Bulletin Vert n°481
mars — avril 2009
Le recrutement des professeurs de mathématiques de l’agrégation aux certificats d’aptitude
Si peu exigeant que l’on soit sur la préparation pédagogique des professeurs des hautes classes, on l’est encore moins sur celle des autres puisqu’un professeur licencié de collège n’en a eu normalement aucune.
Bulletin n° 99, 1937
Entre 1900 et 1950, année de création du CAPES, le recrutement des professeurs de mathématiques revêt des aspects très disparates : différences de niveau, différences sexuées, différences de statut et donc de traitement sont les principales caractéristiques de la formation des professeurs du premier vingtième siècle.
Après un état des lieux, il s’agit ici de présenter la position de l’ A.P.M.E.S.P. tout au long de cette évolution des concours de recrutement masculins et féminins. Une première partie sera consacrée aux concours masculins ; la seconde partie sera réservée aux concours féminins.
Des différences statutaires notoires
Les professeurs des collèges et des lycées de garçons en poste en 1910, année de création de l’APMESP, ne sont pas tous, loin s’en faut, logés à la même enseigne.
Les 19e et début du 20e siècle sont marqués par un malthusianisme qui entretient la position de l’élite agrégée majoritaire dans le personnel des lycées [1]. Rappelons que les lycées sont les établissements de l’ordre secondaire payant, réservés à la bourgeoisie [2] et qui scolarisent depuis les classes primaires jusqu’au baccalauréat [3]. Le renouvellement des professeurs s’opère donc lentement alors qu’il est composé essentiellement des catégories suivantes [4] :
- les professeurs titulaires agrégés
c’est-à-dire ceux qui ont subi deux catégories d’épreuves, d’une part scientifiques devant les Facultés et sanctionnées par le certificat d’études supérieures et d’autre part des épreuves professionnelles (dissertations, leçons, explications de textes) devant des jurys d’agrégation nommés par le ministre ,- les professeurs titulaires non agrégés
choisis parmi les chargés de cours réunissant certaines conditions de mérite et d’ancienneté,- les professeurs chargés de cours pourvus du titre de licencié
recrutés parmi les meilleurs professeurs des collèges,- les anciens répétiteurs
que la réforme de 1902 a promu aux fonctions et au titre de professeurs adjoints.
Mais il est de plus en plus difficile d’obtenir un poste dans l’enseignement secondaire à cette époque. L’agrégation et les certificats d’études supérieures obligatoires pour se présenter à l’agrégation fournissent l’essentiel des enseignants.
Pour un simple licencié, il est donc très difficile d’accéder au professorat des lycées [5]. Les répétiteurs, souvent mal considérés, peuvent quant à eux accéder à la fonction de « professeur-adjoint » à partir de 1909.
En ce qui concerne les professeurs de l’enseignement féminin, elles sont recrutées selon deux modes : le certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire créé en 1882 et l’agrégation [6] créée en 1883 [7]. La question de la formation des jeunes filles candidates à un poste d’enseignement est étroitement liée d’une part à l’évolution des programmes d’enseignement dispensés dans les collèges et lycées, de la fusion des enseignements masculins et féminins dans les établissements secondaires en 1925 [8] et d’autre part au rapport entre les agrégations masculine et féminine [9] et l’assimilation des deux concours.
L’association des professeurs de mathématiques se préoccupe depuis sa création de la question de la formation des futurs professeurs de l’enseignement secondaire. Listes des reçus aux différents concours, rapports de jurys d’agrégation complets sont publiés régulièrement. L’association étant majoritairement constituée d’agrégés, c’est l’agrégation qui est naturellement le plus souvent en débat. Outre les contenus scientifiques et statistiques, une chose est remarquable dans tous les rapports consacrés à l’agrégation par la régularité de sa présence et quel que soit le rapporteur : l’encouragement prodigué aux candidats à travers la comptabilité du nombre de ceux qui abandonnent en cours d’épreuve. Émile Blutel est à l’initiative de cette caractéristique dès 1923 qui se retrouve encore après la seconde guerre mondiale dans le rapport de Th. Leconte. Il s’agit donc d’indiquer aux futurs candidats et à ceux qui échouent que « la persévérance dans l’effort a eu pour quelques uns sa récompense » [10], dans un contexte où les réductions d’horaires qui résultent des réformes successives des années 1920 contribuent à faire diminuer le nombre des postes distribués au concours [11].
Durant les années 1920, il est question de créer un certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire. L’idée de ce certificat suffisant pour les candidats professeurs hommes à un poste d’enseignement est étroitement encadrée par l’association qui y voit un risque de recrutement par une sous agrégation dans un moment de pénurie. Mais ce n’est toutefois pas un refus catégorique à la condition que le certificat soit un outil de formation non seulement scientifique mais également pédagogique.
Du CAES [12] au CAPES [13] en passant par le CAEC [14]
C’est dès 1913 qu’apparaît pour la première fois dans les bulletins de l’association, le projet de création d’un certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire. M. Huard, représentant des agrégés au Conseil supérieur de l’Instruction publique dépose une proposition devant le Conseil concernant une modification du diplôme d’études supérieures exigé jusque là des candidats à l’agrégation et qui se verrait substitué par un certificat d’études supérieures. En 1913, le diplôme d’études supérieures ne paraît pas remplir toutes les fonctions qui lui sont assignées, notamment celles qui concernent l’éducation mathématique nécessaire au métier d’enseignant du secondaire [15] :
Le soussigné, membre du Conseil supérieur de l’Instruction publique,
Considérant :
- Que le diplôme d’études supérieures actuellement exigé des candidats à l’agrégation des sciences mathématiques, ne présente pas le même caractère que celui qu’on exige des candidats aux autres agrégations scientifiques, et qu’on a admis la possibilité d’y substituer un certificat d’études supérieures supplémentaires ;
- Que si par l’obtention de ce certificat, les candidats font preuve d’un développement scientifique plus complet que ne l’indiquerait la simple licence, il est moins évident que ce développement soit celui qui s’impose pour de futurs professeurs de lycée ;
- Qu’au point de vue professionnel, l’éducation mathématique de ces futurs professeurs présente des lacunes vraiment regrettables ; […]
Si la qualité scientifique des candidats à l’agrégation qui possèdent le certificat ne semble pas remise en cause, c’est davantage le décalage entre les études universitaires et la réalité de l’enseignement qui pose problème. Les titulaires du certificat sont pour certains les futurs agrégés. Certaines questions mathématiques semblent échapper complètement aux futurs professeurs comme le montrent les exemples de M. Huard :
Que, pour prendre un exemple dans la tâche du professeur d’Élémentaires, il est difficile d’admettre qu’on enseigne le chapitre « symétrie du cube et de l’octaèdre », ou encore « déplacement, similitude, inversion », sans avoir la moindre notion de ce qu’est un groupe ;
Que, par exemple, le professeur de mathématiques spéciales auquel ses élèves parlent de l’impossibilité de résoudre des équations générales dont le degré est supérieur au quatrième, peut être incapable, non seulement de faire concevoir la voie suivie pour démontrer ce théorème, mais même d’en préciser l’énoncé et de dire si cet énoncé a été bien ou mal compris ;
Depuis la réforme de 1902, le métier de professeur de mathématiques s’est particulièrement transformé dans les classes antérieures au baccalauréat. Depuis le programme d’Erlangen de Félix Klein en 1872, la géométrie n’occupe plus la place qu’elle possédait dans l’échafaudage de la logique mathématique. La notion de groupe devient primordiale dans l’étude des différentes géométries. Pour M. Huard, ne pas connaître l’importance des « nouvelles solutions qu’apporte la science moderne » constitue un handicap pour les futurs professeurs jusque dans l’enseignement élémentaire qu’ils vont prodiguer. D’après le représentant des agrégés, le diplôme d’études supérieures est le seul moment où ces études peuvent être entreprises car on constate qu’elles ne sont pas organisées aux différents niveaux d’apprentissage.
Ainsi, l’association des professeurs de mathématiques qui s’adresse durant les premières années en majorité aux agrégés publie le vœu présenté au Conseil supérieur :
Que le diplôme d’études supérieures devienne un examen spécial, dont le programme se composera de deux parties : l’une obligatoire, fixée par décret ; l’autre variable, que les Facultés restent maîtresses d’établir chaque année ; cette dernière partie pouvant être remplacée par un des certificats d’études supérieures, admis jusqu’ici à représenter le diplôme.
Un programme est proposé conjointement au certificat. Il contient les notions de corps algébrique, de groupe, de groupe d’une équation algébrique et l’étude générale d’une courbe algébrique, toutes notions qui n’apparaissent pas dans les programmes de l’agrégation.
La question de la création du certificat et de son rapport à l’agrégation traverse l’entre deux guerres. En 1933, un long rapport est présenté lors de l’assemblée générale du 10 avril [16]. Le recrutement des professeurs et leur formation devient un problème crucial en raison du nombre des candidats aux chaires de mathématiques « considérablement plus élevé que celui des postes disponibles ».
De plus, la formation des licenciés apparaît de niveau différent dans chaque Faculté et la comparaison entre ces formations n’est guère possible. L’idée d’une licence unique est envisagée mais celle-ci ne doit pas être assortie d’un concours de classement qui risquerait de « devenir une agrégation inférieure ».
Les avis sont très divergents sur ce qu’il est opportun de proposer. Plusieurs propositions se font jour : publier comme le demande le syndicat national des professeurs de lycée (S3) la liste complète de classement des admissibles après les épreuves orales et après celle des agrégés et nommer les candidats licenciés dans l’ordre de cette liste. Une autre proposition veut réaliser cette liste supplémentaire non après l’oral, mais après l’admissibilité. Une autre encore propose de limiter le nombre des licenciés. Finalement, l’assemblée générale de 1933 s’oppose à l’instauration d’un nouvel examen qui entrerait en concurrence avec l’agrégation et propose le vœu suivant :
S’il est besoin d’une liste de classement des licenciés candidats à un poste d’enseignement, les inviter à concourir pour l’agrégation, augmenter le nombre des candidats déclarés admissibles suivant le nombre d’agrégés et de non agrégés à pourvoir et adopter la liste de classement des admissibles n’ayant pas été reçus agrégés.
On le voit, pour l’association des professeurs de mathématiques, l’agrégation masculine doit rester le premier moyen de recrutement des professeurs de l’enseignement secondaire de garçons. L’association souhaite en augmenter le nombre et recruter les professeurs non agrégés au maximum parmi les rangs des candidats à l’agrégation, gage d’une qualité scientifique des futurs professeurs.
La création du Certificat d’aptitude à l’enseignement dans les collèges (C.A.E.C.) ouvert aux licenciés est cependant réalisée pendant la seconde guerre mondiale par le décret du 28 décembre 1941. Ce certificat devient le CAPES par le décret du 1er avril 1950.
À suivre