Bulletin Vert n°512
janvier — février 2015
Hommage à Georges Lion
Catherine Philippe
Georges Lion est mort le 14 novembre dernier, peu après Alexandre Grothendick.
Sa mort ne fera pas l’objet d’un article dans Télérama. Je tiens ici à lui rendre hommage. C’était un grand mathématicien, un grand pédagogue, un sage, un ami très cher. Je l’ai connu en 1976 car il fut mon professeur de topologie à la faculté de Limoges, et depuis je n’ai cessé de penser à lui, de lui écrire, pour lui faire part de mes questionnements de jeune, puis de vieille prof de maths de plus en plus désabusée par le monde. Dans ses leçons de topologie, puis plus tard d’analyse complexe, puis de préparation à l’agrégation, j’ai vu la pensée de l’homme se construire, je comprenais, j’étais emportée par son intelligence et son humilité. J’ai admiré le professeur et à chaque fois que je dois transmettre à mon tour une notion délicate à mes élèves je pense à lui. Mais j’ai aussi aimé l’homme. En 76, il vivait dans un moulin en pleine campagne limousine, et j’ai eu la chance d’y être invitée plusieurs fois. J’y ai rencontré sa femme, elle aussi extraordinaire, et sa fille. Ils élevaient des chèvres, et bien souvent Georges arrivait en cours avec de la paille dans les cheveux. Ce côté « paysan » m’a bien sûr ravie, moi fille de paysan creusois.
Puis un jour, Georges est parti à Nouméa, puis à Wallis, où il a été vraiment heureux, loin de notre civilisation déboussolée. À Wallis, il était adoré. Il a donné des cours en lycée et en collège. Il a donné des cours particuliers à des enfants. Il m’a beaucoup parlé d’une petite Wallisienne qu’il a réconciliée avec les maths. Elle détestait les calculs mais adorait la géométrie. Elle a négocié avec Georges « Grand père je veux bien faire un peu de calcul avec toi mais avant on fait un peu de géométrie » Et c’est ainsi qu’au fil des nombreuses séances, la petite a réussi à faire des constructions géométriques à la règle et au compas de plus en plus difficiles, et a avoué à Georges que ça lui avait appris à réfléchir.
Georges était avant tout géomètre. Il pestait contre les nouveaux programmes scolaires. Il a souvent résolu des problèmes difficiles de géométrie du bulletin vert.
Georges n’avait ni téléphone portable ni carte bleue, mais ça ne l’empêchait pas de revenir en métropole une fois par an à peu près (30 heures d’avion quand même).
Il faisait alors la tournée de ses amis, en Limousin, et ailleurs. Et il venait me voir. Il avait quand même un ordinateur (un ordinateur « sournois » selon ses termes), ce qui facilitait les échanges. Il répondait sur le champ à toute question mathématique qui me taraudait. En 2010, Georges m’a ainsi fait comprendre en un mail la conjecture de Poincaré, en avouant (mais je ne le crois pas) ne pas comprendre un traitre mot à la démonstration de Perelman. Et dans ce mail il écrivait aussi « à mon modeste point de vue cette histoire [la conjecture de Poincaré enfin démontrée] montre au moins que les inspecteurs de maths en France sont vraiment ridicules lorsqu’ils parlent de conjecture au sujet d’un problème du secondaire dont un élève a deviné la solution avant de l’avoir explicitée »
Georges est mort à Wallis et les Wallisiens lui ont rendu hommage.