Bulletin Vert n°479
novembre — décembre 2008
Les régionales de l’A.P.M.E.P. la consécration des sections locales
Avoir un système borne son horizon ; n’en avoir pas est impossible.
Le mieux est d’en posséder plusieurs.
Journaux 1914 — 1965
En 1967, l’A.P.M.E.P. [1] se régionalise en créant dans chaque académie une association du même nom. Fondée dans une structure unique et nationale en 1910, l’association se transforme en une multitude de mouvements associatifs et instaure par là deux niveaux dans sa configuration initiale, somme toute assez indépendants l’un de l’autre dans leur fonctionnement.
Quels sont les enjeux qui ont conduit à une telle régionalisation, antérieure au mouvement de décentralisation de l’État incarné par la création des Régions en 1972 ? Quelles ont été les pratiques locales qui ont précédé leur existence ?
D’une A.P.M.E.P. à des A.P.M.E.P.
L’assemblée générale d’avril 1967 vote une modification de l’article 5 du règlement intérieur de l’association qui préconise depuis 1910 l’existence de sections locales d’adhérents aux structures informelles. Le nouvel article 5 modifié remplace les groupements locaux et instaure des Régionales, véritables associations régies par la loi de 1901 [2] [3] :
Art. 5.1 : Dans chaque académie, il est constitué la « Régionale de X » qui assure la liaison entre le Bureau et le Comité national et les adhérents résidants dans les départements de l’Académie de X.
Art. 5.2. : La Régionale de X est organisée selon des statuts inspirés des statuts type des Régionales A.P.M. annexés au règlement intérieur et ne pouvant en aucun cas contenir des articles en contradiction avec ceux des statuts ou du règlement intérieur de l’A.P.M.E.P. Les statuts de la Régionale de X sont déposés conformément à la loi sur les associations de 1901.
Il est donc question d’une transformation fondamentale de l’association sur deux niveaux : un niveau national qui reste structuré sur le modèle initial et un niveau académique constitué d’une multitude d’associations loi 1901, au fonctionnement quasiment indépendant du national tant sur le plan financier que pédagogique.
Il a fallu une dizaine d’années pour que l’association aboutisse au contenu du nouvel article 5, après de multiples retouches et hésitations. L’enjeu est effectivement de taille pour l’association qui compte en 1967 un peu plus de 7 500 adhérents. Il s’agit de « décentraliser pour mieux coordonner » et pouvoir posséder au niveau local des structures impliquées dans la vie académique.
En effet, depuis la fin des années 1950, l’A.P.M.E.P. est un acteur de plus en plus influent des transformations de l’enseignement des mathématiques. En 1968, apparaissent les trois premiers I.R.E.M. L’association, dont l’action a été jusqu’alors nationale, doit dorénavant pouvoir participer aux expérimentations développées au niveau académique, tant dans les nouveaux I.R.E.M. que les C.R.D.P.
Lorsque l’article instituant les Régionales est proposé, la perspective de voir se créer les I.R.E.M. est acquise [3] et le rôle des Régionales est présenté comme essentiel dans l’action de l’association puisqu’il permet de :
- posséder un compte bancaire pour une autonomie financière que l’association nationale ne peut gérer.
- développer une action pédagogique en organisant des cours, des conférences en
lien avec l’I.R.E.M. (lorsqu’il existera), le C.R.D.P. et les autres associations
pédagogiques.
Avec cette structure de Régionales auxquelles la loi 1901 apporte une liberté à la fois d’expression et d’action puisqu’elles se développent dans le champs associatif, l’A.P.M.E.P. se dote d’un outil efficace que lui impose l’ampleur de son expansion.
Les Régionales : la suite des sections locales
Si l’article 5 modifié apporte une structure radicalement différente à l’A.P.M.E.P. , le regroupement des adhérents au niveau local existe toutefois depuis la création de l’association en 1910 dans l’article 6 des statuts initiaux [4] :
Art. 6 : Dans chaque académie, les membres forment une section qui s’organise à son gré, à condition d’observer les statuts généraux de l’Association. Cette section choisit chaque année un ou plusieurs correspondants chargés d’assurer les relations avec le comité central.
L’association encourage donc dès ses débuts les initiatives locales qui restent toutefois encadrées dans le giron de la structure nationale. Entre 1910 et 1945, le nombre d’adhérents, même s’il est en progression constante, permet ce fonctionnement centralisé de l’association : les groupements locaux sont les laboratoires des idées dont l’étude est décidée ou non en assemblée générale. Les structures que sont le comité et le bureau national sont les exécutifs qui selon A. Grévy en 1910 :
« se bornent à leur fournir toutes les indications utiles ; il [le Comité] est chargé de réunir les rapports et les documents que les sections ou les membres de l’association leur enverront. C’est l’Assemblée générale qui décideraquelle suite elle entend donner aux conclusions de ces divers travaux »
La liberté d’organisation laissée aux initiatives locales a donc comme but essentiel d’enraciner la nouvelle association auprès des enseignants de terrain afin d’asseoir la légitimité de celle-ci auprès des futurs adhérents.
Les deux premières sections qui s’organisent sur ce principe sont les sections de Paris et de Lille [5]. Cependant, aucune trace de dépôt de statuts n’a encore été trouvée dans les archives départementales et il est vraisemblable que cette organisation soit informelle et n’a d’autre but qu’une meilleure organisation locale.]] qui produisent des rapports sur les allègements des programmes des classes de mathématiques A et B.
Ce fonctionnement national, possible dans la limite où le nombre d’adhérents n’est pas excessif, fonctionne jusqu’en 1945. Le centralisme français qui caractérise l’Etat et la société française post révolutionnaires impose en effet à l’association et ce durant toute la troisième république, une administration cantonnée dans la Capitale, seule place des prises de décisions nationales.
L’association, qui repose sur le modèle de fonctionnement décrit plus haut, est ainsi encadrée essentiellement par des dirigeants parisiens sans que personne n’y trouve à redire. En effet en 1910, quatre des six membres du premier bureau sont des professeurs des grands lycées parisiens et dix membres sur les vingt-et-un que compte le comité sont également parisiens. Cette proportion est encore très forte en 1938 avec un bureau tenu par six parisiens sur les sept dirigeants élus.
En revanche, à partir de la fin des années 1950, le nombre des adhérents rend ce fonctionnement difficile voire impossible, et le problème de la représentativité au Comité des professeurs de province est alors posé.
Après guerre, le poids « parisien » diminue sensiblement. Les frais de déplacement des élus de province au comité national n’étant pas pris en charge [6] , la difficulté financière qu’entraînent les voyages à Paris devient importante dans un contexte social difficile.
La décentralisation devient alors inéluctable pour une meilleure efficacité de la répartition des cotisations des adhérents dans leur organisation locale.
La régionalisation de l’A.P.M.E.P. intervient au moment où son action doit être davantage centrée localement, notamment dans les I.R.E.M., et accompagner au plus près les transformations des programmes et des méthodes des années 1960 et 1970.
Cette modification structurelle est l’aboutissement des groupements locaux que les premiers statuts ont encouragé depuis 1910.