Bulletin Vert n°487
mars — avril 2010

Géométries de Port-Royal

par Blaise Pascal, Antoine Arnauld, François de Nonancourt
édition critique par Dominique Descotes

éditions Honoré Champion, 2009 — Collection Sources Classiques
un volume cartonné, 874 pages en 15 × 22, ISBN : 978-2-7453-2002-5

 

Cet ouvrage est formé de :

  • une introduction, par D. Descotes (78 pages) ;
  • le seul fragment non perdu de l’Introduction à la géométrie, par Blaise Pascal (6 pages) ;
  • le texte intégral des Nouveaux éléments de géométrie, par Antoine Arnauld, avec les variantes des éditions de 1667, 1683 et des Œuvres publiées de 1775 à 1783 ; (708 pages, y compris une préface de Pierre Nicole, une annexe sur les carrés magiques, et des appendices) ;
  • le texte original en latin, et la traduction, de Euclides logisticus, par François de Nonancourt ;
  • bibliographie (12 pages) et index (6 pages).

Port-Royal-des-Champs, fort ancienne abbaye, était dans la deuxième moitié du 17e siècle un lieu de retraite et de rencontre de nombreux intellectuels, dont Blaise Pascal ; c’était le foyer du Jansénisme, qui s’opposait aux Jésuites et à l’absolutisme royal. Antoine Arnaud, l’un des principaux chefs de file des jansénistes, dont deux sœurs furent abbesses de ladite abbaye, et ami de Pascal, était au moins aussi connu en tant que philosophe et théologien qu’en tant que mathématicien ; il a écrit une Logique, dont de nombreux extraits sont cités en notes. François de Nonancourt, également janséniste, résidait à Gand ; il hébergea temporairement Arnauld, persécuté en France.

Les trois ouvrages rassemblés ici ont en commun de vouloir refonder la géométrie, c’est-à-dire compléter, clarifier, réorganiser, rendre plus rigoureux, les Éléments d’Euclide. Pascal, le premier, rédigea un manuel de géométrie élémentaire, en 1654, et soumit son manuscrit à Arnauld. Celui-ci l’estima confus, manquant de méthode et d’ordre naturel ; mis au défi, par son ami, de faire mieux, il rédigea ses Nouveaux éléments, dans lesquels les onze livres sur les lignes, surfaces, angles, polygones, sont précédés de quatre livres sur les grandeurs en général ; Pascal reconnut aussitôt leur supériorité, et condamna son propre ouvrage au feu : ce qui explique qu’il n’en reste que les quelques lignes reproduites ici. Le livre de Nonancourt, paru après la première édition de celui d’Arnauld, inspira à ce dernier un profond remaniement de plusieurs chapitres, pour la réédition de 1683.

Outre son introduction, Dominique Descotes intervient par d’abondantes notes de bas de pages : texte des diverses variantes, explicitations en notations modernes, détails historiographiques, …

L’orthographe a été modernisée, mais la ponctuation, les notations et les figures sont d’époque : juste compromis entre l’authenticité et la lisibilité.

Cet ouvrage nous permet d’assister directement à l’émergence de concepts et de notations qui nous facilitent bien des choses, et dont on oublie souvent qu’ils n’ont pas toujours été : les précautions oratoires, la timidité qui entourent l’usage des nombres négatifs, de la notation fractionnaire, des signes + et =, peuvent prêter à sourire à première vue ; elles sont sous-tendues par la nette distinction, sous Louis XIV comme au temps d’Euclide, entre nombres et grandeurs. Quelques sommations infinies apparaissent. Et une certaine intrication subsiste entre science et théologie. On peut tirer de cette observation une réflexion d’ordre pédagogique, car les sauts conceptuels qui ont historiquement posé problème se retrouvent souvent dans l’évolution individuelle de nos élèves. D’ailleurs la pédagogie est un souci constant chez Arnauld, qui cherche un ordre « naturel » de présentation des concepts ; il évite chaque fois que c’est possible les démonstrations « apagogiques », c’est-à-dire par l’absurde ; il préfère la démonstration qui éclaire l’esprit à celle qui le contraint ; il multiplie souvent les démonstrations d’une même proposition, afin de leur donner du sens ; par contre il se refuse à démontrer les évidences sensibles, et son axiomatique est parfois redondante ; il propose fréquemment des Problèmes (corrigés) et laisse au lecteur quelques démonstrations élémentaires.

Cet ouvrage érudit, d’un abord austère, s’adresse à un public cultivé, et n’évite pas toujours un certain élitisme : le contexte historique, les éléments biographiques (sauf pour Nonancourt), sont supposés connus et évoqués par allusions (merci Wikipédia d’avoir comblé mes lacunes) ; les lecteurs non-latinistes se sentiront quelque peu méprisés en rencontrant des textes latins non traduits (d’autres le sont). Et les textes originaux ne sont eux-mêmes pas toujours sans ambiguïté, de par la polysémie de certains mots et symboles.

Néanmoins, pour jouir de cette lecture enrichissante sur les plans historique, pédagogique, et scientifique, il suffit de quelques efforts, et d’un bagage mathématique ne dépassant guère le niveau collège.

 

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