Bulletin Vert no 425
novembre — décembre 1999

Mathématiques et littérature.

En vue de susciter la motivation des élèves, nous recherchons souvent des supports variés et, si possible, un peu originaux, pour les activités proposées en classe.
Parmi d’autres disciplines, la littérature peut répondre à cette attente. Cet article a pour modeste objet de proposer quelques pistes d’utilisation de textes littéraires dans l’enseignement des mathématiques au lycée ou au collège, voire à l’école élémentaire.
Pour gagner de la place, nous ne citerons que quelques extraits des textes évoqués ; mais les références indiquées devraient suffire pour que les lecteurs intéressés se procurent ces supports.

Quels types de tâches peut-on proposer aux élèves ?

La liste qui suit n’est pas exhaustive… Chaque texte littéraire est un cas particulier, qui peut fournir des idées spécifiques d’exploitation. Cela dit, de manière générale, on peut demander aux élèves de :

  • rechercher (au C.D.I., par exemple) des textes littéraires évoquant les mathématiques d’une façon ou d’une autre,
  • dégager (individuellement, ou en petits groupes) des « idées-forces » d’un texte donné, en trouver un titre, le résumer, etc.,
  • commenter un texte donné, exprimer son opinion sur son contenu (oralement ou par écrit),
  • créer (et résoudre) des exercices ou problèmes mathématiques en liaison avec un texte étudié,
  • compléter un texte donné, duquel le professeur a retiré certains mots ou expressions,
  • remettre en ordre un texte dont les morceaux ont été mélangés (« puzzle »). Ces tâches « techniques » ne constituent pas une fin en soi, mais sont au service d’objets plus larges : faire émerger les représentations mentales des élèves sur les notions mathématiques abordées, les aider à mieux comprendre et utiliser ces notions, leur permettre d’améliorer leur expression (orale ou écrite), etc.

Bien entendu, pour ces activités comme pour d’autres, une collaboration entre professeurs de mathématiques et professeurs de français ne peut être que bénéfique. On peut, en particulier, coupler l’étude d’extraits de textes en classe de mathématiques avec l’étude des œuvres elles-mêmes, menée en classe de français.

Quelques exemples de textes littéraires utilisables

Nous avons classé les exemples ci-dessous en deux catégories : ceux qui permettent de travailler des notions mathématiques spécifiques, et ceux, qui, plus largement, évoquent la résolution de problèmes, l’apprentissage ou l’enseignement des mathématiques, etc.

  • textes évoquant des notions mathématiques :
    • Un petit « sketch » de Jacques Prévert (extrait de Histoires), assez connu (on le trouve notamment dans le manuel sixième de la collection Pythagore, aux éditions Hatier), mettant en scène un garçon de restaurant et un client, joue sur le sens du mot « addition » ; en voici quelques extraits : « On ne vous a donc pas appris à l’école que c’est ma-thé-mati-que-ment impossible d’additionner deux choses d’espèce différente ! […] Il faut réellement être insensé pour oser essayer de tenter d’"additionner" un veau avec des cigarettes, des cigarettes avec un café filtre, un café filtre avec une amande verte et des œufs durs avec des petits pois, des petits pois avec un téléphone… Pourquoi pas un petit pois avec un grand officier de la Légion d’honneur, pendant que vous y êtes !  ». Cela peut permettre de réfléchir sur l’addition des nombres mais aussi sur celle des grandeurs, ou sur la réduction d’expressions littérales, etc.
    • Un passage célèbre de l’acte II de Marius (Marcel Pagnol), à propos de la fabrication d’un cocktail, permet d’évoquer la notion de fraction et ses différents emplois en mathématiques et dans la vie courante ; voici quelques fragments : « César : Tu mets d’abord un tiers de curaçao. Fais attention : un tout petit tiers. Bon. Maintenant, un tiers de citron. Un peu plus gros. Bon. Ensuite, un BON tiers de Picon. Regarde la couleur. Regarde comme c’est joli. Et à la fin, un GRAND tiers d’eau. Voilà. […] Marius : Dans un verre, il n’y a que trois tiers. César : Mais imbécile, ça dépend de la grosseur des tiers !... ».
    • Un sketch de Raymond Devos, intitulé Parler pour ne rien dire (tiré du recueil Sens dessus dessous) permet d’aborder le nombre zéro et ses propriétés ; quelques échantillons : « Car rien… ce n’est pas rien ! La preuve, c’est qu’on peut le soustraire. Exemple : rien moins rien = moins que rien ! Si l’on peut trouver moins que rien, c’est que rien vaut déjà quelque chose ! […] Maintenant, si vous multipliez trois fois rien par trois fois rien : rien multiplié par rien = rien. Trois multiplié par trois = neuf. Cela fait : rien de neuf !  ».
    • Les voyages de Gulliver, de Jonathan Swift, fournissent diverses situations de proportionnalité, comme dans l’extrait suivant : « […] les mathématiciens de Sa Majesté ayant pris la hauteur de mon corps et supputé sa grosseur l’avaient trouvé, par rapport au leur, comme mille huit cent soixante-quatorze sont à un, d’où ils en avaient inféré que je devais avoir un appétit dix-huit cent soixante-quatorze fois plus grand que le leur. » ; reformuler cette phrase dans un langage plus moderne nous paraît déjà intéressant en soi…
    • Jules Verne nous fournit ça et là des passages concernant les mathématiques ; par exemple, dans L’île mystérieuse, pour mesurer la hauteur d’une falaise : « ... Eh bien, mon enfant, je viens de construire deux triangles semblables, tous deux rectangles : le premier, le plus petit, a pour côtés la perche perpendiculaire, la distance qui sépare le piquet du bas de la perche, et mon rayon visuel pour hypoténuse ; le second a pour côtés la muraille perpendiculaire, dont il s’agit de trouver la hauteur, la distance qui sépare le piquet du bas de cette muraille, et mon rayon visuel formant également son hypoténuse - qui se trouve être la prolongation de celle du premier triangle. […] ».
    • Un certain nombre de romans des siècles derniers utilisent d’anciennes unités de grandeurs (longueurs, aires, …) et peuvent donc être utilisés pour un travail sur les changements d’unités, etc. ; voici par exemple un extrait du premier chapitre de Micromégas (Voltaire) : « Il s’appelait Micromégas, nom qui convient fort à tous les grands. Il avait huit lieues de haut : j’entends, par huit lieues, vingt-quatre mille pas géométriques de cinq pieds chacun. Quelques algébristes, gens toujours utiles au public, prendront sur-le-champ la plume, et trouveront que, puisque Monsieur Micromégas, habitant au pays de Sirius, a de la tête aux pieds vingt-quatre mille pas, qui font cent vingt mille pieds de roi, et que nous autres, citoyens de la Terre, nous n’avons guère que cinq pieds, et que notre globe a neuf mille lieues de tour, ils trouveront, dis-je, qu’il faut absolument que le globe qui l’a produit ait au juste vingt et un million six cent mille fois plus de circonférence que notre petite Terre. Rien n’est plus simple et plus ordinaire dans la nature. »
    • Dans Le temps des amours, Marcel Pagnol évoque des souvenirs de classe et parle d’un instituteur qui, pour faire apprendre des « formules » de géométrie, les présentait sous forme de petits « poèmes mnémotechniques » : « La circonférence est fière / D’être égale à $2 \pi R$ / Et le cercle est tout joyeux / D’être égal à $\pi R^2$ ». Remarquons que cet exemple fournit une occasion de discuter avec les élèves de l’inconvénient qu’il peut y avoir à prononcer « pi R deux ».
    • Les poèmes du recueil intitulé Euclidiennes, d’Eugène Guillevic, sont tous dédiés à des figures géométriques ; à titre d’exemple, voici celui intitulé Rhomboèdre : « Pour se guérir de son malaise / Le losange s’est projeté / Dans son pareil, son parallèle / Et s’est lié à lui / Par des droites soumises / Où s’en vont ses regards / Que l’autre lui renvoie » ; mais il y en a pour tous les goûts, de différentes longueurs. Même s’ils sont quelquefois difficiles à comprendre pour des élèves, ils illustrent une autre façon de voir des objets géométriques.
    • Un extrait de La légende des siècles (Victor Hugo) décrit la pyramide de Chéops ; son étude permet, entre autres, de se pencher sur le vocabulaire de la géométrie ; en voici quelques vers : « Superposant, au fond des espaces béants / Les mille angles confus de ses degrés géants, / Elle se dressait, blême et terrible […] / Son vaste cône d’ombre éclipsait l’horizon./[…] ».
    • Toujours dans le domaine du vocabulaire géométrique, on peut se servir d’un passage du premier chapitre de Madame Bovary (Gustave Flaubert), décrivant la casquette de Charles Bovary : « Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis s’alternaient séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poil de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné […] » ; pourquoi pas, par exemple, faire dessiner cette casquette par les élèves ?
    • Citons également le célèbre Exercices de style, de Raymond Queneau, dont un texte s’intitule Géométrique : « Dans un parallélépipède rectangle se déplaçant le long d’une ligne droite d’équation 84 x + S = y, un homoïde A présentant une calotte sphérique entourée de deux sinusoïdes, au-dessus d’une partie cylindrique de longueur $>$n, présente un point de contact avec un homoïde trivial B. Démontrer que ce point de contact est un point de rebroussement. Si l’homoïde A rencontre un homoïde homologue C, alors le point de contact est un disque de rayon $>$1. Déterminer la hauteur h de ce point de contact par rapport à l’axe vertical de l’homoïde A. » ; à comparer, bien sûr, avec les multiples autres versions de ce texte que donne l’auteur…
    • Des passages de romans de science-fiction peuvent quelquefois servir de support à des exercices ou des réflexions mathématiques ; citons par exemple un extrait de La machine à remonter dans le temps (Herbert George Wells) : « Vous savez comment, sur une surface plane qui n’a que deux dimensions, on peut représenter la figure d’un solide à trois dimensions. A partir de là, ils soutiennent que, en partant d’images à trois dimensions, ils pourraient en représenter une à quatre s’il leur était possible d’en dominer la perspective. Vous comprenez ? ».
    • Quant à la « logique », elle se trouve quelquefois mise en scène dans certaines œuvres ; ainsi, dans Rhinocéros, d’Eugène Ionesco (acte premier) : « Voici donc un syllogisme exemplaire : le chat a quatre pattes ; Isidore et Fricot ont chacun quatre pattes ; donc Isidore et Fricot sont chats. / Mon chien aussi a quatre pattes. / Alors c’est un chat. / Donc logiquement, mon chien serait un chat. / Logiquement, oui. Mais le contraire est aussi vrai. » ; ou dans Le mariage de Figaro, de Beaumarchais (acte III, scène 15), un quiproquo sur les mots « et » et « ou » : « […] Qu’il y a, Messieurs, malice, erreur ou distraction dans la manière dont on a lu la pièce ; car il n’est pas dit dans l’écrit : laquelle somme je lui rendrai, ET je l’épouserai mais : laquelle somme je lui rendrai, OU je l’épouserai ; ce qui est bien différent. […] ».
    • Par ailleurs, dans l’enseignement des statistiques, on peut utiliser des textes ou œuvres littéraires comme supports d’exercices ; par exemple, pour évaluer les fréquences d’emploi de chacune des lettres de l’alphabet, étudier le nombre de chapitres ou leur longueur, le nombre de personnages et leur « importance », le nombre d’exemplaires imprimés, etc. mais il n’est pas nécessaire que ces textes parlent de mathématiques…
  • textes évoquant les mathématiques de façon plus globale :
    • Un des Contes rouges du chat perché (Marcel Aymé) intitulé Le problème, est exploitable à plus d’un titre (il évoque en particulier le travail à la maison…), mais il est axé sur l’incompréhension de l’énoncé suivant : « Les bois de la commune ont une étendue de seize hectares. Sachant qu’un are est planté de trois chênes, de deux hêtres et d’un bouleau, combien les bois de la commune contiennent-ils d’arbres de chaque espèce ? ». Deux écolières, Delphine et Marinette, n’arrivant pas à le résoudre, reçoivent le renfort de leurs amis les animaux et la poule propose d’aller compter les arbres dans les bois de la commune ; le lendemain : « La maîtresse essaya de faire comprendre aux bêtes que les bois de la commune, dont il était question dans l’énoncé, ne correspondaient à rien de réel, mais la petite poule blanche se fâcha et ses compagnons commençaient à être de mauvaise humeur. "Si l’on ne pouvait se fier à l’énoncé, disaient-ils, le problème lui-même n’avait plus aucun sens." ». On comprend que ce texte permet d’aborder avec les élèves la question des « problèmes concrets » ; signalons à titre anecdotique que, dans ce conte, un inspecteur, qui arrive alors, donne raison à la poule…
    • Une lettre de Gustave Flaubert à sa sœur Caroline apporte un éclairage littéraire au fameux problème de l’âge du capitaine : « Puisque vous étudiez la géométrie et la trigonométrie, je vais vous soumettre un problème : un bateau vogue sur l’Océan. Il a quitté Boston avec un chargement de laine. Il jauge 200 tonneaux. Il se dirige vers Le Havre. Le grand mât est cassé, le garçon de cabine est sur le pont, il y a douze passagers à bord. Le vent souffle E-NE. L’horloge marque 3h 1/4. On est au mois de mai. Quel est l’âge du capitaine ? ».
    • Un fragment de La vie de Henry Brulard, de Stendhal, raconte les déboires de l’auteur avec la fameuse « règle des signes » (« moins par moins donne plus »), mais l’extrait suivant montre que ce passage évoque aussi plus généralement la "pratique pédagogique" : « On faisait bien pis que ne pas m’expliquer cette difficulté (qui sans doute est explicable car elle conduit à la vérité), on me l’expliquait par des raisons évidemment peu claires pour ceux qui me les présentaient. M. Chabert pressé par moi s’embarrassait, répétait sa leçon, celle précisément contre laquelle je faisais des objections, et finissait par avoir l’air de me dire : "Mais c’est l’usage, tout le monde admet cette explication. Euler et Lagrange, qui apparemment valaient autant que vous, l’ont bien admise…" ».
    • Un chapitre de L’enfant, de Jules Vallès, met également en jeu l’enseignement des mathématiques, et en particulier de la géométrie ; les cours particuliers donnés au narrateur par un maçon lui permettent de mieux réussir en classe… ; voici un extrait parmi d’autres : « C’est ça ! c’est ça ! disait-il en hochant la tête. On veut enseigner aux enfants ce que c’est qu’un cône, comment on le coupe, le volume de la sphère, et on leur montre des lignes, des lignes ! Donnez-leur le cône en bois, la figure en plâtre, apprenez-leur cela, comme on découpe une orange ! » Ce texte peut être l’occasion de parler des liens entre le « concret » et l’« abstrait » en mathématiques…
    • Certains poèmes évoquent des « échappatoires à la rigueur mathématique » et peuvent ainsi permettre, en classe, de parler du sens des mathématiques ; voici par exemple un extrait de Destinée arbitraire (Robert Desnos) : « Par un point situé sur un plan / On ne peut faire passer qu’une perpendiculaire à ce plan / On dit ça… / Mais par tous les points de mon plan à moi / On peut faire passer tous les hommes, tous les animaux de la terre / Alors votre perpendiculaire me fait rire […] ». Dans le même ordre d’idée, on peut citer aussi la célèbre Page d’écriture, de Jacques Prévert : « Deux et deux quatre / Quatre et quatre huit / Huit et huit font seize. / Mais voilà l’oiseau-lyre / Qui passe dans le ciel / […] / Et les murs de la classe s’écroulent tranquillement / Et les vitres redeviennent sable […] ».
    • L’étude de textes dans lesquels les auteurs expriment leurs sentiments à l’égard des mathématiques peut être un moyen de faire s’exprimer également les élèves, et de déboucher sur des discussions « de fond » sur les mathématiques et leur enseignement. Citons par exemple un extrait des Contemplations (Victor Hugo) : « […] / On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux / On me faisait de force ingurgiter l’algèbre / On me liait au fond d’un Boisbertrand funèbre / On me tordait, depuis les ailes jusqu’au bec / Sur l’affreux chevalet des X et des Y / Hélas, on me fourrait sous les os maxillaires / Le théorème orné de tous ses corollaires / Et je me débattais, lugubre patient / Du diviseur prêtant main-forte au quotient / […] » ; ou, moins noir, un extrait du chant deuxième des Chants de Maldoror (Lautréamont) : « Ô mathématiques sévères, je ne vous ai pas oubliées, depuis que vos savantes leçons, plus douces que le miel, filtrèrent dans mon cœur, comme une onde rafraîchissante. […] Arithmétique ! Algèbre ! Géométrie ! Trinité grandiose ! Triangle lumineux ! Celui qui ne vous a pas connues est un insensé ! » ; ou encore une chanson d’un professeur de mathématiques encore bien vivant, Francis Reynès, intitulé Tango elliptique : « Tu n’es certes plus un’ jeunesse / Et cependant les ans ne laissent / Aucun’ ride sur ton visage / [...] / Tout compt’ fait t’es mêm’ sympathique / Bien qu’tu t’appell’s Mathématiques »...

Bibliographie succincte :

  • A. & J.C. Deledicq, F. Casiro, Les maths et la plume, Editions A.C.L., 1996.
  • R. Duvert & J.M. Zakhartchouk, Français - mathématiques : 52 outils pour un travail commun, C.R.D.P. de l’Académie d’Amiens, 1999.

 

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