Bulletin Vert n°400
septembre 1995

Les Mathématiques dans les Baccalauréats généraux de quelques pays Comment estimer le bagage mathématique du « Bachelier » ?

Pierre LEGRAND
Inspecteur Général Honoraire

 

Cette année vont arriver dans notre enseignement supérieur les premiers étudiants issus des lycées rénovés ; enfin libérés de la tyrannie des mathématiques, ils seront — c’est promis, c’est juré — plus ouverts et plus créatifs que leurs devanciers. Finie la dictature exercée par les mathématiques dans nos lycées et pour l’accès à nos filières les plus prestigieuses ! Fini l’enseignement abstrait de la série C ! Au moment où les responsables de notre système éducatif ont fait d’un cœur léger des choix aussi lourds de conséquences, nous voudrions, en montrant comment les choses se passent à l’étranger. apporter quelques pièces à un dossier qui n’est peut-être pas si simple qu’on a pu le penser. Les pages qui suivent tentent, donc, de décrire et de jauger :e bagage mathématique des "bacheliers" de quelques pays. Et — in cauda venenum — d’en tirer quelques réflexions sur la situation française.

Pour esquisser un tel travail, nous avons choisi comme indicateurs les épreuves de maths des examens homologues du baccalauréat et les contenus qui les sous-tendent. On peut trouver ce choix bien arbitraire. Pourquoi ne pas se reporter en priorité aux horaires, programmes et instructions officiels des lycées ? ou aux manuels ? ou à une série d’observations de la réalité des classes ? Pourquoi, en effet ? C’est que comparer les horaires et les programmes d’enseignement n’est pas seulement un travail de titan [1], c’est aussi un travail décevant, car les programmes sont souvent réduits à un fil ténu, ils ne sont pas toujours respectés, ils peuvent même ne pas exister. Pour la comparaison des manuels, plus complexe encore, aucune étude d’ensemble n’existe à notre connaissance. Quant à l’observation directe des classes, elle se heurte à un obstacle majeur : on donne rarement [2] à l’honorable visiteur l’occasion de voir un enseignant ordinaire d’un établissement ordinaire faire avec une classe ordinaire une séance de travail ordinaire ; aucune "Education nationale" n’aime se montrer en bigoudis à un étranger.

Nous nous sommes donc rabattu pour l’essentiel sur les textes d’examen et les programmes auxquels ils se réfèrent (explicitement ou non). On peut justifier cette démarche de deux façons, optimiste et pessimiste. Selon la première, l’examen, conçu pour évaluer la façon dont l’élève maîtrise l’enseignement reçu, est par là même un portrait fidèle de la formation dispensée ; selon la seconde, c’est l’examen, cet indispensable sésame-ouvre-toi, qui détermine l’enseignement, c’est sur lui que se modèlent les activités de la classe et les travaux écrits. L’une et l’autre théorie ont leur part de vérité : l’interaction constante entre l’enseignement et l’épreuve qui le sanctionne fait que chacun des deux devient à la fois le modèle et l’image de l’autre.

L’étude qui suit se limite aux Etats-Unis, au Japon et à nos quatre grands voisins. Nous ne parlerons que des épreuves écrites, nettement majoritaires en mathématiques à ce niveau.

ALLEMAGNE

Un bac à la carte

Pour les deux dernières années de lycée, l’élève choisit les disciplines qu’il va étudier, modulo une série de contraintes destinées à équilibrer sa formation. Il prend deux matières approfondies (Leistungskurse, LK), qui figureront obligatoirement à l’examen, et au moins six matières étudiées à un niveau plus modeste (Grundkurse, GK), dont deux seront aussi matières d’examen, l’une à l’écrit, l’autre à l’oral ; les autres ne seront évaluées que par contrôle continu. Sauf en Rhénanie-Westphalie et en Bavière, l’Abitur (le "bac") est largement une affaire interne au lycée, avec des sujets faits maison.

Les programmes de mathématiques

La place des mathématiques diffère donc selon qu’elles sont LK ou non et, si elles ne le sont pas, selon qu’elles font l’objet d’une épreuve écrite, d’un oral ou seulement d’un contrôle continu. Il n’y a que deux programmes, LK et GK. .. mais ces programmes varient quelque peu avec le Land. Bien que les horaires soient plus faibles qu’en France (5 ou 6h pour une LK), les contenus sont assez ambitieux, ce qui s’explique par le fait que l’Abitur se passe à 19 ans et non 18.

Ces programmes, qui font la part plus belle que chez nous à la géométrie analytique (qui inclut le calcul vectoriel), aux probabilités et aux statistiques, sont rédigés de façon assez schématique. En Bavière, le programme de chacune des deux dernières années tient sur une demi-page et les commentaires, communs aux deux années, sur une page.

Les épreuves

Elles sont assez proches de ce qui se donne chez nous : problèmes à questions enchaînées, avec d’assez nombreuses indications permettant de déceler et de redresser les erreurs. Présentons sommairement un texte de LK (Bavière, 1990,4 h., le candidat devant traiter deux des trois problèmes) :


 Étude de la famille de fonctions $x \mapsto arc tan (l -\frac{2}{ax}).$
 Problème de probabilités et de statistique inférentielle.
 Géométrie analytique dans l’espace.

ANGLETERRE (et PAYS de GALLES)

Un bac spécialisé

L’élève des deux dernières années de secondaire étudie habituellement trois matières, qui font l’objet d’examens indépendants, les A-Levels. Les mathématiques sont, après l’anglais, la matière la plus souvent choisie (dans les 100000 candidats). Lorsqu’un élève prend les maths, il y passe donc le tiers de son temps ! Quelques milliers de lycéens passent non un A-Level de maths, mais deux ; ils étudient alors un programme complémentaire de mathématiques pures ou appliquées, d’un volume équivalent à celui du programme de base ; le niveau de ces élèves qui passent ainsi les 2/3 des deux dernières années de lycée à faire des mathématiques est impressionnant.

Les programmes

Il n’y a pas à ce niveau de programme d’enseignement, mais des programmes d’examen, établis sous la houlette du SCAA, School Curriculum and Assessment Authority, par les Examination Boards, organismes privés en situation de concurrence, responsables également des sujets et de la correction. Ces programmes sont rédigés sous la forme qui nous est familière, texte introductif, programme, commentaires, sans toutefois les flots d’éloquence des nôtres. Un Board propose en général plusieurs programmes de mathématiques : programmes de base, programmes complémentaires. Nous ne parlerons que des programmes de base ; quel que soit le Board, ils ont en commun un noyau (core syllabus), qui recouvre assez bien et déborde sur certains points (polynomes, inflexions, rudiments sur les séries, fonctions circulaires inverses) le programme d’algèbre et d’analyse de notre TS mais comporte peu de géométrie et pas de probabilités. A ce noyau s’ajoutent selon les cas des probabilités, des statistiques, de la mécanique, etc. Le tout fait un programme de volume et d’ambition comparable à celui de feu la C, avec cependant une moindre attention donnée aux aspects théoriques. C’est ainsi qu’à propos de la notion de limite, le programme Mathematics de l’ULEAC (Board de Londres) se borne à ceci :

  • colonne de gauche : " Idée de limite" ;
  • colonne de droite : " Un concept intuitif est suffisant. L’usage de $|u_{n}-L| < \epsilon $ n’est pas prévu quoique accepté."

On pourrait s’étonner de voir que le lycéen anglais n’a que le choix entre passer les maths au niveau de notre C (ou plus) et ne pas les passer. En fait, un intermédiaire existe : quelque 20000 candidats se présentent chaque année à un AS-Level (c’est-à-dire un demi-A-Level) de mathématiques.

Les épreuves 1992 du programme Mathematics de l’ULEAC

Chaque candidat en passe trois.

Epreuve 1 (40%) : 2h30, treize exercices de poids variable, chaque question comportant au maximum 4 items ; peu d’items du type "montrer que", la plupart demandant des résultats numériques ou graphiques accompagnés de leur justification. Voici les deux exercices extrêmes :

  • Une suite arithmétique de 1201 termes a une raison de 0,01 ; la somme des termes est 4804. Trouver le premier terme.
  • On rappelle que, pour un cône circulaire droit de rayon de base r et de hauteur h, le volume est $\pi r^{2}h$ et l’aire latérale $\pi r\sqrt{ r^{2} + h^ {2}}$. Du sable tombe sur un sol horizontal à raison de $0,15 cm^3$ par seconde ; le tas a constamment la forme d’un cône circulaire droit de demi-angle au sommet 30° (il y a une figure). La chute commence à l’instant zéro. Au bout de t secondes, la hauteur du cône est de y cm. En considérant le volume du sable à cet instant :
    a) montrer que $y^3 = \frac{27t}{20\pi}$ ;
    b) trouver en $cm.s^{-1}$, avec 3 décimales, la vitesse d’accroissement de la hauteur du tas à l’instant 60 ;
    c) trouver en $cm^{2}.s^{-1}$, avec 3 décimales, la vitesse d’accroissement de l’aire latérale du tas à l’instant 60.

Epreuve 2 (20%) : durée1h15, QCM à 30 items de même poids. Voici
deux d’entre eux :
n° 2 : Dans un triangle XYZ, XY = 4cm, YZ = 5cm, XZ = 6cm. Quel est le cosinus de l’angle $\widehat{X}$ : 5/6, 3/4, 2/3, 9/16, 1/8 ?
n °27 : Cocher les propositions correctes :

  • l’équation $e^x = 5x -1$ a 3 racines réelles ;
  • elle a entre 0 et 1 une racine et une seule ;
  • elle a entre 2 et 3 une racine et une seule ;

Epreuve 3 (40%) : Durée 2h30, 8 exercices indépendants (le candidat en choisit 6). C’est la seule qui porte sur la partie du programme qui n’est pas dans le core, c’est-à-dire ici la mécanique et les probabilités.

ESPAGNE, ITALIE

Invité à L’heure de vérité en décembre 1992, P.-G. de Gennes n’a pas hésité à stigmatiser "l’accent mis sur les maths dans nos pays latins". Il est instructif de confronter ici mythe et réalité.

ESPAGNE

Le Bachillerato est un examen maison, qui se passe à 17 ans ; l’élève reste ensuite un an au lycée pour préparer la Selectividad, examen d’entrée à l’université, qui est le véritable homologue de notre baccalauréat. Chaque élève étudie 7 matières à 4h chacune. Les mathématiques sont la seule où existent deux programmes, maths l et maths II, le second étant nettement plus modeste, mais plus poussé en statistique. Il y a quatre séries, analogues en plus souple à nos défuntes A, B, C, D. Les maths sont obligatoires dans les deux séries correspondant à C (maths 1) et B (maths II), optionnelles dans celles correspondant à D (math 1) et à A (math II).

Les programmes (pas seulement en maths) sont fort ambitieux pour leur horaire. Disons deux mots de Matematicas I, où l’on trouve : théorèmes de Rolle et des accroissements finis, règle de l’Hospital, coordonnées polaires, cylindriques et sphériques, espaces vectoriels, matrices, déterminants, espace affine. L’épreuve est de 1h30, comme dans la quasi-totalité des matières. Le candidat doit habituellement faire quatre exercices indépendants, avec une certaine possibilité de choix.

Voici les deux premiers de Madrid 1990 :

  • Déterminer f(x) sachant que :
    f’ " (x) = 24x, f(0)= 0, f’(0) = 1, f"(0) = 2.
  • On donne deux urnes. L’urne 1 contient 4 boules blanches et 3 noires, l’urne 2 contient 3 boules blanches et 4 noires. On choisit au hasard une urne, puis on sort une boule de l’urne choisie. Donner la probabilité pour que :
    i) la boule extraite soit blanche ;
    ii) la boule extraite soit noire.

ITALIE

Il est difficile de parler de ce pays tant il peut y avoir d’écart entre la vérité-papier et la vérité-terrain. L’essentiel des lycéens est réparti en deux
séries, classique (1/3), et scientifique (2/3). Le "bac" — la maturità — se passe à 19 ans et ouvre de droit l’enseignement supérieur. L’horaire de mathématiques est de 3h en série scientifique (10% de l’horaire global), 2h en série littéraire (le latin dispose de 4h dans l’une et l’autre) ; les autres sciences sont encore plus mal servies. Les programmes, extrêmement schématiques, sont fort ambitieux pour le temps imparti. Il existe heureusement un grand nombre de lycées expérimentaux donnant un enseignement scientifique plus poussé.

À la maturità des lycées non expérimentaux, il n’y a que deux épreuves à l’écrit, dont l’une est la dissertation italienne ; l’autre porte sur le latin ou le grec en série classique, les mathématiques en série scientifique. L’épreuve de mathématiques comporte, pour cinq heures, deux courts problèmes à choisir parmi trois. Les énoncés sont courts (le tout tient largement sur une page), la difficulté moyenne et le temps accordé généreux, mais il n’y a pratiquement aucun guidage. Dans l’épreuve 1992 (le sujet est national), les sujets portaient sur :

  • Vecteurs et géométrie analytique dans le plan
  • Calcul de la primitive de $(2 x^{3}- 4x) exp(-x^{2})$ valant 1 pour x = 0, étude de la fonction obtenue.
  • Géométrie plane, trigonométrie, étude d’une fonction simple.

ÉTATS-UNIS

Pas de bac, des tests

Il n’y a pas de programme national ni d’examen national aux Etats-Unis, ce serait un outrage aux libertés publiques ; le bac, High School Diploma, est accordé par le lycée à tout élève qui termine sa scolarité sans avoir tué père et mère. Les études supérieures sont largement ouvertes, mais toutes les universités convenables recrutent, avec parfois des taux d’élimination très élevés, à partir d’un dossier où figurent les résultats des examens que le candidat a passés. Ces examens sont le fait d’entreprises privées, dont la plus importante est ETS, Educational Testing Service.

Presque tous les lycéens américains visant des études supérieures longues se présentent à l’un des deux QCM d’aptitude générale : SAT-I (Scholastic Assessment Test, 1°partie), organisé par ETS, ou ACT (American College Testing). ETS organise en outre des examens spécialisés dans les différentes disciplines : SAT-II et Advanced Placement.

Les QCM d’aptitude générale

Le SAT-I est très célèbre aux Etats-Unis, un véritable monument national ; le nombre de candidats est stable à 1 000 000 environ. Sa forme actuelle date de 1994, mais elle diffère assez peu de celle du premier SAT, administré en 1941. Il est composé d’un test verbal et d’un test de maths. Ce dernier, nouvellement rebaptisé Mathematical Reasoning, vise à évaluer l’aptitude à résoudre des problèmes. Les connaissances nécessaires ne dépassent pas le programme de nos collèges, ce qui ne veut pas dire que les questions soient toujours simplettes. Pour une durée de 70 à 75 minutes, il y a 60 items.

Trente-cinq d’entre eux sont de microtexercices où l’on doit cocher la bonne réponse parmi cinq. En voici quelques exemples [3]. :

  • Si x + y = 6 et y + z = 9, combien vaut z ? Réponses proposées : A 2 ; B 3 ; C 6 ; D 7 ; E les données ne suffisent pas pour conclure. La réponse correcte a été donnée par 75% des candidats.
  • Un rectangle PQRS étant donné (il y a une figure) on a PQ = x et QR = 2x.
    Quel pourcentage du périmètre représente la somme PQ + QR + RS ?
    Réponses proposées : A 50% ; B 66 2/3% ; C 75% ; D 80% ; E 83 2/3%.
    Réponse correcte donnée par 42% des candidats.
  • Un damier a x rangées de x cases alternativement blanches et noires, les 4 coins étant blancs. S’il y a B cases blanches et N cases noires, combien vaut B - N ?
    Réponses proposées : A -1 ; B 0 ; C 1 ; D 4 ; E on ne peut conclure.
    Réponse correcte donnée par 21% des candidats.

Quinze items sont des exercices de comparaison : pour deux grandeurs A et B, choisir entre quatre réponses : A < B, A > B, A = B, les données sont insuffisantes pour conclure. Dans le test dont nous avons extrait les exemples précédents, l’une de ces questions correspondait à $A = 1^{k}$, $B =1^{2k}$ ; 50% des candidats ont donné la réponse correcte.

Enfin, innovation 1994, dans dix exercices dits à student-produced response, le candidat doit donner un résultat numérique ; afin de permettre encore une correction mécanisée, la réponse doit comporter au plus quatre symboles pris dans une liste constituée des chiffres de 0 à 9, du decimal point, équivalent américain de notre virgule, et de la barre de fraction.

L’ACT (800 000 candidats) est formé de quatre QCM, deux à caractère verbal, un de sciences expérimentales, un de mathématiques. Ce dernier est le seul à avoir un programme : algèbre élémentaire, équation du second degré, rudiments d’analytique plane et de trigonométrie. Il est formé de 60 items à cinq réponses pour une durée de 60 minutes, assez semblables aux items à cinq réponses du SAT-I, avec un peu plus d’exigence technique.

Les examens spécialisés

Le SAT-II regroupe une petite vingtaine de QCM d’une heure, chacun dans une discipline. Il attire 200 000 candidats chaque année, présentant de 1 à 6 disciplines, soit à peu près 600 000 tests en tout (un tiers pour l’anglais, un tiers pour les maths, un tiers pour l’ensemble des autres disciplines). Trois tests de maths, Math 1 (le moins ambitieux et le plus courant), Math II (sur un programme un peu en retrait de la première S), Math II C (comme Math II, mais avec calculatrices). Les trois sont des QCM de 50 items ; ni vecteurs, ni dérivées, ni intégrales, ni probabilités, mais des connaissances opératoires sur les limites, les nombres complexes, l’exponentielle et le logarithme sont nécessaires.

La coqueluche des bons lycéens, ce sont les examens d’Advanced Placement (AP). Ces examens monodisciplinaires, dont le public va croissant (140000 candidats en 1982, plus de 400000 en 1994), jouent résolument la carte de l’élitisme. Ils font l’objet dans les lycées de préparations spéciales, les AP Courses. Il y avait en 1992 vingt-neuf examens AP, dont deux de mathématiques, Calculus AB et Calculus BC (totalisant nettement plus de candidats que les quatre AP de sciences expérimentales) ; ils portent uniquement sur l’analyse et ses applications géométriques. Le premier déborde un peu le programme de notre terminale C (sans les suites), le second y ajoute la définition rigoureuse des limites, le tracé des courbes en coordonnées polaires, les séries numériques et entières. En 1992 s’y sont présentés environ 2% et 0,5% de la classe d’âge (7% pour le bac C en France)
L’un et l’autre sont des examens mixtes:1h30 d’un QCM à 45 items,1h30 pour 6 exercices où le candidat est noté "aussi bien sur la correction des méthodes que sur l’exactitude des résultats".

Voici deux exercices tirés des deux examens 1991 :
Calculus AB, exercice 4 : On donne f par f(x) = (|x |- 2)/(x - 2).
a) Trouver tous les zéros de f
b) Trouver f ’(1).
c) Trouver f ’(-1).
d) Trouver l’ensemble des valeurs prises par f

Calculus BC, exercice 6 : Une rumeur se répand dans une communauté selon la loi dy/dt = 2y(1 - y), où y est la proportion de la population qui à l’instant t est au courant de la rumeur.
a) Quelle proportion de la population est au courant de la rumeur à l’instant où elle se propage le plus vite ?
b) Si à l’instant t = 0 dix pour cent de la population sont déjà au courant, trouver y en fonction de t.
c) A quel instant t la rumeur se propage-t-elle le plus vite ?

JAPON

Pas de bac, des concours

Les lycées japonais connaissent comme les nôtres une réforme : "seconde" en 94-95, "première" en 95-96, "terminale" en 96-97. Avec cependant une différence : les programmes ont été publiés ... cinq ans à l’avance. Le lycéen sans ambition est assuré d’avoir son diplôme de sortie, décerné sans examen par l’établissement, et 9 jeunes sur 10 sont "bacheliers". Le vrai problème, c’est d’accéder ensuite à l’enseignement supérieur long. Pour l’entrée dans les bonnes universités, la compétition est féroce ; elle se prépare dans les lycées, mais surtout dans des boîtes à bac, les juku. Et le vrai programme de terminale, c’est celui que déterminent les concours d’entrée. L’entrée dans une université publique est en deux étapes : un concours national par QCM (auquel se présentent presque tous les bons élèves), puis un concours propre à l’établissement.

Les programmes

Le Japon ignore les séries. Comme en Allemagne, le lycéen compose son plateau de disciplines à étudier en fonction de ses projets, en respectant des contraintes équilibrant sa formation ; au total, les "fourmis" japonaises sont donc plus libres dans leurs choix que nos jeunes. Les programmes des lycées ne sont pas organisés par année. Ainsi le nouveau menu en mathématiques comporte six plats, étiquetés I, II, III, A, B, C ; seul le I (polynômes et équations du second degré, trigonométrie, dénombrements, probabilités) est obligatoire pour tous les élèves ; pour le reste, l’élève prend ce qu’il veut parmi les combinaisons qu’offre le lycée. L’ensemble I, II, III fait à peu près l’analyse de S, avec un peu de probabilités ; l’ensemble I, II, III, A, B, C couvre largement notre ex-programme C, en y ajoutant de l’algorithmique et de la statistique inférentielle. La rédaction est sommaire. Citons pour le plaisir ce qui est dit sur les limites :

  • Limites : limite d’une suite $(r^n)$ ; somme d’une série géométrique ; limite
    d’une fonction ; terminologie et symboles : convergent, divergent, $\infty$.

Les épreuves de mathématiques du concours national 1992

Sur les 426 000 candidats [4] au concours, 361 000 d’entre eux ont passé le QCM de mathématiques. Il est en deux parties, A (programme proche de notre seconde) et B (programme proche de la TS sans l’enseignement de spécialité) ; 4% des candidats passent A seul, 72% passent A et B, y compris de très nombreux candidats dont le projet d’études ultérieures n’est pas scientifique.

Ce QCM national de mathématiques est la Rolls des QCM. Pour donner une idée du niveau, voici le début des deux parties (dont chacune dure 1h) du concours 1992 :
Partie A, premier exercice (15% du barème de cette partie) :
Soit le polynôme $P(x) = x^{3} + ax^{2} + bx + c = (x + d)(x^{2} + ex +f)$.
Sachant que son reste par x + 3 est 2 et qu’il est divisible par $x + 2 + \sqrt{3}$, trouver la valeur des six lettres grasses (a, b, c, d, e, f).

Partie B, première moitié (26% du barème de la partie B) du premier exercice :
On donne dans un plan rapporté à un repère orthonormé, les points O(0, 0), A(3, 0), B $(1, 2 \sqrt{3})$, C $(l -a, (2-a)\sqrt{3} )$.
1)$ \overrightarrow{BC} = bc(1,\sqrt{d}) $ ; angle ABC = ef degrés.
2) Soit P le point générique de la perpendiculaire issue de C à la droite (AB) ; on a $ \overrightarrow{OP}= \overrightarrow{OC} + u(\sqrt{g} , h)$, où u est un paramètre.
3) Soit Q le point générique de la droite (AB) ; on a $ \overrightarrow{OQ}= \overrightarrow{OA}+ t(ij,\sqrt{k})$ , où t est un paramètre.
4) Soit D la projection orthogonale de C sur la droite (AB) ; les coordonnées de D sont ($1 + \frac{m}{n}, (p- \frac{q}{r})\sqrt{s}$) .

Sachant que chaque lettre minuscule grasse représente l’un des chiffres de 0 à 9 ou le signe moins, trouver b, c ... s.

Aucun raisonnement n’est demandé. Le candidat doit simplement, dans la partie A comme dans la partie B, choisir une cinquantaine de fois, parmi les symboles 0, 1,2,3,4,5,6,7,8,9, -, celui qui convient.

Les épreuves de mathématiques du concours 1991 de Todai

Pour entrer dans une université publique, la réussite au QCM national est nécessaire mais non suffisante ; il faut ensuite présenter un dossier et/ou passer des épreuves de sélection. Disons quelques mots de l’épreuve de maths que doivent passer les candidats scientifiques à Todai, la plus prestigieuse université du pays. La durée est de 2h30, le programme est voisin de celui de C. L’épreuve 1991 comportait 6 exercices indépendants, style concours général. Voici les deux dont l’énoncé est le plus bref :

n° 3 : Soit l’équation $x^{3}-3x - p = 0$, où p est un réel. On désigne par f(p) le produit de la plus grande racine de l’équation par la plus petite lorsqu’il y a 3 racines réelles, distinctes ou non, et le carré de la racine réelle lorsque celle-ci est unique. Trouver le minimum de f(p). Représenter graphiquement f

n°5 : Dans un plan rapporté à un repère orthonormé, on mène par tout point de coordonnées entières un cercle de rayon r. Trouver la plus petite valeur de r telle que toute droite de pente 2/5 ait au moins un point commun avec au moins un de ces cercles.

Todai est un cas extrême, mais les sujets de mathématiques des concours d’entrée des bonnes universités, presque toujours composés d’une demi-douzaine d’exercices peu guidés, feraient des ravages chez nos candidats au bac.

Quelques constatations d’ensemble

  • 1) Une sorte de consensus implicite semble régner sur les contenus mathématiques à enseigner aux futurs spécialistes de "sciences dures" ; le programme (hors enseignement de spécialité) de notre terminale S en représente à peu près le noyau, chaque pays le complétant à son gré. Le volume des contenus ainsi obtenu est dans l’ensemble très comparable à celui du défunt programme C.
  • 2) Le niveau de maîtrise technique exigé de ces futurs scientifiques est plus variable ; le niveau des épreuves de notre C n’avait rien d’exceptionnel, puisqu’on le retrouve dans les épreuves allemandes, anglaises et dans l’un des AP américains, les Japonais étant hors concours (tout comme les Anglais passant un doubleA-level). Le niveau d’exigence de la S française se situe cependant encore au-dessus de celui que demandent à leurs élèves scientifiques l’Espagne, l’Italie et le tout-venant des lycées américains.
  • 3) La série scientifique unique est une originalité de nos lycées rénovés. Hors l’Italie, qui n’a pas de vraie série scientifique, il est possible pour le lycéen scientifique des autres pays d’équilibrer selon ses goûts, ses projets, ses capacités le rapport entre mathématiques et sciences expérimentales, le rapport des sciences expérimentales entre elles.
  • 4) Le long problème guidé à questions enchaînées est assez rare hors de chez nous. Le genre dominant est l’exercice court (l/2h) non guidé. Le QCM fleurit, mais hors d’Europe.

Conclusion

Pourquoi le cacher ? L’état de l’enseignement des sciences et singulièrement des mathématiques dans nos lycées peut à bon droit inspirer l’inquiétude. La campagne anti-mathématique, mais aussi anti-scientifique, menée en France ces dernières années [5] a porté ses fruits. Il y avait trois séries scientifiques sur les cinq de l’enseignement général ; le rapport est maintenant de un à trois. Il aurait fallu diversifier, accentuer les différences entre C, D, E ; on a resserré. Les effectifs ont aussitôt diminué ; ils diminueront encore si rien n’est fait. Quoi de plus normal, au fond que cette évolution ? Est-elle vraiment si appétissante en effet, cette série S où le candidat doit se préparer au même niveau, avec presque les mêmes coefficients, en mathématiques, en physique-chimie, en biologie-géologie ? Ce bourrage qui ne tient compte des vœux des élèves que sous la forme dérisoire de deux heures de spécialité donne-t-il envie de poursuivre des études scientifiques ? Faut-il s’étonner si, dans Le Monde du 25 juillet 1995, on annonce en gros caractères que" Les inscriptions dans les universités révèlent une désaffection pour les IUT, les STS et les matières scientifiques" ?

Autre question : pourquoi n’est-il pas possible chez nous, comme dans bien des pays, de combiner la formation d’une série littéraire ou économique avec le programme de mathématiques le plus poussé ? Les débouchés pourtant ne manqueraient pas à ce type de formation.

Et, pour en finir, une interrogation masochiste : sommes-nous si sûrs de l’absolue supériorité de notre problème de bac sur les autres modèles d’ évaluation ?

Sommes-nous vraiment certains que sa prééminence ne pervertit pas quelque peu notre enseignement mathématique ? Nous avons vu que ce modèle d’épreuve ne fait guère recette à l’étranger. Il a l’indiscutable qualité d’entraîner l’élève à suivre une démarche de longue haleine et à manipuler un ensemble complexe de données. Il a aussi le défaut de l’habituer à être constamment tenu par la main, à aller plus souvent du connu au connu (" Montrer que", " Justifier", " Etablir que") que du connu à l’inconnu (" Trouver", " Calculer", " Déterminer"). En caricaturant à peine, on cherche à fabriquer, plutôt que des scientifiques, de bons juristes capables d’argumenter solidement. Faisons donc une proposition sacrilège : donner aux commissions de choix la possibilité de s’écarter du modèle rigide "un problème, deux exercices" et par exemple de raccourcir le problème afin d’introduire une dose modeste d’exercices brefs, faciles mais non guidés ou, pourquoi pas, un petit morceau de QCM. De telles épreuves habitueraient nos élèves à faire preuve d’un peu plus d’initiative - et aussi à vérifier eux-mêmes les résultats que trop souvent l’énoncé vérifie pour eux. Et, si l’on en juge par le succès que rencontrent les compétitions mathématiques faites de courts exercices indépendants ou de QCM, peut-être un plus grand nombre de lycéens considéreraient-ils les mathématiques comme ce qu’elles ne devraient jamais cesser d’être : un jeu.

Il y a une esthétique des mathématiques. Je dis parfois que les mathématiques sont l’art le plus abstrait qui soit ... on sait bien que les mathématiques emploient des termes, font de belles démonstrations, ont une forme d’élégance et ça correspond à la culture d’une certaine sensibilité intellectuelle qui n’est pas tellement différente de la sensibilité musicale.

Entretien avec André LICHNEROWICKZ
« Entretiens avec des mathématiciens » J. Nimier
Ed. IREM de Lyon 1989

 

Notes

[1Le lecteur curieux pourra se référer à National Curricula in Mathematics, de Geoffrey Howson , publié par The Mathematical Association, 259 London Road, Leicester LE2 3BE, Angleterre. Le texte date de la fin de 1990.

[2J’en parle d’expérience.

[3Tiré du SAT de mars 80, qui a fait l’objet d’une étude détaillée dans An SAT : Test and Technical Data, publié par le College Board

[4Plus de 500000 en 1994 ; les effectifs de ce concours croissent régulièrement, au fur et à mesure que des universités privées (l’enseignement supérieur est aux 3/4 privé) se mettent à l’utiliser aussi.

[5Ce au moment où les responsables américains proclamaient leur ambition de voir leurs lycéens devenir en l’an 2000 les premiers du monde en mathématiques et en sciences.

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