Pierre Méchain 1744 — 1804
Un picard à la mesure du méridien…
Qu’il n’y ait plus sur le territoire deux poids et deux mesures.
… c’est la réclamation la plus fréquemment émise dans les Cahiers de Doléances qui serviront à alimenter les débats et propositions des États Généraux convoqués pour mai 1789 par Louis XVI .
Ce n’est en effet pas loin de 2 000 mesures qui existent à ce moment sur le territoire, et ce malgré plusieurs tentatives d’uniformisation, depuis Charlemagne, mais en vain. Cette question des mesures est cruciale : une grande partie des redevances et impôts est payée en nature ; toute modification de la taille des étalons (par le seigneur ou le clergé, en secret bien sûr) entraîne une augmentation immédiate des impôts.
Cette situation est la même partout dans le reste de l’Europe, voire le reste du monde. L’abolition des privilèges du Clergé et de la Noblesse, dans la nuit du 4 août 1789 va permettre de fait l’abolition du pouvoir métrologique des « seigneurs ».
La réforme de l’uniformisation des mesures peut à présent être menée à bien. L’Académie des sciences installe une Commission des poids et des mesures (on y retrouve le cristallographe René Just Hauÿ [1], natif de Saint Just en Chaussée, petite ville de Picardie).
Après bien des discussions sur la définition de la nouvelle mesure linéaire, et bien des tergiversations, l’Académie des Sciences, à la demande de l’Assemblée nationale constituante, décide de faire mesurer la longueur de l’arc de méridien entre Dunkerque et Barcelone. C’est à la suite du « Rapport sur le choix d’une unité de mesure », dont le mathématicien originaire de Ribemont, Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, est l’un des six rédacteurs, que l’Assemblée décide d’adopter le quart de méridien comme base du nouveau système de mesure linéaire, ainsi que l’échelle décimale pour l’ensemble du système des mesures. Le mètre sera le dix millionième du quart de méridien.
Deux hommes, tous deux membres de l’Institut, se voient confier ce travail gigantesque de mesure par la méthode des triangulations. Il s’agit de Jean-Baptiste Delambre (né à Amiens en 1749) et de Pierre Méchain, né à Laon en 1744. Tous deux ont été élèves et protégés de l’astronome Jérôme Lalande.
Pierre François André Méchain naît donc à Laon, petite ville perchée sur une colline au « centre » de ce qui sera le département de l’Aisne, le 16 août 1744. Fils d’un maître-plafonneur en plâtre, il doit prendre la suite de son père mais son goût pour les mathématiques et la physique convainc ses parents de le laisser entreprendre des études scientifiques et il intègre l’École des Ponts et Chaussée. Son père ruiné, Pierre Méchain doit renoncer à ses études. Il devient alors précepteur des deux fils d’une famille établie près de Sens.
Pour aider son père dans le besoin, Méchain revend sa lunette d’astronomie. Son acquéreur n’est autre que l’astronome Jérôme Lalande. Pressentant de grandes qualités chez cet astronome amateur, Lalande le prend sous son aile et lui fait obtenir une place d’hydrographe au Dépôt des cartes à la Marine. Devenu un des meilleurs élèves de Lalande, Pierre Méchain se voit confier la relecture du second traité d’Astronomie de son professeur. Il découvre deux comètes en 1781 dont il calcule aussitôt les deux orbites. Ses études sur des éclipses et ses découvertes de nouvelles comètes (il en découvrira 11 en 18 ans, en calculant leurs orbites, tout en y joignant les orbites de treize autres découverts par des collègues) en font un astronome réputé. Il entre à l’Académie des Sciences en 1782.
Méchain est donc un homme capable de travaux de calculs longs, fastidieux, qui a montré de grandes qualités de géodésien (il est capable de tracer une ligne côtière sans l’avoir jamais vue, en faisant ses calculs à partir des observations des autres), c’est un homme discret, d’une grande rigueur, qui a peu écrit en son nom propre, hormis les volumes de 1786 à 1794 de « La connaissance des Temps », ouvrage d’astronomie, réputé pour ses éphémérides astronomiques, ou bien les mémoires sur les comètes qu’il a découvertes. Il ne cherche pas la célébrité. Il accepte la mission de la mesure du méridien pour l’honneur, le travail en lui-même n’étant pas rémunéré. Marié en 1777 avec Thérèse Marjou (ils auront deux fils et une fille), femme instruite et très capable, qui assiste son époux dans ses travaux d’astronomie, c’est elle qui continuera ces travaux pendant l’absence de son époux, percevant ainsi le salaire nécessaire aux besoins de la famille.
Méchain doit effectuer les mesures du méridien sur sa partie sud, de Barcelone à Rodez et Delambre de Dunkerque à Rodez. La partie nord a déjà été mesurée plusieurs fois, ce qui n’est pas le cas de la partie sud, notamment sur le territoire espagnol.
L’intérêt de la nouvelle mesure de cet arc de méridien tient en l’utilisation d’un nouvel instrument, le « cercle répétiteur », inventé par le chevalier de Borda, ingénieur militaire, capitaine de vaisseau. Le nouveau cercle répétiteur de Borda apporte une précision de mesure des angles à la seconde près, alors que jusqu’ici, les instruments ne les donnaient qu’à 15 secondes près.
Tous deux partent de Paris en juin 1792, chacun accompagné de deux assistants : Lalande et Bellet pour Delambre, Tranchot et Esteveny pour Méchain. Ils partent en pleine Révolution donc, pour un périple qui doit durer environ un an. Il durera sept ans.
Les deux géodésiens connaîtront en effet bien des mésaventures.
Méchain est arrêté peu après son départ dans la ville d’Essonne, ses instruments sont suspects ! Arrivé en Espagne, les repères pour effectuer les mesures de triangles sont difficiles à établir dans les montagnes pyrénéennes. Toute la triangulation est à définir dans cette partie.
Pierre Méchain sera victime d’un grave accident, chez un ami espagnol, dans lequel il perd l’usage du bras droit. La guerre entre la France et l’Espagne débute en mars 1793. La Terreur s’instaure en France de 1793 à 1795. La triangulation est interrompue alors. Méchain ne peut rentrer en France, alors qu’il a terminé ses mesures. Coincé à Barcelone, il refait une seconde série d’observations pour déterminer la latitude du fort de Montjouy par rapport à Barcelone. Là, il découvre un écart de 3 secondes avec ses observations faites il y a un an. Différence qu’il ne parvient pas à s’expliquer ! Il ne divulgue à personne cet écart entre les deux séries de mesure, pas même à son assistant Tranchot, surtout pas à ses collègues de la Commission de Paris, ni même à Delambre avec qui il correspond.
Cet écart le plonge dans un grand désarroi ; il parvient à se rendre en Italie, à Gênes. Il ne se décide à rentrer en France qu’en 1796. Là, il dissimule ses observations faites à Barcelone, refuse de communiquer celles-ci à ses collègues. Il est élu au Bureau des Longitudes puis nommé directeur de l’Observatoire de Paris, succédant à Lalande. Il refait vainement ses calculs. Assombri, anxieux, il n’a de cesse de repartir mesurer en Espagne. Sous le prétexte de prolonger les mesures jusqu’aux îles Baléares, il repart (difficilement, ces mesures supplémentaires ne semblant pas utiles à ses collègues) en mission en avril 1803, avec l’un de ses fils. Il contracte la fièvre jaune et meurt, épuisé, à Castellon de la Plana, au nord de Valence en Espagne, le 20 septembre 1804.
C’est Delambre qui découvre après la mort de Pierre Méchain cet écart de 3 secondes sur la latitude de Barcelone. Méchain a demandé que ses manuscrits soient confiés à Delambre et à lui seul. Le secret est révélé dix ans après ! Le mètre étalon a été proclamé fin 1799 ! Mais l’erreur des secondes observations de Méchain n’ont eu aucune influence sur le mètre étalon, car les mesures utilisées sont les premières que Méchain a effectuées à Montjouy. Cette erreur n’aura donc eu aucun effet sur la définition du mètre !
Petite bibliographie
- GUEDJ D. : Le mètre du monde Ed. Le Seuil 2000
- ALDER K. : Mesurer le monde Ed. Flammarion 2005