Bulletin Vert no 452
mai — juin 2004
GÔDEL
par Pierre Cassou-Noguès.
Collection Figures du savoir – Éditions Les Belles Lettres – 2004.
190 pages en 13,5 × 21
ISBN : 2-251-76040-7. Prix : 15 €.
Il ne s’agit pas d’une biographie de Gödel (l’auteur résume sa vie en une demi-page et renvoie à une biographie complète, par J.W. Dawson, par une note page 14), mais d’une présentation de « l’œuvre logique et les analyses philosophiques qui la prolongent », ainsi que de ses rapports avec les conceptions passées et contemporaines, de Platon et Descartes à Turing et Russell.
Structure de l’ouvrage :
- Repères chronologiques
- Introduction
- Chap. 1 : Gödel dans la bibliothèque de Babel
- Chap. 2 : Gödel dans l’histoire des sciences
- Chap. 3 : Le théorème d’incomplétude
- Chap. 4 : 1934/1937 La calculabilité
- Chap. 5 : 1938 L’hypothèse du continu
- Chap. 6 : 1958 Le fondement de l’arithmétique
- Conclusion
- Notice des principales figures évoquées
- Bibliographie
Cet ouvrage est une merveille de clarté et de pédagogie. Il parvient à mettre à la portée de tout lecteur un tant soit peu scientifique (tout adhérent de l’APMEP, par exemple) des notions hautement abstraites ; fait remarquable, il ne se contente pas d’énoncer de façon rigoureuse les résultats de Gödel (dont nous avons tous entendu parler plus ou moins vaguement) mais il en fournit les démonstrations. En particulier le « raisonnement de la diagonale » est utilisé plusieurs fois dans des contextes différents, si bien qu’en fin de lecture il est devenu presque aussi familier qu’un raisonnement par l’absurde ou une récurrence. C’est ce raisonnement (dû à Cantor) qui montre que les réels ne sont pas dénombrables : supposant que les réels, écrits chacun comme une suite infinie de chiffres, sont numérotés (c’est-à-dire mis en bijection avec les naturels), pour tout $n$ naturel, on appelle $x_n$ la $n$-ième décimale du $n$-ième réel. On construit alors un réel C en choisissant pour sa $n$-ième décimale : 1 si $x_n = 0$ , 0 si $x_n \neq 0$. C ne peut pas appartenir à la liste, car il y figurerait avec un numéro $p$, et sa $p$-ième décimale serait $x_p$.
Ce même raisonnement est à la base du paradoxe de Richard (page 21), on le retrouve dans la définition de la calculabilité et des machines de Turing (page 84) et plusieurs autres fois dans l’ouvrage.
L’importance de la notion de définition imprédicative (i.e. qui caractérise un objet en fonction d’un ensemble auquel il appartient) est également mise en lumière.
Le grand théorème d’incomplétude est lui-même démontré de façon, sinon évidente, du moins lisible et convaincante.
La fin de l’ouvrage est de tendance plus philosophique, sans qu’il y ait jamais rupture de point de vue. On y voit Gödel arriver à la conclusion que l’esprit mathématicien n’est pas réductible à une machine de Turing, en ce que, contrairement à celle-ci, il « se comprend lui-même », et qu’il est capable de progrès ; et rejoindre le platonisme, selon lequel il existe une réalité mathématique indépendante de nos constructions. Il commence sur la fin de sa vie une théorie des concepts, restée inachevée et un peu floue, mais néanmoins prometteuse.
On ressort de cette lecture avec l’impression euphorisante d’avoir accédé à un cercle supérieur de la pensée.
Seul petit regret : l’absence d’extraits de textes originaux de Gödel, qui auraient pu montrer au profane dans quel langage se font les échanges à ce haut niveau.