il faut rester vigilants par rapport aux offres qui paraissent alléchantes ;
Il faut prendre en compte la potentialité de l’outil « formation à
distance.
Et notre collègue René Cori de conclure sur ce qui sera l’objet de notre réflexion future :
Si l’on souhaite une Éducation Nationale de qualité, on a besoin d’une formation continue de qualité. On attend donc un signal fort de l’institution montrant qu’elle en fait une grande cause nationale.
Le très intéressant débat qui s’en est suivi a permis de dégager plusieurs idées fortes qu’il est bon de rappeler.
Le caractère obligatoire de la formation continue doit être imposé à l’État qui a une responsabilité de formation de ses employés. Dans le premier degré, cette obligation a une incidence sur le nombre de journées de formation. Il doit en être de même dans le second degré.
L’aspect de valorisation de la formation continue n’a pas été oublié non plus. Il sera un élément déterminant.
Il a été également souligné la nécessité de mener une réflexion permanente entre formation initiale et formation continue qui doit valoriser la première.
Les conditions d’entrée dans le métier sont de plus en plus difficiles et la situation des stagiaires à la rentrée de septembre nous le confirme. On voit émerger des instituts privés qui, par un marketing aguicheur, incitent les jeunes enseignants à venir se payer « une formation de qualité indispensable clé en mains ». Le pire est que cela va certainement marcher.
Notre débat a permis également à nos collègues de l’Union des physiciens (UDPPC) et de l’Association de Biologie et Géologie (APBG) d’intervenir, dans la suite du colloque de l’Académie des sciences. Gilbert Faury a insisté sur l’importance du volet scientifique de la formation continue. Un réel besoin de maintien du niveau disciplinaire et scientifique est demandé par les enseignants, soit sous forme de stages en laboratoires, soit sous forme de cours à l’université, rendant nécessaire des stages longs.
Vers un Institut de formation continue ?
Face à cette illisibilité et au manque d’organisation sérieuse et efficace de la formation continue, aux difficultés qu’ont les instances nationales d’établir des priorités claires, aux disparités académiques dans les modalités d’organisation et de mise en place de cette formation, un autre système s’impose. Le colloque de l’Académie des sciences a permis l’émergence de plusieurs idées qu’il faudra faire évoluer. Jean-Pierre Raoult, Président du Comité scientifique des IREM, a su montrer la pertinence du réseau des IREM dans l’offre de formation. Il a, avec objectivité et responsabilité, présenté la structure des IREM en véritable modèle.
Jean-Pierre Raoult n’a pas seulement vanté les mérites mais a également su exposer les points forts et faibles du réseau des IREM [5]. Notre réflexion doit à présent s’orienter vers ce que pourrait être une formation continue repensée, obligatoire et valorisante pour les enseignants, dans une redéfinition de sa durée, de son organisation et de ses finalités. Nos IREM, auxquels nous sommes profondément attachés car ils ont montré leur efficacité, peuvent ou doivent trouver une évolution tout en restant un modèle viable. C’est en tout cas le sens vers lequel peuvent nous mener nos débats futurs. L’idée de créer un Institut national de formation continue est posée. Basée sur le principe d’un réseau national, lui-même alimenté par des Instituts régionaux, cette idée peut s’avérer devenir une proposition intéressante. Les contours d’une telle entreprise sont à construire.
L’objection, entendue au séminaire, qui met en garde de mettre en place une structure trop centralisée, qui déciderait, depuis Paris, du contenu du stage organisé dans le collège du Médoc, est effectivement à entendre. La notion sémantique d’Institut est surement à étudier, certains préférant Conseil national ou Comité national de formation continue. Mais l’idée forte est avant tout celle du réseau qui laisserait une part d’initiative locale, tout en garantissant le caractère national de la formation des professeurs. Bref, on le voit, le chantier est ouvert.
Le Colloque de l’Académie des sciences d’avril 2010 présentera ses conclusions en septembre. L’APMEP souhaite également contribuer à faire avancer ses idées.
Nos prochains comités y travailleront, pour une APMEP, certes centenaire, mais en marche.