Mathématiques : un enjeu de société, pour tous et toutes

tribune
du 15 mars 2022

 
Tribune parue dans La Newsletter du Monde de l’Éducation le 15 mars 2022
par le collectif des sociétés savantes et associations de mathématiques, astronomie et astrophysique, biométrie, biophysique, informatique, ingénieures, physique, physique-chimie, classes préparatoires scientifiques : ADIREM, AEIF, APMEP, ARDM, CFEM, CLEA, EPI, Femmes Ingénieures, Femmes et Mathématiques, Femmes et Sciences, GEM, SF2A, SFB (biométrie), SFB (biophysique), SFdS, SIF, SFP, SMAI, SMF, UdPPC, UPA, UPS.

 

Nous demandons la mise en place rapide d’un groupe de travail sur la place des mathématiques et des sciences au lycée

En tant que représentants de la communauté scientifique, technique, éducative et de recherche en mathématiques, et plus généralement en sciences, notre rôle est d’alerter sur les enjeux de société actuels, d’identifier les problèmes de formation qui se posent pour les mathématiques et les sciences, et d’en analyser les causes. Nos analyses font apparaître que la structure de l’actuel lycée est en grande partie responsable des problèmes observés : aggravation des inégalités filles/garçons ; renforcement des inégalités socio-économiques et des inégalités territoriales ; insuffisance de la formation mathématique et scientifique fragilisant la poursuite d’études dans de nombreuses filières du supérieur.

Nous insistons sur le fait que les problèmes que nous mettons en évidence ci-après ne pourront en aucun cas être réglés par des modifications à la marge sans remettre à plat la structure même du cycle terminal du lycée.

Comme nous l’avons exprimé [1] avant le début des auditions du comité de consultation sur la place des mathématiques, le 23 février dernier, nous souhaitons voir s’engager une réflexion de fond sur la structure du lycée issue de la réforme portant sur :

  • le nécessaire équilibre entre sciences et humanités, actuellement en défaveur des sciences, et la diversification de l’enseignement des mathématiques, dès la classe de première.
  • la possibilité de conserver en classe de terminale les 3 spécialités choisies en classe de première,
  • des mesures susceptibles de mieux intégrer les filles aux parcours scientifiques (incluant les parcours en mathématiques, physique, informatique et en sciences de l’ingénieur) et de corriger les inégalités aggravées par la réforme.

Offrir une formation en mathématiques de qualité pour toutes et tous est un enjeu majeur pour l’avenir de notre société et de notre pays. Les mathématiques sont essentielles pour relever les défis numériques, technologiques, climatiques et énergétiques du XXIe siècle. De ce fait, elles occupent une place croissante dans le monde professionnel, où les compétences en ingénierie et en recherche de haut niveau scientifique et mathématique [2] sont recherchées [3] et donnent accès à des emplois fortement qualifiés et rémunérés [4]. Par ailleurs, constituant le socle commun à l’ensemble des sciences, y compris économiques, humaines et sociales, la formation en mathématiques est essentielle pour l’accès aux études supérieures dans de nombreuses filières. Un bagage mathématique solide est aussi nécessaire aux futurs enseignants de l’école primaire pour transmettre avec aisance les savoirs mathématiques aux élèves. Au-delà, une culture mathématique commune est indispensable à tous les citoyens, qu’il s’agisse de la gestion des tâches quotidiennes ou de la capacité à interpréter les informations chiffrées présentes notamment dans les médias.

Pourtant, les pouvoirs publics semblent conférer une place ambiguë aux mathématiques dans la formation des élèves. Considérée comme discipline fondamentale jusqu’en fin de collège, elle devient optionnelle en première et brusquement présentée comme secondaire voire marginale dans le lycée réformé. Ce choix suscite des inquiétudes.

Celles-ci s’expriment dans des tribunes d’économistes [5], de philosophes [6], dans des éditoriaux [7], dans des reportages et articles interviewant les industriels ou des patrons d’entreprises [8], lors de forums d’entreprises consacrés aux mathématiques, ou encore par des enseignants, parents ou citoyens. Tous s’interrogent sur l’avenir de leurs enfants ou de la France face au déficit de formation scientifique et en particulier mathématique de la population.

Ils corroborent les alertes lancées par la communauté mathématique depuis quatre ans sur les projets de cette réforme du lycée et du bac [9], demeurées ignorées des pouvoirs politiques. Les publications récentes de la communauté élargie aux associations et sociétés savantes d’enseignants et chercheurs scientifiques, révèlent des tendances inquiétantes au sein du lycée général :

  • Un décrochage des filles dans tous les parcours de mathématiques [10] dès la première, qui touche également les milieux défavorisés. Ce constat met en question l’égalité filles/garçons comme l’égalité des chances dans une discipline-clé pour la promotion sociale.
  • L’abandon des mathématiques par environ 45% des élèves et une offre globale de formation en mathématiques en baisse de 38 % en terminale générale.
  • Plus globalement, une baisse du vivier des élèves de formation scientifique, avec moins de formation en moyenne et moins de polyvalence. [11]

Ces dernières semaines, l’écho médiatique et politique intense de ces alertes [12], la multiplicité des interventions des acteurs extérieurs à la communauté sur le sujet des mathématiques et de la formation en général [13] confirment que l’enjeu dépasse le seul cadre du lycée et touche toute la société [14]. Une meilleure prise de conscience du rôle des mathématiques dans la société se dessine. Elle montre une discipline utile, plus ouverte sur le monde, plus accessible au plus grand nombre [15]. Ces images corrigent une idée communément admise, contraire à l’intérêt général, selon laquelle les mathématiques devraient être l’apanage d’une élite.

À la rentrée 2022, une quatrième cohorte d’élèves subira les conséquences pour leurs études, leurs vies professionnelles et quotidiennes des manques créés par la réforme du lycée. Il est urgent de conduire une réflexion approfondie pour corriger ces effets délétères qui vont à l’encontre des ambitions affichées pour le pays.

Nous demandons pour cela la mise en place rapide d’un groupe de travail sur la place des mathématiques et des sciences au lycée pouvant s’installer dans un temps indépendant du calendrier politique, qui réunisse tous les acteurs concernés, désignés de façon collégiale. Son objectif : garantir, dès la rentrée 2023, une offre de formation mathématique et scientifique pour tous et toutes et à la hauteur des enjeux et des défis à relever pour le monde de demain.

 

 

Notes

[123/2/2022 : communiqué du collectif Maths&Sciences : « Consultation sur la place des mathématiques » : une réponse inadaptée aux problèmes du lycée

[22015, AMIES, dossier de presse : impacts socio-économique des mathématiques en France p.6 : plus-value estimée à 15 % du PIB en 2015 en France, 30 % de valeur ajoutée brute au Pays-Bas.

[3Juin 2021 Numeum : chiffres et data du secteur numérique p. 19 : 10 000 postes de diplômés non pourvus chaque année.

[421/12/2021 Alternatives Economiques : Sous-investissement dans l’enseignement supérieur : un très mauvais calcul, Fanny Marlier

[519/12/2021 l’Express, chronique : Les mathématiques, grande cause nationale pour le prochain quinquennat, par Nicolas Bouzou

[622/12/2021 Le Monde, tribune : le plan France 2030 se heurtera inévitablement au mur des compétences, Maroun Eddé

[710/1/2022 Libération, Éditorial : « Mauvais résultats en maths : Jean-Michel Blanquer sèche devant l’équation ».

[83/2/2022 Les propositions du MEDEF pour la présidentielle 2022, p.8 point 5.

[913/3/2018 Communiqué APMEP-CFEM-FeM-SCF-SIF-SFP-SMAI-SMF-UdPPC-UPA-UPS : Réforme du lycée et du baccalauréat — lettre ouverte au ministre de l’Éducation Nationale

[107/2/2022 Communiqué du collectif ADIREM, APMEP, ARDM, CLEA, CFEM, Femmes et Mathématiques, SFdS, SIF, SMAI, SMF, UPS : Réforme du lycée et impact sur les mathématiques part des filles et nombre d’heures-

[1118/2/2022 Communiqué du collectif maths-sciences ADIREM, AEIF, APMEP, ARDM, CLEA, CFEM, EPI, Femmes Ingénieures, Femmes et Mathématiques, GEM, SFB, SFdS, SIF, SMAI, SMF, UDPPC, UPA, UPS : Réforme du lycée et impact sur les sciences : volumes de formation et parcours scientifiques

[1211/2/2022 Libération, première page : « Éducation, échec et maths »

[1321/02/2022 Le Monde, tribune : David Djaïz et Xavier Jaravel : « Non, la France n’est pas condamnée au déclin de son école »

[1422/02/2022 : Séance publique au sénat, Débat visant à dresser un bilan de la politique éducative française : question de Mme De Marco à Jean-Michel Blanquer.

[1508/02/2022 France Inter, le billet d’Alex Vizorek : leçon de mathématiques

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