Bulletin Vert no 452
mai — juin 2004
LA CONSTANTE MACABRE ou comment a-t-on découragé des générations d’élèves ?
par André Antibi.
éd. Math’Adore.
Ouvrage illustré, format 15 × 24, 160 pages,
présentation soignée, 15 €.
D’emblée, le sous-titre annonce la couleur : il s’agit d’un texte de combat. Le dessin de couverture le confirme, qui montre un professeur s’écriant « Enfin une mauvaise copie ! ». Pour partir à l’assaut, l’auteur s’abrite derrière quatre préfaces-boucliers : un ancien ministre, un ex-directeur des lycées, un recteur, une médaille Fields. Il a prévu aussi un solide pare-chocs arrière : treize « témoignages de soutien » terminent l’ouvrage.
Le livre comporte huit chapitres et des compléments. Comme il se doit, le chapitre 1 définit la constante macabre (« il y a, dans notre manière d’évaluer les élèves, une sorte de constante : la proportion de mauvaises notes »), dont « l’existence indiscutable » est, selon l’auteur, prouvée par le fait qu’au fil des ans aucun de ses interlocuteurs ne l’a contestée.
Le chapitre 2 énumère les mille façons de mal poser un sujet de contrôle : trop long, trop dur, trop progressif, trop « beau », trop varié… On peut du coup s’étonner de l’existence d’une constante, macabre ou non. L’auteur a la réponse : « la société […] a mis en place cette constante ».
Le chapitre 3 déplore que les programmes ne précisent pas les exigences de rigueur et les types acceptables de rédaction et trouve « préjudiciable » la « diversité des points de vue » en la matière.
Le long chapitre 4, Réactions d’enseignants, croque des silhouettes pittoresques : le professeur qui pleure sur une trop bonne moyenne, celui qui trouve que le niveau baisse, celui qui met des notes négatives, celui qui est aussi parent d’élève…
Le chapitre 5 , Réactions hors du milieu enseignant, est une sorte de micro-trottoir où les interviewés confirment comme un seul homme l’existence de la constante. Le chapitre 6 propose des moyens de lutte : former plutôt que sélectionner, évaluer par objectifs, sensibiliser les enseignants au rôle nocif de la constante. Le chapitre 7 étudie la motivation de l’élève, qui n’est pas forcément celle que croit le maître.
Le dernier chapitre pourrait être intitulé : Comment faire aimer les maths, avec des rallyes, des jeux, ou de petits problèmes où l’auteur se met en scène dans l’exercice d’une maïeutique plus ou moins socratique.
De la conclusion, retenons la dernière phrase : le rôle de l’enseignant est d’apporter « le plus possible de connaissances au plus possible de personnes ».
S’y ajoutent cinq « compléments pour matheux », dont le plus intéressant porte sur le rôle des graphiques et des figures, ainsi que sur leur statut dans la démonstration.
Il est difficile de juger un livre aussi polémique, d’autant que l’auteur, voulant toucher un large public, évite détails techniques et statistiques.
Le texte se lit sans ennui et même avec agrément, mais l’accumulation de témoignages et d’anecdotes, voire l’affirmation pure et simple se substituent à l’argumentation.
Quant aux idées qu’il véhicule, elles peuvent laisser perplexe.
Il n’est pas inutile d’épingler la tendance de certains professeurs à ajuster sujets de contrôle et notation pour retrouver une distribution de notes à peu près constante. Il n’est pas mauvais non plus de souligner l’effet démoralisant de notes systématiquement basses.
Encore faudrait-il s’interroger sur l’ampleur et la portée de ces phénomènes (l’auteur ne cite ni chiffres, ni références). Les étudier sur les mathématiques est en outre un choix discutable : les notes y sont en moyenne plus élevées que dans des autres disciplines et les problèmes d’évaluation y ont été mieux décryptés.
Voir dans une question de notation le vice majeur de l’enseignement français est caricatural : le système idéal serait alors celui de l’Italie, où naguère être reçu à la Maturità avec 50 sur 60 était un résultat franchement médiocre.
Quant aux remèdes proposés, ce sont pour la plupart des remèdes de bon sens, que depuis des années la communauté mathématique essaie de mettre en application, mais qui restent pertinents.
Résumons-nous. Dans le rôle du torero estoquant les enseignants, l’auteur ne manque pas de panache et les amateurs de corrida seront
probablement enchantés. Quant au lecteur peu porté sur les mises à mort , il restera sans nul doute sur sa faim s’il veut trouver une étude méthodique de la notation ou une analyse des faiblesses du système éducatif et des remèdes possibles.