Bulletin Vert n°471
bulletin spécial Journées Nationales
Clermont-Ferrand 2006
Calcul et jeux
Éric Trouillot
L’atelier s’est déroulé en deux temps. Tout d’abord un cadrage un peu théorique sur la notion de jeu et sur son association au calcul suivie d’une présentation de quelques jeux qui a permis un échange entre la vingtaine de participants à l’atelier autour de la question du comment pratiquer le jeu en classe.
Qu’est-ce qu’un jeu ?
La définition très générale, « Activité physique ou intellectuelle qui procure du plaisir à celui qui la pratique », montre bien la difficulté pour définir le jeu. En effet, la subjectivité de la notion de plaisir est évidente. Un certain nombre de conditions semble nécessaire pour attribuer le « label » jeu : plaisir, liberté, évasion, habillage, défi.
Cette liste non exhaustive met en avant des paramètres importants :
- Liberté car on ne peut pas jouer contraint ou forcé.
- Évasion par le changement de cadre que constitue les nouvelles règles du jeu.
- Habillage qui n’est pas forcément aspect extérieur mais qui peut être l’habillage que l’on retrouve dans toutes les énigmes de type rallye dans lesquelles le concept mathématique de base est enrobé d’une présentation ludique, étonnante ou intrigante.
- Enfin défi qui peut-être collectif, trouver le premier, mais qui parfois est un défi individuel, je veux me prouver. Cette double dimension du défi que l’on retrouve par exemple dans la pratique d’un sport, est un levier parmi d’autres que le jeu met à la disposition de l’enseignant.
Qu’est-ce qu’un jeu mathématique ?
Pour obtenir ce label, le jeu doit utiliser des objets mathématiques, des nombres, des formes géométriques…
Les situations initiales et finales doivent être clairement définies, ceci afin de distinguer le jeu qui doit être renouvelable dans les mêmes conditions d’une activité mathématique classique.
Enfin, les objets mathématiques manipulés doivent être utilisés ou transformés par des concepts mathématiques.
Par exemple, le principe du Sudoku utilisant une grille de nombres dans laquelle il faut compléter les cases vides en respectant la règle des carrés latins avec un zonage supplémentaire rempli bien ces trois conditions. Par contre, une grille de nombres qu’il faut gratter pour obtenir un alignement quelconque ne rentre pas dans cette catégorie, le grattage n’est pas un concept mathématique !
Pourquoi jouer en classe ?
Dans la période actuelle d’attaques médiatiques incessantes contre les mathématiques et leur enseignement, la mise en avant de pratiques pédagogiques associées au plaisir n’est pas du luxe.
J’ajoute que pratique ludique dans un cadre mathématique rigoureux ne pose aucun problème. Cette remarque est nécessaire car l’image du jeu est parfois brouillée et encore souvent associée à amusement et donc pas sérieux etc…
D’un point de vue pédagogique, la pratique du jeu permet de redonner le goût et l’envie à des élèves qui l’avaient perdu, donne du sens au concept par la simple implication de l’élève qui le rend plus acteur et don c plus concerné et plus impliqué.
Attention de ne pas tomber dans le piège du tout jeu en laissant croire que c’est le remède miracle qui va tout régler. Le jeu est un levier qui peut être un déclencheur, un accompagnateur mais qui ne se substituera jamais aux apprentissages traditionnels.
Calcul et jeu
Le jeu numérique permet la mise en place d’une gymnastique des nombres. Il donne de la consistance et du sens à ce concept. La fréquentation régulière des nombres par le jeu améliore la perception de ces derniers.
Le caractère gratuit, pour le plaisir permet à l’élève de s’impliquer fortement et de prendre un peu de distance par rapport aux apprentissages classiques avec l’évaluation en ligne d’horizon.
Ces moments de calcul par le jeu sont très complémentaires des apprentissages traditionnels et donnent l’occasion de travailler le sens des opérations ainsi que les ordres de grandeur, deux piliers fondamentaux dans la construction des savoirs numériques.
Une expérience intéressante à tenter avec les élèves en situation de jeu de calcul : permettre l’usage des calculatrices et se rendre compte que ceux qui trouvent, ne sont pas toujours ceux qui utilisent la machine. Ce constat réalisé par l’élève lui-même remplace tous les discours du professeur pour relativiser ou minimiser l’impact de la calculatrice.
Retour sur le calcul mental
Certains jeux sont proches du calcul mental automatisé, d’autres du calcul mental réfléchi.
Les deux forment pour chaque individu une sorte de partition modulable et évolutive. Comme son nom l’indique, la partie automatisée est en mémoire, elle ne nécessite pas de recherche et semble stable dans le temps.
Les tables de multiplication en sont le meilleur exemple. Il s’agit des bases calculatoires de tout individu. La partie réfléchie est proche d’une résolution de problème. Elle nécessite réflexion par le choix de la procédure. Elle utilise la partie automatisée et la prolonge.
Lors de l’atelier, j’ai proposé à chacun d’effectuer mentalement 25x25.
Voici les six procédures rencontrées pour trouver 600 : 10×24+10×24+5×24 , 100×24:4 , 10×25+10×25+4×25 , 25×25–25 , 24×24+24 , 25×4×6.
Cet exemple illustre bien la diversité des procédures utilisées et les raisonnements sous-jacents.
Présentation et analyse de quelques jeux
Magix 34
Les deux joueurs ont chacun quatre anneaux (bleus ou jaunes). A tour de rôle, chacun place ses quatre anneaux sur l’une des seize cases du plateau. Chacune des cases contient un des seize premiers nombres entiers. Pour gagner, il faut réaliser une somme totale de 34 avec ses quatre anneaux. Lorsque les huit anneaux sont déposés sur le plateau et si aucun des deux joueurs n’a atteint la somme de 34, la partie continue. Les joueurs déplacent, à tour de rôle, un de leurs quatre anneaux sur une case voisine libre. Le premier qui atteint la somme de 34 avec ses quatre anneaux, a gagné.
Au menu, décompositions additives de 34. Par les multiples ajustements en additions ou soustractions, les joueurs réalisent une très bonne séance de gymnastique mentale.
Multiplay
Les deux joueurs ont chacun trois anneaux (bleus ou jaunes). A tour de rôle, chacun place ses trois anneaux sur l’une des quarante cases du plateau. Les cases rouges contiennent des entiers de 2 à 9 et les cases jaunes ou vertes tous les produits possibles de deux entiers entre 12 et 81. Pour gagner, il faut avoir deux de ses anneaux sur deux cases rouges et le troisième anneau sur une case jaune ou verte qui corresponde au produit des deux nombres. Lorsque les six anneaux sont déposés sur le plateau et si aucun des deux joueurs n’a atteint l’objectif, la partie continue. Les joueurs déplacent, à tour de rôle, un de leurs trois anneaux sur une case voisine libre. Le premier qui atteint l’objectif avec ses trois anneaux, a gagné.
Au menu, décompositions en produits et quotients. C’est excellent pour la mémorisation des tables qui deviennent alors un outil plus qu’un exercice pur de mémorisation. On retrouve le principe du cacul à l’envers du « Compte est bon ». Les multiples allers-retours entre calcul direct et calcul à l’envers sont très importants pour une réelle mise en place du sens des opérations.
L’originalité de ces deux jeux réside dans le rapprochement entre calcul mental et stratégie ce qui est rare dans les jeux numériques. En effet, pour gagner, il faut aussi s’occuper des positions des anneaux de son adversaire pour essayer de le contrer. Je trouve le mariage réussi. Appréciation très personnelle bien évidemment que chacun pourra moduler après avoir testé ! Le jeu peut aussi se pratiquer en équipe, la discussion sur les différentes stratégies est riche. Dans le coffret Calcul Mental édité par le CRDP de Franche-Comté, il y a aussi un troisième jeu Décadex. Ce dernier, proche de Magix34 par son fonctionnement additif, est plus abordable pour des plus jeunes car la somme totale à atteindre avec ses quatre anneaux est 10.
Mathador
Jeu de parcours. En se déplaçant sur le parcours, on peut rencontrer deux types de case : une énigme à résoudre ou un calcul de type « Le compte est bon » à effectuer. Le nombre à fabriquer entre 0 et 99 est déterminé par deux dés à dix faces et les nombres avec lesquels on calcule sont donnés par cinq dés à quatre, six, huit, douze et vingt faces (les cinq solides de Platon).
Un consensus s’est rapidement dégagé lors de la discussion entre les participants sur l’utilisation des sept dés comme un très bon support pour pratiquer le calcul mental en classe (sans utiliser le plateau de jeu). Les dés ont le pouvoir de décupler l’intérêt, de dédramatiser et d’humaniser les nombres. C’est d’ailleurs très étonnant à observer, c’est un peu comme si le dé par sa forme dans l’espace donnait corps au nombre et lui permettait de rentrer dans notre monde en trois dimensions. Le contact physique tactile que permet le dé semble être un paramètre important pour certains élèves, surtout ceux qui sont en délicatesse avec l’abstraction. Un participant à l’atelier a expliqué comment il avait mise en place un défi calcul mental hebdomadaire dans le cadre d’une liaison CM2-6ème. Pour plus de détails, se reporter à l’article Opération Mathador dans PLOT numéro 12.
On retrouve la pratique du calcul à l’envers qui consolide la construction du sens des opérations. Les multiples décompositions de nombres en sommes, différences, produits et quotients permettent aussi un travail sur la notion d’ordre de grandeur. On est clairement dans une situation de calcul réfléchi même si par l’aléatoire du lancer des dés, on peut se retrouver parfois dans des situations simples de calcul automatisé.
Trio
Il faut disposer en un carré de sept lignes et sept colonnes les quarante-neuf jetons de forme carrée sur lesquels on trouve des chiffres de 1 à 9. En utilisant trois nombres alignés horizontalement, verticalement ou diagonalement parmi les quarante-neuf, il faut essayer de fabriquer à l’aide des quatre opérations, un nombre entre 1 et 50. Le plus simple est de se procurer Jeux 5 ou Jeux 6 de l’APMEP dans lesquels on trouve des grilles prête à utiliser en classe. Une utilisation pratique est de les photocopier sur transparent et de jouer avec toute la classe en utilisant un rétro-projecteur.
C’est également un jeu de type « Compte est bon » où l’on pratique le calcul à l’envers. Le sens des opérations et les ordres de grandeur sont au cœur du fonctionnement de Trio. Son fonctionnement avec trois nombres uniquement le rapproche plus du calcul mental automatisé mais c’est encore du calcul réfléchi.
Dans les échanges lors de cet atelier, l’unanimité entre les participants s’est faite autour de la notion de plaisir qui doit se dégager, il ne faut pas forcer les choses lorsqu’on introduit le jeu dans la classe. Un accord s’est aussi dégagé sur l’idée d’une pratique régulière. Cette dernière est importante pour la solidité des savoirs transmis par le jeu. Pour conclure, je tiens à préciser que les jeux présentés sont des jeux que je pratique et que j’apprécie mais qu’il y en a évidemment beaucoup d’autres très bien ! C’est à chacun de se construire sa mini-ludothèque pédagogique en fonction de ses goûts, des niveaux enseignés et du public concerné. Une chose est sûre, l’introduction d’une dimension jeu dans l’enseignement des mathématiques en primaire et au collège ne peut que favoriser les apprentissages futurs et améliorer l’image actuelle des mathématiques quelque peu détériorée. Ne pas jouer en mathématiques, est-ce bien raisonnable ?
NDLR : Les jeux mentionnés ci-dessus sont en vente à l’APMEP (voir rubrique Brochures du site]