Bulletin Vert n°487
mars — avril 2010
La construction traditionnelle des équations différentielles
par Dominique Tournès
Éditions Albert Blanchard (Collection Sciences dans l’histoire) Octobre 2009
414 pages en 16 × 24, ISBN 978-2-85367-247-4
Si tous les mathématiciens, du moins ceux du siècle passé, connaissent le nom de Jacopo Riccati (1676-1754) attribué à une équation différentielle, peu savent que son quatrième fils Vincenzo (1707-1775) a écrit en 1752 un traité De usu motus tractorii in constructione aequationum differentialum, qui fait la synthèse des travaux de l’époque sur les équations différentielles et leur résolution par des dispositifs mécaniques.
Par exemple un des premiers, Claude Perrault, l’architecte de la colonnade du Louvre et le frère de Charles le conteur a étudié la génération de la tractrice, courbe décrite sur une table horizontale par une montre B tirée par un fil de longueur fixe AB quand A décrit une droite. Une traduction inédite en français du mémoire de V. Riccati fait ici l’objet d’une annexe de 70 pages.
L’ouvrage commence par un chapitre consacré au long chemin qui mène de la tractrice aux intégraphes universels : la tractrice de Perrault et ses propriétés, les projets de Huygens, l’avis de Leibniz, un beau problème de Jacques Bernoulli, un intégraphe universel, les courbes des chaloupes, John Perks.
Le second chapitre nous entraine dans l’environnement italien de Vincenzo Riccati qui participe activement à la diffusion du calcul infinitésimal et avec Poleni, Conti, Manfredi, Suardi au développement d’instruments tractionnels.
Le troisième relate l’histoire de l’équation de Riccati, sa construction tractionnelle, les travaux que lui consacrent Euler et Clairault.
Le quatrième présente le mémoire de Vincenso, sa filiation avec Euler et Clairaut, son style et son plan, sa postérité.
Les trois suivants analysent les trajectoires à tangente constante, celles à directrice fixe, celles à tangente ou directrice variable, et le huitième les constructions et tracés des trajectoires qui figurent dans le mémoire. Malheureusement, celui-ci n’a pas connu la postérité qu’il aurait mérité : arrivé trop tard, alors que la géométrie cédait le pas à l’algèbre et que les séries devenaient l’outil privilégié.
Cependant après une longue éclipse, les « tractoires » occupent à nouveau le devant de la scène : Coriolis, Abdank-Abakanowicz, Prytz, Klertitj mettent au point des intégraphes (chap. 9), le colonel Jacob un intégromètre (chap. 10), Ernesto Pascal crée une école italienne d’intégration graphomécanique et établit une classification en 1914 (chap.11), enfin des constructions approchées reprennent des idées de V. Riccati.
Les développements fulgurants des ordinateurs et de l’analyse numérique dans la seconde moitié du XXe siècle relégueront tous ces mécanismes dans les vitrines des musées, mais il est intéressant de les étudier tant pour leur développement concomitant à celui du calcul intégral que pour l’aide qu’ils apportent à une bonne compréhension de la résolution des équations différentielles.
Cet ouvrage très documenté et agréable à lire par son style élégant et par la clarté des figures, gravures anciennes ou constructions réalisées avec Cabri-Géomètre, intéressera de nombreux lecteurs : historiens érudits pour connaître en détail les apports des Riccati et de toute l’école italienne de géométrie et en particulier une traduction inédite d’un texte resté dans l’ombre, mais aussi enseignants de mathématiques curieux de constructions dynamiques liées à des équations différentielles qui y trouveront une mine d’exemples élémentaires à étudier en classe ou en TPE et élèves professeurs souhaitant mieux connaître dans le détail l’histoire de leur discipline.
Ce volume est un nouveau fleuron de la collection « Sciences dans l’histoire ».