Lettre ouverte des formateurs de mathématiques de l’académie d’Orléans-Tours à destination de Monsieur le Recteur de l’académie

Le 11 octobre 2023, Monsieur le Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Gabriel Attal, a rappelé au Sénat qu’il comptait mettre en place de nouveaux modèles de formations se déroulant hors temps de face-à-face avec les élèves à partir de la rentrée 2024 afin de limiter au maximum le nombre d’heures de cours perdues par les élèves.

Qu’entend-on par « nouveaux modèles de formation » ?

Pour le moment, il semble que la seule chose « nouvelle » dans cette annonce de M. Attal soit de déporter les dispositifs de formation existants aux mercredis après-midis et aux vacances scolaires.

Rappelons quelques évidences :

  • Placer les temps de formations le mercredi après-midi peut exclure une bonne partie
    des professeurs ;
  • Les placer sur les vacances scolaires surchargerait encore le temps de travail des enseignants et des formateurs. En effet, ces temps de pause sans élève sont avant tout des temps de réflexions pédagogiques pour grand nombre d’enseignants. La note d’information de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance DEPP n° 22.30 d’octobre 2022, a d’ailleurs montré qu’ils travaillent au moins 34 jours pendant leurs congés. Rajouter les formations sur ce temps de réflexion ne ferait que complexifier leur rapport à la formation pour les en éloigner encore un peu plus.

Ces annonces viennent détériorer la formation continue déjà moribonde : de moins en moins de moyens y sont alloués avec notamment une dépense intérieure d’éducation dédiée à la formation continue en baisse de 0,8 % entre 2015 et 2021 (d’après les repères et références statistiques de 2023) et très peu de valorisation des fonctions de formateurs.Elles contribuent également à diminuer encore l’attractivité du métier d’enseignant.

Quels sont les enjeux ?

Commençons par rappeler quelques chiffres : d’après le rapport du sénateur Longuet de juillet 2023, la durée de formation des enseignants du 2nd degré n’a atteint en 2019 qu’une moyenne de 3,2 jours par an, alors que celle des autres agents de catégorie A de la fonction publique d’État atteint en moyenne 7,4 jours par an. Les « heures perdues » pour formation ne représentent d’ailleurs que 2 % des « heures perdues » d’enseignement, toutes raisons confondues.

La question centrale n’est donc finalement pas celle de la formation continue, mais celle des remplacements, de leur gestion et donc du recrutement des enseignants.

Du fait du manque de candidats aux concours d’enseignement (notamment en mathématiques), la politique à court terme menée se contente de gérer la pénurie en prenant des mesures contraignantes ou culpabilisantes pour limiter les absences des enseignants déjà en poste. Prenons pour exemples, la diminution du nombre de formations proposées, ou encore la forte pression sur les chefs d’établissement qui interdisent alors à des enseignants de se rendre en formation sur le temps de classe s’ils ne sont pas remplacés. On génère découragement et démissions chez les formateurs, comme chez les enseignants.

Nous souhaitons une politique à long terme, qui pilote en fonction des objectifs à atteindre. Les derniers résultats des évaluations PISA (décembre 2023) montrent une corrélation directe entre formation des enseignants et réussite des élèves. L’objectif est donc clair : il faut former les enseignants dans de bonnes conditions, tant pour les formés que pour les formateurs.

Monsieur le Ministre souhaite s’appuyer sur la méthode de Singapour afin d’améliorer les résultats des élèves français en mathématiques. Nous tenons à souligner que cette méthode est basée sur des changements organisationnels et sur des pratiques collaboratives, ainsi que sur une refonte de la formation des enseignants. Il est illusoire de vouloir mettre en place cette méthode a minima,sans formation adéquate, sous peine de déconvenues encore plus importantes lors des prochaines évaluations PISA.

Les élèves français méritent des enseignants de mathématiques formés, et ce, tout au long de leur carrière. Cela ne se fera pas par des effets d’annonce.

 

De quoi nous, formateurs, avons-nous besoin pour cela ?

  • D’être bien formés nous-mêmes, et engagés dans une formation continue de formateurs (la bien connue « Fo de Fo ») qui ne soit pas réduite à quelques demi-journées par an, obtenues de haute lutte dans des agendas surchargés ;
  • De temps pour concevoir les formations ;
  • De temps longs pour mettre en œuvre ces formations auprès des collègues ;
  • D’un statut de formateur qui reconnaisse la spécificité et le temps nécessaire pour les missions de formation (par exemple, par la mise en place de décharges de 3 à 6h comme le préconise le rapport du Sénat).

En effet, qui peut penser que les pratiques d’un enseignant vont évoluer durablement après seulement 3 à 6h de formation sur un sujet, sans retour d’expérience ? Qui peut penser que des modules en distanciel sur des sujets comme la relation pédagogique, le tutorat, les activités de manipulation en mathématiques, vont remplacer une dynamique de groupe en présentiel ?

Aussi, nous, formateurs de mathématiques de l’académie d’Orléans-Tours, soucieux d’assurer une mission de formation de qualité, la plus utile et efficace possible, refusons d’animer les formations sur les temps de vacances scolaires.

Par cette lettre ouverte, nous appelons à la tenue d’États généraux de la formation, incluant une réflexion sur la professionnalisation des formateurs, ainsi que la mise en place d’une réelle formation, didactique et disciplinaire, des formateurs, prévue sur le long terme, liant recherche et pratique professionnelle.

 

le 10 janvier 2024,
signée par 28 formateurs de l’académie

 

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