JN 2023 — Rennes
Le discours d’ouverture
de la présidente de l’APMEP
Maths en l’R
Mesdames, Messieurs, Chers ami⋅e⋅s, chers collègues
C’est avec un véritable plaisir que je vous retrouve toutes et tous aujourd’hui à Rennes pour ces Journées Nationales. J’avais besoin de prendre avec vous un grand bol d’R, retrouver votre compagnie joyeuse et créative et donc ressourçante.
Faire face ensemble à la douloureuse période que nous traversons, dans son accélération et sa gravité.
À l’heure d’écrire ces mots, je suis frappée par la justesse sémantique de la thématique qui a été choisie par la régionale de Bretagne. L’ensemble des rationnels et des irrationnels… N’est-ce pas la définition de notre époque, tant à l’école que dans la société entière ? Les signaux d’alerte retentissent de toutes parts, de la 6e limite planétaire, celle du cycle de l’eau douce, qui a été dépassée, à celles concernant la dégradation des services publics de l’état, hôpital, services sociaux et à l’éducation nationale. À l’école, on s’inquiète du bien-être des élèves, de leur niveau, de leurs conditions d’accueil dans nos établissements.
Nous naviguons chaque jour parmi des injonctions irrationnelles. Réparer en nos murs toutes les cassures que la société produit. Avec des moyens rationalisés bien sûr…
Face aux difficultés observées, on nous répond souvent qu’il y a « urgence ». Je n’aime pas ce mot. Il permet trop souvent à nos nouveaux ministres de justifier la mise en place précipitée et non concertée de mesures, qui seront par la suite amendées sans logique, souvent annulées. J’aimerais pouvoir dire également vite oubliées mais le plus souvent, elles laissent des traces pérennes. Notre nouveau ministre n’échappe pas à cette course frénétique. Reconnaissons qu’il a salué notre travail et notre engagement dans toutes ses interventions. Il a aussi modifié le calendrier des examens comme nous le demandions depuis la mise en place de la réforme. Cependant, annonces, rapports et nouvelles organisations ont ensuite fait naître inquiétude et désarroi.
L’inquiétude : Parmi ces annonces, une idée louable : l’engagement présidentiel (pas vraiment tenus pour l’instant) d’un « professeur devant chaque élève ». Cette idée devrait cependant s’appuyer sur des moyens calibrés en fonction des besoins de remplacement. Non sur l’unique et excessive rationalisation de notre temps de travail. Cette promesse présidentielle entraîne déjà des blocages dans l’organisation de la formation continue par exemple. Dans plusieurs académies, les inscriptions à des parcours au sein des Écoles Académiques de Formation continue (EAFC) sont temporairement bloquées.
Le temps dédié à la formation continue des professeurs ne devrait pas être une variable d’ajustement. C’est un outil indispensable pour répondre à l’évolution de nos métiers. Nous n’acceptons pas qu’elle soit sacrifiée pour compenser l’inadéquation entre promesse politique et moyens alloués.
Le désarroi : parce que face aux difficultés des élèves, les solutions proposées comme les groupes de niveau en français et en mathématiques semblent inadaptées ou inapplicables. Inadaptées parce que comme le rappelle par exemple, Dominique Lafontaine lors la conférence de consensus du CNESCO [1], « les classes de niveaux (différenciation structurelle) ont un effet neutre ou accroissent les inégalités sociales ». Inapplicables parce que si la même chercheuse souligne que « les groupes temporaires de niveau (différenciation pédagogique) ont un effet positif », cette mise en œuvre ne peut s’effectuer à moyens horaires constants. On voit dès cette année que le manque de moyens alloués ou d’enseignants s’engageant dans le PACTE, génère une grande inégalité dans l’organisation des heures de consolidations et d’approfondissement en 6e. Et le prochain échec de cette annonce sous-dotée, bricolée en comptant encore et toujours sur notre engagement professionnel, transformera un dysfonctionnement systémique en responsabilité individuelle des enseignants. Nous demandons plutôt que la baisse démographique puisse permettre de baisser les effectifs des classes et ce à tous les niveaux.
Urgence ? Décidément non. Je refuse le corollaire de ce mot qui justifie tout mais ne résout rien, et vous propose plutôt de réfléchir ensemble à redéfinir nos priorités .
Mais comment procéder ?
Pour commencer, faire « ensemble » : dans toute situation complexe, ma conviction profonde, est que la solution ne peut venir que du collectif. C’est ce que j’ai expérimenté chaque jour de ma présidence à l’APMEP : l’engagement de toutes et tous dans l’association fait sa force. Pour faire face à tous les aléas qui rythment la vie d’une association, une nouvelle secrétaire à recruter, un énorme problème informatique, une réponse à apporter toujours pour la veille… Savoir que je peux m’appuyer sur des adhérentes et des adhérents investi⋅e⋅s, me rassure, me porte et permet de tenir même quand la charge paraît lourde. La présidence est un rôle passionnant mais qui serait impossible à assumer sans ce collectif et ces valeurs communes qui soutiennent mon engagement et dont j’espère porter la voix dignement. Je veux vraiment remercier toutes les figures de l’ombre qui agissent, réagissent et répondent présentes et que j’ai tant de bonheur à retrouver à chaque occasion.
Ensuite, ralentir.
Bien sûr, nous répondrons présents pour être auditionnés par la mission « exigence des savoirs », nous ne laisserons pas passer une occasion d’exprimer notre point de vue. Cependant, ne peut-on pas s’interroger sur le calendrier de cette consultation ? Huit semaines ? Le directeur général des affaires scolaires a bien insisté sur la nécessité de ne pas faire un énième rapport mais de formuler des propositions. Mais comment en si peu de temps seront-elles entendues et ainsi prises en compte ? Comment se prémunir de n’être que la caution méthodologique de décisions déjà prises ?
Le temps politique ne doit pas être celui de l’école.
Enfin, revenons à notre raison d’être, aux fondamentaux, ils sont à la mode. Pour nous, c’est le texte d’orientation de l’association. Il est ancien puisqu’il date de 2010 mais récent à l’échelle de la vie de l’APMEP et surtout d’une pertinence et d’une jeunesse qui me donne envie de reconvoquer ces axes forts comme appui de notre réflexion.
L’école que nous voulons construire.
L’école a pour buts de transmettre un patrimoine culturel aux nouvelles générations, et de développer, chez tous les élèves, un ensemble de connaissances, capacités et attitudes, au service de leur vie personnelle et sociale, et, à terme, citoyenne et professionnelle. Cet ensemble est d’abord commun à tous, puis progressivement spécialisé, surtout à partir du lycée. L’école est aussi un lieu où l’on apprend la vie en société, la coopération et la démocratie. La pédagogie, quant à elle, doit favoriser le plus possible l’implication des élèves dans leurs apprentissages. Les professeurs ont également pour rôle de certifier les acquis de leurs élèves, notamment lorsque des décisions d’orientation sont à prendre. L’école est inclusive et vise le développement du maximum de potentialités de chacun, et doit mettre en œuvre des moyens suffisants pour aider ceux qui en ont le plus besoin. Il s’agit de développer, en complément des séances de classe, des « dispositifs d’accompagnement » plus différenciés et plus personnalisés.
Cette partie répond bien aux questionnements que nous partageons avec le collectif Maths&Sciences sur l’organisation du lycée : il est question d’une part de la nécessité pour tous les élèves de disposer d’une culture scientifique commune, dont les mathématiques font partie et d’autre part de proposer en parallèle des parcours aux élèves leur permettant de développer des compétences mathématiques plus spécialisées qui seront l’appui de leur poursuite d’étude dans le supérieur. Elle répond aussi aux propositions de groupes de niveau ou d’année supplémentaire formulées çà et là : les dispositifs d’accompagnements viennent en complément des séances de classe, il ne s’agit donc pas d’enfermer les élèves dans des parcours précoces nuisant à leur estime de soi et dont la recherche a montré l’inefficacité. Nous rappelons aussi notre expertise concernant l’évaluation des élèves qui va à l’encontre de la multiplication des évaluations qu’elles soient nationales ou le fait de certificateurs externes.
L’école que nous voulons construire est inclusive, elle émancipe, elle apprend la coopération et la démocratie.
Quelles mathématiques voulons-nous enseigner ?
L’enjeu essentiel de la pratique des mathématiques est la formation au raisonnement, à l’abstraction, à la conceptualisation. Cette formation donne à l’élève un outil de pensée qui lui permet de mieux comprendre le monde et d’y jouer pleinement son rôle d’acteur citoyen ; elle développe en effet son intelligence, ses capacités de jugement, de communication, de création, d’émotion, de rigueur, et d’esprit critique. L’apprentissage régulier de la résolution de problèmes, centrale dans notre discipline, favorise non seulement la compréhension des mathématiques, mais également le traitement par la modélisation de nombreuses situations rencontrées dans la vie quotidienne. Cette démarche est tout-à-fait accessible aux élèves, qu’on entraîne ainsi à une opération intellectuelle fondamentale.
Le paragraphe se termine en évoquant le plaisir de pratiquer les mathématiques et c’est d’ailleurs ce double message que nous avions porté avec les représentantes de la CFEM [2] et de L’ADIREM [3] auprès des inspecteurs et inspectrices ; Cela avait été l’occasion d’un temps de travail riche et constructif autour des mathématiques pour toutes et tous. C’est aussi ce qui nous a conduit à participer à la banque de problèmes du 3e groupe de travail du CSEN [4]. Pour diffuser plus largement les belles ressources que nous produisons, qui permettent à la fois de développer les compétences de résolution de problèmes et la créativité des élèves. Cette partie montre aussi l’ambition que nous avons pour nos élèves.
Les mathématiques que nous voulons enseigner développent l’intelligence, l’esprit critique et sont source de plaisir.
Quelle formation ?
Le texte affirme ensuite la nécessité pour tous les enseignants et les enseignantes d’avoir à la fois « de solides connaissances et compétences en mathématiques », mais aussi d’« être des spécialistes de l’apprentissage des mathématiques. Les professeurs devraient bénéficier, dans le cadre de leur formation continue, des apports de la recherche dans tous ces domaines, afin de pouvoir optimiser petit à petit leur enseignement. » nous rappelons aussi que la formation continue « pour qu’elle soit vraiment effective, elle doit être intégrée de façon claire dans le « service » de chaque enseignant, tout au long de sa carrière, et donc être reconnue au même titre que les autres activités professionnelles ».
Se former toujours.
Nous rappelons enfin la nécessaire liberté pédagogique dont nous devons disposer à l’intérieur du cadre de l’application des programmes. Nous devons pouvoir choisir « nos progressions annuelles ou par cycles, les situations proposées et leur variété, l’organisation du travail des élèves, les ressources mises à leur disposition, les modalités d’évaluation, l’articulation avec les autres disciplines et le travail sur le langage, etc. ». Cette liberté est remise en cause quand les évaluations nationales rythment les apprentissages, quand des pratiques pédagogiques sont présentées comme les seules efficaces, quand les manuels pourraient être labellisés. Il ne s’agit pas pour nous de suivre par lubies des méthodes inefficaces mais, en étant formés, de pouvoir faire des choix éclairés pour concevoir des contenus riches favorisant les apprentissages et soutenir la motivation des élèves.
Notre liberté pédagogique, c’est bien cela que nous exerçons lors de ces journées nationales, nous former, découvrir de nouvelles pratiques, de nouvelles ressources en toute liberté.
Alors, aéRons-nous, soyons ensemble réels pour être dans l’aiR du temps , adhAIRons…
Irrationalisons nos journées d’atelier en atelier pour nous former à notre guise, et rencontrer en vrai les collègues avec qui nous échangeons à distance toute l’année.
Rationalisons notre temps en le perdant autour d’une bolée de cidre et du bon aiR breton.
Parce que finalement c’est ce qui restera, avoir su créer du lien, ce ciment indispensable à la construction de l’école dont a besoin notre époque …
Bonnes Journées Nationales.