Bulletin Vert n°483
bulletin spécial Journées Nationales
La Rochelle 2008
Présentation des conférences
Les mathématiques :
toujours en chantier dans une unité dynamique
Jean Pierre Bourguignon
Pour beaucoup les mathématiques sont une science dont tous les résultats sont connus depuis bien longtemps. Il n’en est évidemment rien et le dernier siècle a connu une explosion de la discipline, tant dans son extension avec l’apparition de nouvelles branches que dans l’approfondissement de branches bien établies.
Ce phénomène s’est produit tout en gardant toute sa validité à une revendication souvent assumée par les mathématiciens de l’unité de leur domaine. Cette affirmation peut cependant apparaître comme une position très conservatrice si on ne comprend pas que cette unité est en fait un processus très dynamique qui s’accompagne d’une réorganisation interne permanente, des sous-disciplines qui se développent pendant un temps de façon indépendante se retrouvant à collaborer étroitement dans un autre moment. Cette modification de l’architecture interne des mathématiques est une des façons dont la discipline manifeste sa vitalité.
Au travers de quelques exemples ayant maintenant leur place dans l’histoire de la discipline ou au contraire d’une grande actualité, je voudrais illustrer la façon dont cette unité dynamique est à l’œuvre.
Mathématiques constructives
Henri Lombardi
Au tournant du 20e siècle, les mathématiques sont devenues "ensemblistes" (à la Cantor) et non constructives, notamment sous l’impulsion de Hilbert.
Elles ont connu un développement extraordinaire dans ce cadre, au prix de perdre une partie de leur substance. Le programme de Hilbert et celui de Poincaré pour remédier à cette perte de sens sont un peu tombés dans l’oubli. On a même pensé un moment que le théorème d’incomplétude de Gödel vidait le programme de Hilbert de sa pertinence, alors qu’il en déplaçait seulement la perspective. La critique du Principe du Tiers Exclu par Brouwer n’a été pleinement appréciée à sa juste valeur que récemment. Le livre d’Erret Bishop "Foundations of constructive analysis" paru en 1967, a montré quelles merveilles on pouvait obtenir par la prise en compte systématique de la critique de Brouwer.
Aujourd’hui, mathématiques classiques et constructives sont presque réconciliées, comme le montre le livre de Gilles Dowek, "Les métamorphoses du calcul", paru en 2007.
Le but de la conférence est de développer ce survol historique et d’expliquer le renouveau actuel du point de vue constructif.
La géométrie des pixels
Éric Andrès
Nous sommes aujourd’hui entourés d’images numériques : télévision, photographie, scanner... mais peu de gens sont conscients du fait que la géométrie du monde des pixels est une géométrie bien étrange.
Prenons, par exemple, les deux diagonales principales d’un échiquier qui forment des droites dans l’espace des pixels. Ces deux droites en dimension deux sont orthogonales et pourtant elles n’ont pas d’intersection. Aucun pixel n’est à la fois blanc et noir et deux fous qui se promènent sur ces diagonales ne font que se croiser sans jamais partager une case commune. Avec cet exemple et d’autres, nous allons, durant cette conférence, illustrer le caractère étrange de la géométrie des pixels.
Nous montrerons comment on peut faire des fractals avec de simples divisions entières et les conséquences que cela a sur le calcul dans les ordinateurs. Evidemment il est, malgré tout, possible de travailler avec les images. Nous montrerons comment construire des objets dans l’espace des pixels et comment le lien avec la géométrie classique peut se faire.
La place des grandeurs dans la construction des mathématiques
André Pressiat
Les grandeurs tiennent une place importante dans l’histoire des mathématiques, depuis l’époque grecque jusqu’à nos jours. La première partie de la conférence aura pour but de retracer les principales étapes de cette histoire, en soulignant pour chacune d’elles la place et le rôle respectifs des grandeurs et des nombres.
S’intéressant à l’enseignement des mathématiques à l’école et au collège, la deuxième partie s’attachera à mettre en valeur la nécessité de connaissances sur les grandeurs qui sont souvent peu explicitées.
Ces connaissances sont indispensables pour l’étude de la mesure des grandeurs, mais également pour articuler le calcul numérique ou algébrique avec l’étude des relations entre les grandeurs, comme l’illustreront des exemples pris dans divers domaines des mathématiques.
Vauban et ses maîtres : la construction géométrique de la sécurité
Frédéric Métin
L’année Vauban aura contribué à valoriser le patrimoine souvent négligé (car peu prisé du public) des citadelles et ouvrages fortifiés, dont la région de La Rochelle présente de nombreux exemples intéressants.
Mais le grand public ne voit pas en général que ces ouvrages reposent sur des fondations mathématiques ! Une façon de s’en convaincre est de consulter les plans de ces imposants bâtiments, disons plutôt : de les regarder depuis le ciel ; une autre possibilité est la lecture des ouvrages des fortificateurs, dont les cahiers des charges contiennent toutes sortes de maximes familières aux professeurs de mathématiques, voire certaines démonstrations qui pourraient les occuper un moment…
L’objet de la conférence est de permettre aux participants de saisir le rôle des mathématiques dans la sécurisation des places, mais comme Vauban a été très discret sur ses propres méthodes, il sera nécessaire de se pencher sur les traités de ses prédécesseurs. En outre, pour tous les visuels de l’assemblée, une visite aérienne (virtuelle, bien sûr) de quelques sites de la Généralité de La Rochelle (et au-delà) illustrera le propos.
La construction des objets mathématiques
Guy Wallet
L’objet de cette conférence sera de proposer quelques éléments de réflexion sur la nature des objets mathématiques, sur leur spécificité et leur construction. Après avoir évoqué quelques réponses traditionnelles à ces questions, on mettra en évidence la forte particularité de ces entités. On replacera ensuite cette problématique dans celle plus générale portant sur l’ensemble des objets de la connaissance scientifique. On montrera en quoi cette approche globale permet d’apporter une réponse éclairante et apaisée au questionnement sans fin sur l’existence des objets mathématiques et sur le prétendu miracle de leurs applications. Chemin faisant, on exposera le point de vue de Quine et celui des mathématiques constructives.
2 500 ans d’énigmes mathématiques
Marie José PESTEL et Michel CRITON
Depuis plus de 2 500 ans, les mathématiques se sont construites en traversant les civilisations. Cette construction a été jalonnée d’énigmes mathématiques lancées à l’humanité comme des défis.
Ces énigmes, le plus souvent présentées de façon ludique, ont généralement été prétexte à des avancées de la science mathématique. D’Archimède à Conway, on peut citer Fibonacci, les mathématiciens arabes, Pierre de Fermat, Leonhard Euler et Edouard Lucas.
TICE et activité mathématique des élèves
Fabrice Vandebrouck
Entre l’enseignement d’un contenu mathématique donné et les apprentissages correspondants, nous retenons comme objet d’analyse l’activité mathématique des élèves. En fonction des scénarios d’enseignement, c’est-à-dire des tâches proposées aux élèves, de leur organisation et des formes de travail mises en place par les enseignants, cette activité mathématique peut être très variable, d’un élève à l’autre, générant par là même des apprentissages ou des non apprentissages très divers.
L’intégration des TICE dans l’enseignement nous semble être une occasion d’enrichir la palette d’activités possibles pour les élèves, en complément des enseignements traditionnels et des exercices en papier-crayon. Nous essaierons donc de montrer en quoi et comment les technologies usuelles (calculatrices, tableurs, logiciels de géométrie dynamique ou exerciseurs) peuvent enrichir, complexifier ou même appauvrir cette activité sur certains contenus mathématiques. Ces exemples seront appuyés non seulement sur des travaux théoriques mais aussi sur des expérimentations et des observations dans des classes ordinaires.
La question de la préparation des élèves à la nouvelle épreuve pratique en terminale S sera en particulier soulevée, entre le didactiquement idéal en terme d’activité des élèves et le pédagogiquement possible dans les classes.
Structure et genèse des Éléments d’Euclide
Bernard Vitrac
Les Éléments constituent probablement le plus ancien texte mathématique (géométrie, arithmétique) grec complet qui nous soit parvenu. Le témoignage du commentateur du Ve siècle de notre ère, Proclus de Lycie, atteste pourtant que l’ouvrage d’Euclide appartenait à une tradition intellectuelle et relevait d’un genre littéraire plus ancien. Les historiens articulent généralement ces deux données en affirmant que le succès d’Euclide a été tel qu’il a entraîné la disparition des écrits de ses prédécesseurs.
On aimerait cependant en savoir davantage sur les modalités de composition de l’ouvrage, sur le contexte intellectuel qui l’a vu produire, sur la vie et la formation de son auteur, sur les sources qu’il a utilisées et sur les intentions qui étaient les siennes. On voudrait connaître les conditions de sa diffusion et la façon dont il acquit le statut d’ouvrage de référence, ce qui ne fait guère de doutes au début de l’époque romaine. Mais les trois premiers siècles de sa destinée restent mal connus. Les limites de notre information sont telles que les historiens préfèrent s’appuyer sur le contenu et la structure de l’ouvrage dont ils proposent une interprétation généalogique. L’un des premiers « reconstructeurs » fut l’historien français Paul Tannery (1843-1904). Les émules n’ont pas manqué depuis.
Je propose de reprendre ce dossier, autrement dit (i) de rappeler ce que nous savons sur le contexte dans lequel ont été élaborés les Éléments ; (ii) de discuter, en particulier du point de vue méthodologique, les présupposés et les résultats de l’approche « reconstructive ».
Mathématicien puis Ingénieur Naval :
pratiques comparées et apport des Mathématiques
Philippe Pallu De La Barrière
Mathématicien pur puis Ingénieur naval, l’auteur évoquera les continuités et les ruptures existant entre les deux pratiques. Il tentera d’illustrer ces aspects à l’aide d’exemples de transferts de méthodes mathématiques vers des outils de l’ingénierie navale : géodésiques et calcul de la découpe des voiles, calcul de variation et routage océanique, fonctions harmoniques et écoulement autour des carènes…