JN 2022 — Jonzac

Discours d’ouverture
de la présidente de l’APMEP

 

 

le discours d’ouverture
de la présidente de l’APMEP

Où se cachent les mathématiques ?

 

Mesdames, Messieurs, Chers amis, chers collègues

 

C’est avec un véritable plaisir que je vous retrouve toutes et tous aujourd’hui à Jonzac pour ces journées nationales.

Même les problèmes de carburant — qui sont par surprise sortis de nos classes — n’ont pas réussi à nous décourager de venir découvrir à Jonzac où se cachent les mathématiques.

Ces journées revêtent un caractère particulier pour moi (et pas seulement car il faut quasiment passer au local de l’APMEP à Paris pour aller de Lyon à Jonzac).

Ces premières journées en tant que présidente de l’association me font l’effet de plonger dans le grand bain ! Les années passées dans le bureau au côté de Sébastien m’avaient permis petit à petit de me familiariser avec le fonctionnement de la présidence. Mais la tâche qui m’incombe, multiple et passionnante se découvre au jour le jour. Heureusement, Sébastien P. et Alice E. sont là, soutiens indéfectibles, toujours disponibles et je les en remercie chaleureusement.

De nombreuses personnes m’ont adressé leurs félicitations lors de mon élection ; un message m’a intrigué et fait sourire : Bravo… pour ton courage. Je ne sais pas s’il en faut mais je sais surtout pouvoir m’appuyer sur toutes les personnes engagées au jour le jour dans le fonctionnement de notre association, qui permettent à ces belles journées de se dérouler chaque année et qui sont l’âme vive de l’APMEP. Je ne chercherai donc pas seule où sont cachées les mathématiques et je remercie vivement toutes celles et ceux sur lesquels je sais pouvoir m’appuyer. Notre nouveau site qui vient d’être déployé montre bien le dynamisme et l’implication dont nos adhérents sont capables.

Nous avons besoin de toutes les forces vives et je vous encourage toutes et tous à participer à la vie de l’association, chacun à sa mesure en en parlant autour de vous, en soutenant votre régionale ou en présentant votre candidature au comité, car nous sommes riches de la pluralité des points de vue, des propositions, des engagements. Et justement, des propositions, de l’engagement, il en faut certainement quand le calendrier de notre ministère questionne si vivement la place des mathématiques et leur forme d’enseignement.

Ce discours serait trop long si je devais égrener tous les sujets d’inquiétudes tant ils demeurent prégnants. La conférence de presse de rentrée du ministre de l’éducation nationale révèle toutefois en filigrane un résumé de ces craintes que nous formulons depuis longtemps sans être entendus.

Son discours portait sur trois grands thèmes : l’excellence pour tous, l’égalité des chances et le bien être des élèves. On ne peut qu’être d’accord avec ces grands principes qui sont notre boussole quotidienne. Mais qu’en est-il des moyens proposés pour respecter ces valeurs fondamentales ?

De l’excellence pour tous, vraiment ? Si les plans maths et français continuent d’être une préoccupation du Ministère, Monsieur le ministre a insisté sur la culture de l’évaluation mais est-ce un remède à la baisse de niveau général ? Cette approche confond l’objectif recherché (le maintien des exigences quant au niveau de nos élèves) et l’un des outils disponibles pour nous assurer de progresser dans la bonne direction. Oui, l’école a besoin d’évaluations, notamment sur des cohortes, pour mieux penser notre système scolaire. Cependant, la culture de l’évaluation, celle qui conduit à créer des manuels de révision dès le CP, à vivre le lycée comme une course permanente à la note, qui est source de tension entre les familles et les enseignants et provoque anxiété chez les élèves, quand elle ne les démobilise pas largement, cette culture de l’évaluation est une errance. Les élèves ne s’y trompe pas qui comprennent vite que l’objectif n’est plus l’apprentissage mais le classement. En cédant ses faveurs à l’évaluationite, notre ministre entérine la perte de sens des apprentissages et du plaisir d’apprendre tout simplement.

Et qu’en est-il du bien-être des élèves du secondaire, en particulier au collège, sur lequel le ministre ne cesse d’insister ? Vivent-ils comme de la bienveillance les classes surchargées dont l’effectif rend justement difficile voire impossible d’adapter son enseignement aux élèves à besoins particuliers ?

Nous en doutons.

Pourtant, le discours du ministre est limpide. Questionner le fonctionnement général de notre système éducatif, notamment les moyens matériels, n’est pas à l’ordre du jour. Quant à la bienveillance, si elle est dans les mots, nous la cherchons encore dans ceux adressés aux enseignants. En nous reprochant de ne pas appliquer une pédagogie pertinente, il nous désigne comme unique responsables des difficultés, tout en nous refusant toute légitimité comme acteurs de solutions. Poursuivant ce raisonnement absurde, le glissement s’opère et de responsable nous devenons coupables des dysfonctionnements, et donc à placer sous la tutelle pédagogique des personnels de direction. Si nos directions sont les piliers du bon fonctionnement des établissements, quelles sont leurs compétences dans l’enseignement de notre discipline ? Sont-ils avec nous dans ces journées où nous sommes, là, sur notre temps personnel, pour nous former, innover, expérimenter ? Nous n’avons pas attendu pour modifier nos pratiques, nous adapter à tous les élèves pour les faire progresser et pallier les difficultés que l’hétérogénéité de nos gros effectifs de classe ne manquent pas de poser.

Alors peut-être l’égalité des chances ? Sur ce dernier principe inscrit à leur agenda, une nouvelle fois, nous les avons écoutés avec attention. Les solutions proposées au lycée général et technologique ou professionnel montrent bien aussi le manque d’écoute de leur part : l’APMEP avec la conférence des associations de professeurs spécialistes multiplie les démarches, communiqués, demande d’audience pour que les difficultés du terrain soient entendues. Sans succès. La réintroduction des mathématiques dans le tronc commun, décidée de manière précipitée, ne règle aucun problème que leur disparition avait soulevé : le contenu des programmes ne correspond pas à des mathématiques pour tous et il ne suffit pas non plus pour accéder au supérieur. Et ce, alors que le ministère semble le laisser entendre. On déplore (comme nous l’avions prévu) une baisse du nombre de filles et d’enfants issus de classes sociales défavorisées en spécialité math. Mais ces élèves ne risquent-ils de croire que le tronc commun va leur suffire et ne pas oser s’engager dans la voie de la spécialité ? Quant au lycée professionnel, comment penser qu’en réduisant le volume horaire de l’enseignement général au profit des stages, les élèves pourront avoir les compétences nécessaires pour être des citoyens éclairés et accéder et réussir dans le supérieur. La question du changement de statut des enseignants est aussi inquiétante : qui enseignera à l’avenir à nos élèves de voie professionnelle ?

À toutes ces questions, toutes ces inquiétudes, la seule réponse possible est l’action collective. C’est notre force. Notre slogan « de la maternelle à l’université » n’est pas un vain mot. Certes, l’enquête « enseigner les mathématiques au XXIe siècle » a montré la pluralité des points de vue au sein de l’APMEP. Mais tous les enseignants qui ont répondu ont le souci de se former, de faire progresser les élèves, d’améliorer leurs conditions d’accueil. Face à la complexité de l’exercice de notre métier, il n’y pas de solution simpliste. Des idées, des pistes de changement nous en cherchons tous les jours au sein de l’APMEP : en confrontant nos points de vue, en croisant nos regards, nous avançons ensemble vers des propositions élaborées entre pairs acteurs de terrain ou de la recherche. Nous ne demandons qu’à les partager avec le ministère !

Collectivement, nous œuvrons à défendre la place des mathématiques dans l’enseignement. Elles sont nécessaires pour accéder à des études scientifiques et les réussir mais elles sont aussi indispensables à la formation de tous les élèves, pour développer leur capacité de raisonnement, d’abstraction, pour renforcer leur esprit critique dans le monde actuel. On dit souvent que les métiers de demain n’existent pas encore. Pour s’adapter, pour réfléchir aux enjeux des années avenir, les élèves, qu’ils soient au lycée GT [1] ou au lycée Pro [2], ont besoin des mathématiques au côté des autres disciplines du tronc commun ou de l’enseignement général. Et tous sont capables si on leur offre un volume horaire suffisant et des conditions de travail en classe favorables. Et l’insistance du ministre à nier ces faits pour toujours renvoyer aux enseignants un problème de pédagogie a de quoi nous mettre en colère. La preuve de notre engagement — en faut-il vraiment une ? — est ici dans cette salle. Nous sommes là, nous réfléchissons collectivement, nous nous formons lors de ces journées.

Et avec la CFEM [3], le collectif s’élargit encore pour porter plus largement nos propositions et nos revendications. Au sein du Collectif Maths&Sciences qui réunit les acteurs de la communauté éducative, la recherche, l’enseignement supérieur scientifique dans sa diversité, nous œuvrons à attirer l’attention sur les problèmes majeurs que posent la réforme du lycée GT sur l’enseignement des sciences et cherchons des consensus sur une structure du lycée. Et si le ministère jusque là ne semble pas entendre nos propositions, il a déjà reconnu les difficultés que peut poser aux élèves l’absence de mathématiques au lycée. Il reste donc peut-être de l’espoir ! Et nous sommes prêts établir le dialogue avec notre institution pour travailler ensemble dans un espace où nos compétences de terrain, notre engagement seront reconnues à leur juste valeur.

Il reste toujours beaucoup à faire et nous avons souvent l’impression de courir après l’actualité. Mais les moments des journées nationales, des journées régionales, des réunions des commissions ou des groupes de travail nous permettent de réfléchir sur un temps long. Ce sont des temps d’échanges, de formation entre pair, de rencontre. Ces moments nous enrichissent, nous font réfléchir, cheminer. Des projets éclosent, s’épanouissent.

Des grands chantiers nous attendent et le temps politique semble parfois nous priver du temps de la réflexion, nous laissant comme asphyxiés. Alors Profitons de ces journées pour prendre une grande inspiration et repartir en ayant trouvé où se cachent les mathématiques, avec mille idées en tête, mille choses à partager.

Bonnes journées nationales !

 

Notes

[1Général et Technologique

[2Professionnel

[3Commission Française pour l’Enseignement des Mathématiques

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