Bulletin Vert n°478
septembre — octobre 2008
Le surmenage scolaire
Vous avez raison, dit Panglos : car, quand l’homme fut mis dans le jardin d’Eden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu’il travaillât ; ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour le repos.
Candide
Voilà une bien curieuse dénomination que celle attribuée à la Commission ministérielle dite « Commission du surmenage scolaire » dont les conclusions paraissent dans un long rapport en 1930 [1]. L’affaire est pourtant sérieuse au regard du rythme des différentes réunions organisées ainsi que du nombre de personnalités et organisations auditionnées [2]. Parmi elles, l’A.P.M.E.S.P. est appelée à s’interroger et à présenter ses conclusions à la Commission ministérielle.
Le surmenage est-il la réalité quotidienne d’un nombre important d’élèves de la sixième aux classes préparatoires, c’est-à-dire de l’ensemble des élèves de l’enseignement secondaire ? Au contraire, ce débat ne masque-t-il pas une autre réalité, relative à la poursuite de la politique de réduction d’horaires et de programmes initiée par le plan d’étude de juin 1925 ? Voici quelques éléments de réponses à la lumière du rapport de la Commission et des bulletins de l’Association.
La Commission ministérielle du surmenage scolaire
La question du surmenage scolaire posée par la Commission ministérielle concerne l’ensemble de l’enseignement secondaire, de la classe de sixième jusqu’aux classes préparatoires aux grandes écoles. Il s’avère qu’un nombre important d’élèves présenteraient des symptômes d’excès de fatigue. Afin de remédier à cette situation, la Commission se donne pour mission d’auditionner de nombreuses personnalités, médecins, professeurs, syndicats et associations de spécialistes. Elle propose dans l’enquête qu’elle lance, que la réflexion porte sur les questions suivantes [3] :
- 1. Estimez-vous que les élèves de l’enseignement secondaire sont victimes d’un surmenage pouvant porter atteinte : a) à leur santé physique ; b) à leur formation intellectuelle ?
- 2. S’il y a du surmenage, dans quelles mesures faut-il l’attribuer aux programmes et aux horaires, aux méthodes d’enseignement, aux exigences des professeurs, à la mauvaise organisation de la vie familiale, aux erreurs des parents, etc ?
- 3. Vous paraît-il que le travail des élèves puisse être avantageusement allégé par la réduction des programmes et des horaires, par une meilleure répartition de leur tâche entre la classe et l’étude, etc.
- 4. Quel rôle joue la spécialité que vous enseignez dans la formation intellectuelle des enfants ? Les programmes actuels vous paraissent-ils conçus de façon à lui permettre de jouer ce rôle autant qu’il est désirable ? Vous paraît-il qu’avec des programmes plus réduits, des horaires moindres, votre spécialité pourrait aussi efficacement contribuer à la culture générale des élèves ?
À la lecture du rapport qui en résulte, la volonté ministérielle est double :
- d’une part, faire émerger la réalité d’un surmenage intellectuel et physique qui toucherait les élèves en le définissant aussi précisément que possible. En effet, le rapport présente une définition précise que donne un médecin, M. Boncourt, du surmenage : « un état de fatigue anormale et chronique caractérisé essentiellement par un déficit neuropsychique et qui résulte d’efforts disproportionnés ». Le diagnostic laisse donc supposer qu’une surcharge de travail demandé aux élèves est la cause du surmenage. La caractère anormal soulevé induit la nécessité d’y remédier. De plus, la chronicité établit que le surmenage semble permanent et non limité à certaines périodes de l’année qui pourraient le justifier, comme les examens ou les concours. Il semble que ce soit notamment le cas en sixième pour les élèves qui débutent le latin ainsi qu’en seconde « où l’étude des sciences prend un caractère plus sérieux et demande un effort plus intense ».
- d’autre part, arriver à un consensus le plus large possible pour remédier à cette situation, comme l’atteste le rapport qui stipule dès le début que « des diverses communications et discussions, un certain nombre de conclusions sur lesquelles s’est réalisé un accord à peu près unanime et que l’on peut ranger sous ces trois chefs principaux : Existence et nature du surmenage ; causes du surmenage ; remèdes que l’on peut y apporter ». On le voit, il y a peu de différences entre les questions proposées initialement pour l’enquête et les thèmes déclinés dans les conclusions du rapport. Il se profile indéniablement derrière cette question, celle de l’organisation toute entière de l’enseignement secondaire qui semble être mise en cause par la Commission, même en l’absence d’état avéré de surmenage : « Enfin, là même où le surmenage au sens strict médical et physique ne pourrait pas être affirmé, il semble qu’un grave reproche puisse être fait au régime scolaire actuel. De l’avis unanime, tout le temps des élèves est absorbé par les classes ou la préparation des classes, devoirs et leçons ». Il est donc clair qu’il faut aménager le temps scolaire soit par la réduction des heures d’enseignement soit par celle du contenu des programmes.
La position de l’A.P.M.E.S.P.
Parmi les associations de spécialistes, l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public [4]. est sollicitée pour être entendue par la Commission ministérielle. L’A.P.M.E.S.P., qui a suivi de très près la mise en place des programmes de 1925 et dénoncé avec ardeur le principe d’égalité scientifique établi dans les programmes jusqu’à la classe de première incluse, est particulièrement attentive à la question des horaires liés à la problématique du surmenage. Même si cette question arrive soudainement dans les bulletins de l’Association, les nombreuses pages des comptes-rendus [5] [3] [6] [9] attestent que l’A.P.M.E.S.P. lui consacre beaucoup de temps. Les longues discussions sur l’existence même du surmenage sont rapportées en détail et montrent une réflexion objective sur ce thème, sans volonté immédiate de polémiquer sur le fond d’une réforme qui se profile dans le libellé même des questions posées et qui pourrait en découler. L’Association est amenée à donner son avis à la Commission ministérielle sous la forme d’un rapport répondant aux questions posées puis d’une audience auprès de la Commission [7].
La réponse de l’Association à la première question de l’enquête nuance l’existence même d’un surmenage selon les niveaux d’enseignement considérés : « on ne peut pas parler de surmenage d’une façon générale mais qu’il y a manifestement des élèves surmenés ». L’Association ne rejette donc pas a priori le surmenage, mais distingue entre une « certaine surcharge de travail imposée par une mauvaise organisation des horaires et des enseignements » et une absence de surmenage « chez un élève normal, convenablement préparé par ses études antérieures ». Elle entre de ce fait dans le consensus cherché par la Commission ministérielle mais rejette l’idée d’un enseignement qui ne répondrait pas à aux objectifs qu’il s’est donné.
Pour l’A.P.M.E.S.P., le surmenage est davantage la conséquence d’une pédagogie qui se transforme et qui ne trouve pas sa place dans les horaires et programmes du lycée issus de la réforme de 1925. En effet, dès le début de son intervention, M. Dumarqué souligne les conclusions du rapport présenté par l’Association à la Commission en ces termes : « l’enseignement des mathématiques actuellement donné dans les lycées et collèges est essentiellement un enseignement de culture ». Dans une autre intervention, M. Blutel rappelle à la Commission « tout le travail de rénovation des méthodes d’enseignement de mathématiques en cours depuis plusieurs années et qui a produit déjà des résultats remarquables ». Cet enseignement de culture est issu des programmes d’égalité scientifique qui proposent à tous les élèves un enseignement de même niveau jusqu’à la classe de première. Bien que dénonçant la suppression des filières qui donnaient avant 1925 à la science une place importante dans l’enseignement, l’Association n’incrimine pas devant la Commission la qualité de l’enseignement dispensé mais dénonce davantage sa mauvaise organisation et anticipe de cette manière le problème de la réduction des horaires et des programmes posé dans le libellé même des questions.
L’Association ne semble donc pas dupe de la volonté qui se dessine derrière la question du surmenage : l’accepter sans nuance entérine un avenir qui passe par des propositions de réduction des programmes. La rejeter induit une acceptation de la réforme qu’elle a quelques années auparavant ardemment dénoncée. La ligne choisie se situe donc entre les deux : une réduction supplémentaire des programmes et des horaires entraînerait de fait un surmenage.
Le rapport de la Commission ministérielle va pourtant encore plus loin dans le sens de la réforme de 1925 [8], en proposant par l’intermédiaire de M. Guillet, Directeur de l’École centrale, de supprimer en algèbre depuis « Variations et représentation graphique des fonctions ax/b jusqu’à la fin », c’est-à-dire tout ce qui concerne les notions sur les dérivées et les fonctions primitives dans tous les programmes du baccalauréat. Le calcul différentiel et intégral introduit par la réforme de 1902 avait été apprécié autant par les mathématiciens que les physiciens. Sa suppression apparaît comme un recul supplémentaire de la place de l’enseignement scientifique dans l’enseignement secondaire. La question des horaires étroitement liée à celle des méthodes d’apprentissage s’avère donc cruciale pour l’Association et ne peut de ce fait être la raison d’un surmenage. Elle conclut sur le fait que les « programmes jusqu’à la classe de première sont réduits au strict minimum et que les horaires ne peuvent plus être diminués sans aggravation du mal que l’on souhaite guérir » [9]. Il résulte du résumé de l’intervention de M. Dumarqué que « les élèves normaux dans des classes peu nombreuses ne peuvent pas être surmenés du fait des programmes de mathématiques ».
Cette réduction des horaires et des programmes va pourtant prendre toute sa réalité dans les années qui suivent [10].
On peut avancer sans risque de se tromper que le surmenage scolaire se révèle être un alibi à un projet de réduction drastique des horaires d’enseignement des années 1930. Même si cette question n’est pas un phénomène nouveau dans l’histoire de l’éducation [11] , l’A.P.M.E.S.P. est confrontée à un durcissement d’une politique d’éducation favorable aux retour des humanités classiques. Ces temps agités marqueront durablement l’esprit de ses dirigeants pendant de nombreuses années après la Seconde guerre mondiale [12].