Bulletin Vert n°492
janvier — février 2011
Quelle APMEP ?
Dans sa tribune libre « Centenaire … et ensuite » (BV n°491), Gérard Kuntz cherche des solutions à l’effritement continu des effectifs de l’APMEP.
Il dresse d’abord un état des lieux qui me paraît contestable sur plus d’un point :
- Il n’a pas tort de penser que « la baisse du nombre d’adhérents de l’APMEP résulte aussi du sentiment de sa relative inefficacité dans la défense de l’enseignement des maths ». Mais il a tort de considérer avec condescendance, voire avec mépris, la colère des individus et des collectifs ou coordinations éphémères (« il soigne son ego et son sentiment de puissance », « … poignée d’activistes ») et il frôle la calomnie à leur égard : lesquels de ces groupes ont touché des « subventions de l’état et des collectivités territoriales » ? De maintes conversations avec des collègues non-adhérents ou anciens adhérents, je conclus que l’APMEP n’a pas su communiquer sur ses actions revendicatives, pourtant réelles et permanentes ; elle n’a pas su montrer que, souvent, elle partage la saine colère de la majorité des enseignants. Les multiples courriers et rencontres entre le Bureau et les pouvoirs publics sont ignorés à l’extérieur de l’association. Le texte d’orientation, récemment adopté par vote des adhérents, ne met pas, à mon avis, assez en avant cette facette de notre action ; il est heureusement complété, année après année, par les « Acquis, positions, revendications » de la plaquette « Visages » mais celle-ci n’atteint que peu de non-adhérents. À la décharge des bureaux successifs, il faut signaler le peu d’enthousiasme de la presse à relayer nos prises de positions : comparer l’encre qui a coulé à propos de la suppression de l’histoire en terminale S d’une part, celle des maths en section L d’autre part…
- La mise en parallèle, ou en concurrence, de l’APMEP avec les IREM et avec Sesamath relève pour moi du mariage de la carpe et du lapin. D’abord les IREM ne sont pas une association, mais une institution (menacée) ; et, comme Sesamath, ils sont par essence, par construction, des fournisseurs de ressources pour la classe. L’APMEP est aussi cela, mais pas que cela ; et depuis quelque quarante ans que j’en suis adhérent, j’y ai toujours ressenti, et recherché, un « style », un état d’esprit différents : alors que les IREM apportent à l’enseignant des connaissances théorico-pratiques, dans les deux domaines mathématique et pédagogique, alors que Sesamath lui offre surtout des cours et activités « clefs en main », j’ai trouvé dans le Bulletin vert, puis dans Plot, un point de vue élargi, des regards croisés, des opinions parfois divergentes, un fourmillement d’idées proposées, que chacun est libre de s’approprier, de recouper, synthétiser, pour construire sa propre culture et sa propre pratique. Je n’ai jamais voulu, même jeune enseignant, que l’on me dise « pour enseigner ceci, tu fais comme ça ». Il n’y a ni deux classes identiques, ni deux professeurs identiques ; plus que la conception minutieuse et définitive de la séquence idéale, le travail de préparation de cours consiste à adapter un contenu à la rencontre d’un professeur particulier avec un groupe particulier, en ménageant l’espace de la nécessaire improvisation. Il est sans doute vrai que, plus qu’autrefois, des enseignants demandent à être conduits par la main ; à mon avis il ne faut pas leur fournir les rails (les ornières ?) qu’ils réclament, mais les accompagner vers l’autonomie, de même que nous essayons, pour nos élèves, de privilégier la prise d’initiative par rapport à la résolution mécanique d’exercices stéréotypés.
Gérard Kuntz propose ensuite une solution qui, compte tenu de ce qui précède, me paraît totalement inadéquate. Il s’agit en effet, en schématisant, de prendre modèle sur Sesamath. Or :
- Préconiser une telle mise en concurrence est étonnant chez quelqu’un qui est partie prenante de Sesamath, actuellement en situation de quasi-monopole dans son secteur (ressources en ligne gratuites) : n’est-ce pas se tirer une balle dans le pied ?
- J’ai souligné ci-dessus une différence de conception de la transmission de pratiques pédagogiques.
- Se limiter à une fonction de ressource pédagogique revient à nier le rôle revendicatif, politique (au sens noble du terme : participation à la vie de la cité), que l’APMEP peut et doit continuer à jouer, et même amplifier. Ces deux visages : pédagogique et politique, sont pour moi à bien distinguer, et aucun des deux ne doit occulter l’autre, même s’ils sont étroitement intriqués, l’action politique étant guidée par notre volonté de promouvoir nos visions de la pédagogie des mathématiques, et de la place des mathématiques dans la culture et dans la société.
- Pour ce qui est du modèle économique préconisé, ni « royalties versées par des éditeurs privés », ni subventions de la part des Académies, Conseils Généraux ou Régionaux, ne sont compatibles avec l’indépendance absolue que doitconserver l’APMEP (G. Kuntz lui-même, plus haut, s’indignait des subventions soi-disant versées aux « collectifs »). Et assimiler ou même comparer notre association à une entreprise m’est rigoureusement insupportable.
En résumé, G. Kuntz propose un bouleversement de la nature même de l’APMEP, à laquelle je n’adhère en rien ; bouleversement qui conduirait à des changements de statut, et probablement à une explosion, par départ de ceux qui se retrouvent mieux dans le bilan des cent ans précédents que dans des projets plus ou moins aventureux.
Bien sûr, il me rétorquera : que proposes-tu à la place ? À quoi je répondrai que :
- Si je détenais la solution miracle, « ça se saurait ».
- Je préconise, comme dit plus haut, un meilleur affichage de la facette revendicative de l’APMEP, qui peut provoquer l’adhésion de collègues « en colère ».
- Le rôle pédagogique, tout aussi important, doit conserver son esprit, son « âme », sa spécificité ; mais il peut fort bien être modernisé dans sa forme, en particulier par un recours accru au numérique. En premier lieu, il serait envisageable de créer, directement accessible par la page d’accueil de notre site, une rubrique « Ressources pédagogiques », où seraient regroupés (avec quelque délai) les articles classés « Dans nos classes » du Bulletin vert, certains articles de Plot, et d’autres contributions. Ceci n’augmentera pas le nombre d’adhérents (peut-être même au contraire) mais peut contribuer à la notoriété de l’APMEP. D’autre part, l’idée du « Manuel de l’APMEP » n’est pas neuve, mais pourrait effectivement être réactivée si suffisamment de bénévoles compétents s’y engagent.
Le nombre d’adhérents n’est pas le seul critère de vitalité d’une association ; par exemple, le nombre de participants aux Journées nationales ne diminue pas, donc leur proportion augmente : les adhérents s’impliquent de plus en plus.