Bulletin Vert n°514
mai — juin 2015
Évariste
par François-Henri Désérable
Gallimard, 2015
176 pages 14 × 20,5, prix : 16,90 €, ISBN : 978-2-07-014704-5
Les livres sur Évariste Galois ont fleuri en 2012, bicentenaire de sa naissance (voir BV n° 498) ; celui-ci, plus récent, classé « roman », est plutôt un récit, sans dialogues ni personnages imaginaires, respectant un strict ordre chronologique, sans contradiction avec les précédents ; il est divisé en vingt chapitres (sans titres), volontairement autant que d’années vécues par Galois. Sont inclus quelques extraits de textes (non mathématiques) de celui-ci. Les épisodes incontournables sont à leur place : double échec à Polytechnique, mémoire perdu, mémoire refusé, empêchement de participer aux « Trois Glorieuses », séjour en prison, épidémie de choléra, renvoi de l’École préparatoire, nuit de fièvre créative juste avant le duel fatal. Pour les questions, restées historiquement sans réponse, de la cause du duel et de l’identité de l’adversaire, l’auteur assume la subjectivité de son choix en faveur d’une histoire d’amour, non sans évoquer les autres hypothèses ; s’il introduit quelques scènes pleines de vie, il souligne qu’elles ne sont que le fruit de son imagination. La figure du père, Gabriel Galois, suicidé, a une place plus importante que dans d’autres ouvrages.
L’objet des recherches mathématiques de Galois, et leurs conséquences posthumes, sont résumées aussi bien que peut le faire un écrivain nullement familier des mathématiques.
Ce livre a donc un certain intérêt historique, au moins pour ceux qui ignoreraient tout de la destinée de Galois ; mais c’est surtout une belle œuvre littéraire dans laquelle son jeune auteur exprime sa fascination pour un personnage hors du commun. En concordance avec le sujet, le style est lyrique, flamboyant, les longues phrases, souvent énumératives, font voisiner un vocabulaire « relevé » et des termes volontairement vulgaires. Une apogée est naturellement atteinte dans l’évocation de la dernière nuit : « … ce je-ne-sais-quoi qui vous touche à l’improviste et qui parfois vous foudroie, vous laissant pantelant dans la nuit, au petit matin chancelant d’avoir connu tout à la fois l’ivresse et la fureur, l’absolu, le vertige et le salut. La grande fête de l’esprit, mademoiselle... ».
Les procédés littéraires consistant à s’adresser à une jeune fille, à lui enjoindre de s’identifier tantôt à Évariste, tantôt au chapeau de celui-ci (!), à écrire « si je devais écrire un livre sur la vie d’Évariste » (sorte d’autoréférence puisqu’on est en train de le lire) peuvent au choix être qualifiés de trouvailles, faire sourire, ou agacer. L’important est qu’un ouvrage tout-public, bien médiatisé, et fort agréable à lire, a pour sujet la vie d’un mathématicien, et le traite sans caricature ni erreur historique flagrante.
Il faut s’en réjouir, et lire et faire lire Évariste.