Des repères en contradiction avec les programmes communiqué du lundi 22 octobre 2018
L’Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public (association qui regroupe des enseignants de la maternelle à l’université, des chercheurs et des formateurs), réunie en congrès à Bordeaux du 19 au 23 octobre, tient à faire part de sa profonde inquiétude quant à l’avenir de l’enseignement des mathématiques en France.
Le contexte semblerait de prime abord plutôt positif : l’actuel gouvernement a pointé la nécessité d’une formation spécifique et approfondie des professeurs des écoles, suivant en cela les préconisations du rapport Villani-Torossian [1]. Il a conservé, en mathématiques, les excellents programmes de 2015 en n’y apportant que quelques ajustements dans le BO du 26 juillet 2018 ; les rectifications et clarifications consolident la définition de l’activité mathématique par les six compétences majeures qui la gouvernent (chercher, modéliser, représenter, raisonner, calculer, communiquer).
Cependant, en totale contradiction avec ces préconisations et ces programmes, le ministère vient de publier des « repères annuels de progression [2] » qui auront des incidences négatives et graves sur l’enseignement et sur les apprentissages, tout d’abord à l’école élémentaire, puis progressivement au collège et au lycée.
Nous dénonçons très fermement d’une part l’image du métier d’enseignant que donne la démarche ministérielle : celle d’un métier simple dans lequel il suffit de suivre étape par étape un protocole établi. Dans une telle conception, l’apport de la pédagogie et du professionnalisme des enseignants est nié : le métier d’enseignant se réduit au rôle de répétiteur. Or, à l’instar d’un ingénieur (également formé à Bac+5), les enseignants doivent concevoir, tester et réguler des dispositifs didactiques adaptés aux élèves dont ils ont la charge, dans le strict respect des programmes avec, en ligne de mire l’atteinte des objectifs de fin de cycle (seuls objectifs inscrits dans la loi). Leur action est donc inscrite dans la durée, conformément aux programmes rectifiés et ajustés publiés dans le BO du 26 juillet dernier.
D’autre part, en éditant des repères annuels de progression prescriptifs et extrêmement précis en cycles 2 et 3, le ministère agit à l’encontre de la liberté pédagogique des enseignants, liberté pédagogique inscrite dans la loi, comme si le professeur des écoles ne pouvait opérer de choix, et comme si l’hétérogénéité des élèves dont il a la charge ne gouvernait ses choix. Les propositions de progression ne tiennent absolument aucun compte des réels besoins des élèves, voulant, sur ordre, les faire marcher tous au même pas, période par période, dans le plus profond déni des recherches pédagogiques et didactiques françaises et internationales très riches, dans le plus profond déni de toute progression efficiente à terme.
Or, les mathématiques, pour être comprises, vécues, appréciées des élèves — et pour abonder le socle commun de connaissances et de compétences — doivent, conformément aux programmes, trouver leurs sources dans la résolution de problèmes et ne peuvent se réduire à une accumulation de sous-savoirs élémentaires, qui ne construisent pas un savoir.
Les progressions imposées sont en réalité bien loin de garantir que les élèves soient confrontés à une recherche personnelle, source de questionnement mathématique. Elles prennent comme hypothèse qu’il suffit d’avoir côtoyé certains savoirs, quelle que soit la façon dont ils sont mis en place, pour les maîtriser.
Nous nous interrogeons sur la stratégie ministérielle. L’école élémentaire ne peut, du fait de la complexité de l’acte d’enseigner, être soumise à des diktats idéologiques et démagogiques.
En effet, premièrement, la « consultation nationale » à laquelle ces repères de progressivité sont « soumis » a lieu du 18 octobre au 4 novembre ce qui correspond globalement à la période de vacances de Toussaint. Ce choix de dates ne semble pas neutre car il ne permet pas aux enseignants de se concerter en équipes de cycles et de prendre des positions mûries et réfléchies.
Deuxièmement, l’objet de la consultation ne porte pas sur l’essentiel, à savoir la pertinence didactique et pédagogique des repères proposés. Le ministère, protégé par le bouclier « aide aux enseignants et clarification » se trompe de cible et de méthode puisqu’il refuse toute concertation sur le fond avec les acteurs du système éducatif. Son seul objectif est d’imposer, sous le voile de la « confiance », des conclusions tirées par avance. La confiance exigerait pourtant une véritable concertation large, inscrite dans la durée, dont les conclusions ne seraient pas connues a priori [3].
Ces injonctions des textes portant sur les progressions conduiront inéluctablement un grand nombre d’élèves à l’échec, donc à une image de soi négative et, assez rapidement, à un décrochage scolaire relativement aux mathématiques. Elles sont donc contraires aux pratiques enseignantes efficientes et constituent une violence institutionnelle à l’encontre des élèves, des familles et des professeurs.
En conséquence, l’APMEP demande au ministre de l’Éducation nationale de retirer immédiatement, purement et simplement ces repères de progressions du cycle 2 à la fin du cycle 3 et de faire enfin confiance aux enseignants afin de leur permettre, en équipes de cycles, de définir les progressions et programmations des enseignements adaptés aux élèves dont ils ont, et eux seuls, la charge.
En ce qui concerne les repères de progression au cycle 4 qui, fort heureusement, ne sont pas rédigés par période, nous demandons qu’ils ne soient pas prescriptifs mais indicatifs. Ceci permettrait de respecter le principe de cycle défini par le programme.
Ce faisant, le Ministère de l’éducation nationale contribuerait enfin à l’instauration d’un climat de confiance entre les enseignants et leur ministère de tutelle, entre l’Éducation nationale et les familles, pour le bien être des élèves et pour un enseignement bien plus efficient.