Bulletin Vert n°513
mars — avril 2015
Le paradoxe de Fermi
par Jean-Pierre Boudine
postface de Jean-Marc Lévy-Leblond
Denoël, 2015
192 pages en 14 × 20,5, prix : 18 €, ISBN:978-2-207-12375-1
Ce livre est un roman-catastrophe, ou plutôt d’après la catastrophe ; mais contrairement à de nombreux livres et films du XXe siècle, il ne s’est pas agi « d’un embrasement, d’une grande guerre thermonucléaire », pas plus que d’une pollution subite et majeure, ni de la chute d’une météorite : une « simple » crise économique et boursière, qui a fait disparaître l’argent, et conséquemment les sources d’énergie, les moyens de production, de déplacement et de communication. Crise commencée en 2022 ; sept ans plus tard, le narrateur survit dans une haute vallée alpine, dans la solitude, la précarité et mille dangers.
Le « paradoxe de Fermi », c’est la contradiction apparente entre la forte probabilité d’existence d’une vie extra-terrestre (probabilité accrue depuis la découverte de centaines d’exoplanètes dont certaines peuvent offrir des conditions similaires aux milieux terrestres), et l’absence de toute détection d’éventuelles civilisations. Le narrateur, au cours d’une discussion avec d’autres survivants, arrive à la conclusion que la fin de la civilisation à laquelle ils assistent dévoile l’explication de ce paradoxe : toute civilisation à haut développement technologique est vouée à disparaître en quelques siècles au maximum, ce qui rend quasi-nulle la probabilité d’existence simultanée de deux d’entre elles.
Pourquoi parler de ce livre ici ? D’abord parce que c’est un bon livre, fort bien écrit et passionnant ; ensuite parce que son auteur est agrégé de mathématiques aux implications nombreuses (MATh.en.JEANS, Science & Vie Junior, Tangente, Quadrature, Kangourou, …) ; mais surtout parce que le narrateur, qui dans l’« ancien monde » était un chercheur de haut niveau, jette sur ces événements un regard proprement scientifique ; les probabilités, la dynamique des populations et ses modèles proie-prédateur interviennent à maintes reprises ; la théorie des graphes, le chaos, les fractales, le principe du rasoir d’Ockham sont cités ; le traité de Bourbaki est classé dans les quelques œuvres à sauver impérativement, avec la Divine Comédie, la Neuvième de Beethoven, l’origine des Espèces de Darwin.
Et la référence à Fermi est en elle-même un hommage aux scientifiques.
Dans sa postface, J.M. Lévy-Leblond montre que la solution au paradoxe envisagée par Boudine n’est pas la seule, mais que les autres ne sont guère plus réjouissantes.
Ce beau livre pessimiste observe et extrapole notre époque d’une façon cruelle mais objective et raisonnée. Écrit il y a plusieurs années (version révisée d’une première édition chez Aléas, 2002), il reste pleinement d’actualité ; tout au plus, dans une version 2015, verrait-on sans doute, dans les mécanismes de l’effondrement, plus de place attribuée aux extrémismes religieux…