Bulletin Vert n°516
novembre — décembre 2015
Éloge des mathématiques
par Alain Badiou avec Gilles Haéri
Flammarion, 2015
128 pages en 13 × 20, prix : 12 €, ISBN : 978-2-0813-5245-2
Alain Badiou, écrivain et philosophe, professeur honoraire à l’ENS, répond aux questions de G. Haéri, éditeur et agrégé de philosophie.
L’exposé est structuré en cinq chapitres :
- I. Il faut sauver les mathématiques.
- II. Philosophie et mathématiques ou l’histoire d’un vieux couple.
- III. De quoi parlent les mathématiques ?
- IV. une tentative de métaphysique étayée sur les mathématiques.
- V. Les mathématiques font-elles le bonheur ?
Pendant quelque vingt-cinq siècles, de Pythagore à Poincaré en passant par Platon, Descartes, Leibniz, tous les grands philosophes furent aussi mathématiciens, et réciproquement. Alain Badiou ne l’a pas oublié, lui qui, parallèlement à ses études de philosophie à l’ENS, suivit deux années de mathématiques en Sorbonne, et les pratique encore quasi-quotidiennement. Son système philosophique s’appuie sur quatre piliers, quatre genres de vérités, selon lui indispensables à la pensée philosophique : vérités scientifiques, politiques, artistiques, amoureuses.
Rien d’étonnant donc si, après un « Éloge de l’amour » et un « Éloge du théâtre », il nous livre un « Éloge des mathématiques » et nous promet pour bientôt un « Éloge de la politique ». Pour lui, philosophie rationnelle et mathématiques naissent en même temps ; ces dernières « participent de la pensée démocratique » car celui qui a fait une erreur s’incline toujours devant une démonstration ; en mathématiques, « la liberté, loin de s’opposer à la discipline, l’exige ». La philosophie « s’incline devant les mathématiques » ; la place laissée vacante par le renoncement à Dieu est occupée par la théorie des ensembles, qui obéit aux « quatre principes d’absoluité » : elle est immobile (intemporelle), elle est intelligible à partir de rien, elle ne se laisse décrire qu’à partir d’axiomes, elle obéit à un principe de maximalité.
Dans ce texte court, mais dense, le lecteur plus mathématicien que philosophe retrouvera des démonstrations fameuses très clairement exposées, comme la non-équipotence d’un ensemble avec l’ensemble de ses parties ; il sera parfois un peu dérouté par de rares bribes de vocabulaire spécialisé : ainsi je n’ai pas entièrement saisi le sens de « la classe des ensembles "existe" sans pour autant être ». Ces petites difficultés d’accès ne peuvent que motiver les esprits curieux et désireux d’approfondir leur pensée. Ceux-ci auront aussi l’occasion de débattre certaines options prises par Badiou, qui, par exemple, est ouvertement platonicien, considérant que les objets ou structures mathématiques « existent » en un certain sens ; ils pourront se demander si les arguments de l’auteur à ce sujet ne vont pas, en fait, dans le sens de la thèse inverse. Et plus d’un sourira devant la fréquence et l’acuité des « piques » lancées aux « nouveaux philosophes ».
Notons par ailleurs que les opinions de Badiou sont pleinement « APMEP-compatibles », puisqu’il se soucie de faire aimer les mathématiques, qu’il veut convaincre qu’elles sont intéressantes, et voit pour cela trois moyens : la résolution de problèmes, présentés comme des énigmes ; l’appui sur l’histoire des mathématiques ; l’enseignement de la philosophie dès la maternelle.
Je conseille à tous les enseignants de mathématiques de lire ce livre, de le méditer, et de le faire lire à leurs collègues de philosophie : ceux qui adhèrent aux thèses de Badiou devraient être ouverts à des activités interdisciplinaires maths-philo. Les étudiants en mathématiques et en philosophie devraient également en tirer le plus grand profit.