Bulletin Vert n°497
janvier — février 2012
TOUT Les rêves mathématiques d’une théorie ultime
par Jean-Paul Delahaye
Hermann, 2011
280 pages en 15 × 21, prix : 23 €, ISBN : 978-2-7056-8190-6
Cet ouvrage, illustré en noir et blanc et en couleurs, comporte une introduction, sept chapitres (incluant des encadrés), une conclusion et une bibliographie. Chaque chapitre débute par un Résumé, suivi de citations, et se termine par un à sept Compléments.
Dans son Introduction, l’auteur précise son projet : rendre compte de quelques tentatives passées ou en cours de développement, pour « penser le TOUT », avec pour seule contrainte d’éviter la contradiction. Il évoque les liens entre le TOUT mathématique et le TOUT physique. Soucieux d’éviter les aspects trop techniques, il veut seulement « montrer l’entrée de quelques chemins empruntés par les chercheurs » ; néanmoins les Compléments présentent des énoncés précis et des démonstrations rigoureuses. Et les obstacles sur ces chemins sont aussi évoqués.
Le Chapitre 1 : le TOUT des très grands entiers présente la théorie de Ramsey : partant de l’hypothèse d’un univers fini, mais très grand, on a à manipuler des entiers « énormes », impossibles à écrire de façon classique, d’où les notations de Knuth et de Conway.
Le Chapitre 2 : Les nombres réunis dans un TOUT explique la théorie des nombres surréels de John Conway : ils forment un corps commutatif ordonné réel clos, qui contient les réels, mais aussi les ordinaux de Cantor, les infinitésimaux, et bien d’autres nombres, tous construits de façon récursive par un procédé très proche des coupures de Dedekind ; mais ils ne forment pas un ensemble au sens de l’axiomatique ZFC (Zermelo-Fraenkel avec axiome du Choix)…
Le Chapitre 3 : Le TOUT autoréférentiel est-il possible ? commence par des divertissements (phrases autoréférentielles, paradoxes amusants), évoque des oeuvres d’art (Magritte, Escher ; voir le site conseillé par Jean-Paul Delahaye : http://escherdroste. math.leidenuniv.nl/) avant d’évoquer les théorèmes d’incomplétude de Gödel (qui sont démontrés en Compléments), et leurs utilisations abusives en philosophie.
Dans le Chapitre 4 : Le TOUT ensembliste et ses extensions, on découvre qu’il existe des alternatives à l’axiomatique classique ZFC : par exemple la théorie des hyperensembles, dans laquelle un ensemble peut être élément de lui-même ; mais il n’y a pas d’ensemble de tous les ensembles ; ou encore la théorie NFU (New Foundation de quine, avec adjonction d’ur-éléments, c’està- dire atomes), qui, elle, accepte l’ ensemble de tous les ensembles, mais dans laquelle le théorème de Cantor : Card(P(E)) > Card(E) , n’est plus vrai.
Le Chapitre 5 : L’avenir du TOUT s’appuie sur les « jeux de chapeaux » (jeux de logique où on doit déduire la couleur de son propre chapeau de l’observation des autres, avec de multiples variantes) pour montrer que l’usage de l’axiome du choix aboutit, sinon à des contradictions logiques, du moins à des conclusions contraires au sens commun, comme la possibilité (sous réserve que les états possibles du monde forment un ensemble) de prédire l’avenir de façon presque sûre (ensemble des erreurs de mesure nulle).
Le Chapitre 6 : Le TOUT des mondes quantiques présente l’hypothèse de Hugh Everett, selon laquelle le paradoxe du Chat de Schrödinger est résolu par la création de deux univers, l’un dans lequel le chat est mort, l’autre où il est vivant ; poussant à bout la logique, et avec un humour très noir, les chercheurs envisagent le « suicide quantique » : je monte une expérience telle que je survis seulement dans l’univers où j’ai, par exemple, gagné au loto !
Enfin le Chapitre 7 : Et si TOUT était mathématique ? propose de répondre à l’interrogation de Wigner sur la « déraisonnable efficacité des mathématiques dans les sciences naturelles » par le fondamentalisme mathématique de Max Tegmark : a) Le monde physique est un objet mathématique, et b) L’univers est composé de la totalité des structures mathématiques possibles, chacune constituant un univers physique possible réel, parallèle au nôtre ; thèse qui bute sur la difficulté de définir généralement les structures.
La Conclusion prend acte de la non-convergence des diverses approches du TOUT, mais souhaite que la science poursuive cette recherche, « car ce que la science n’aborde pas, d’autres s’en chargent… pour le pire. »
Pour quiconque aime à se poser de « grandes questions », ce livre est absolument passionnant.
Avec rigueur et clarté, il met à notre disposition des résultats de logique et de mathématiques très récents (2008…). Bien sûr, l’auteur n’a pas pu tout dire ; mais nul doute que la riche bibliographie apporte la réponse aux questions de chaque lecteur (par exemple : comment la multiplication des surréels, qui est commutative, s’articule-t-elle avec celle des ordinaux, qui ne l’est pas ? et pourquoi avoir « évacué » la théorie des catégories ?), mais il reste qu’avec autant d’humour que de sérieux, de légèreté que de profondeur, Jean-Paul Delahaye nous convainc que les élucubrations apparemment les plus farfelues valent la peine d’être examinées ; il nous étonne, nous fait réfléchir et rêver…