Editorial du BGV n° 178 « Dire et savoir, quelle différence ! »
« Dire et savoir, quelle différence ! » [1]
C’est une discussion gentiment arrosée, lors d’un joyeux pot d’accueil —ou de départ — des nouveaux —ou des anciens— membres du comité qui me vaut aujourd’hui l’honneur de rédiger cet édito. Bien que j’aie de ce fait acquis l’expérience qu’il y a des soirs où on ferait mieux de tourner sept fois la cacahuète dans sa bouche avant de se lancer dans des débats, je réponds volontiers à la demande de Bernard Egger de vous exposer éditorialement la discussion qui nous animait ce soir-là et une certaine vision de notre avenir…
Donc, ce doux soir de juin, nous analysions notre système scolaire et tentions de voir ce qui faisait la réussite d’autres systèmes que le nôtre. Le pragmatisme allemand et la possibilité d’accéder outre-Rhin à une formation différenciée (Hauptschule, Realschule et Gymnasium) nous faisait nous interroger sur la nature des maths à enseigner.
Mathématiques au service de l’apprentissage professionnel versus mathématiques abstraites au service de la poursuite des études : à quel moment, pour qui ? Nous disions le choix français…, le collège unique…, l’université…, les prépas…, les médailles Fields, la peut-être excellence française… ; nous disions le socle commun…, les nouveaux programmes…, les réflexions sur l’évaluation…
Je témoignais du rôle des Länder allemands dans la définition des programmes scolaires et des cursus proposés. En lisant les actes du colloque « Archéologie, instrument du politique ? » [2], il y a quelques années, j’avais découvert le poids du régionalisme « qui demande que l’histoire soit transmise, si possible, à l’aide d’exemples venant de la région, du Land, pour que l’élève s’identifie plus facilement avec la matière enseignée ». Avec une drôle de conséquence : la cohabitation de dizaines d’éditeurs scolaires offrant « plus de 140 manuels différents écrits pour la première année de l’enseignement de l’histoire » (à partir de 11/12 ans). Cette anecdote, en plus de l’accès tardif à l’enseignement de l’histoire et de la décentralisation des sujets d’étude, révélait une opposition de paradigme. Clairement, notre Socle commun de connaissances, de compétences et de culture et l’existence de Liste de référence pour l’enseignement de l’histoire, de l’histoire des arts, des œuvres de littérature (…) modélisaient le système scolaire français dans une sorte de visée universaliste (au sens de valeur commune à transmettre).
Enseigner et évaluer en France : l’exemple du sujet de Français au DNB
Je racontais alors le sujet de Français du Brevet de cette année dont le questionnaire portait successivement sur des points de grammaire, de compréhension de lecture, d’analyse syntaxique, de relevé d’argumentation, de vocabulaire, de conjugaison, de réflexion autour d’un genre (ici une succession de répliques de théâtre entre un homme et une femme), d’analyse littéraire et de créativité et dont le texte [1] s’ouvrait par ce résumé : « Durant la deuxième guerre mondiale (1939-1945), Paul a été condamné à mort par les nazis. C’est sa dernière rencontre avec sa femme. » Je faisais l’hypothèse d’une démonstration de la part des rédacteurs : en mêlant l’espace mémoriel et les ponts interdisciplinaires, n’exposaient-ils pas le fait que la culture est l’affaire de tous ? Je pense même aujourd’hui que ce message ne s’adressait pas seulement aux élèves mais aussi aux enseignants à travers leur capacité à comprendre le type d’enseignement qu’exige la nation, voire aux parents dans une volonté d’expression de cohésion nationale… Voilà, ce que je définissais comme notre hexagonalité (veuillez accepter ce néologisme né au milieu de profs de maths) : l’affirmation de la place vouée à l’histoire et à la culture dans l’enseignement. L’importance, dès le cycle 3 d’une prescription « Culture pour tous » comme remède aux difficultés scolaires (rémanence de la Révolution Française et de l’Instruction Publique). Je tentais même l’idée d’un atavisme générationnel, issu d’un quelconque Grand Siècle, lié à cette capacité de s’auto-émerveiller du rôle de la France, de son rang, que nos voisins européens nomment l’arrogance du Français…
Et si un nouveau regard sur l’évaluation changeait l’enseignement ? Le point aujourd’hui
En Allemagne, on parle de Heimat : c’est un concept qui n’a pas d’équivalent français. Il se rapproche du mot home des Anglais et caractérise le sentiment d’appartenance à une région natale ou à la région dans laquelle on vit. L’article du colloque [2] que je viens de relire analyse l’utilisation du mot Heimat dans les manuels d’histoire et établit une corrélation entre l’usage de ce mot et la formation délivrée. Le terme revient beaucoup plus fréquemment dans les manuels destinés à un enseignement de type Hauptschule et Realschule. Comment l’auteure de cet article explique-t-elle ce fait ? En parlant sans cesse d’une région dans laquelle on habite et en l’associant au Heimat, on veut favoriser l’identification et une stabilité bienveillante (elle mentionne que les Hauptschule accueillent 90 % d’élèves immigrés ou issus de l’immigration dans les grandes métropoles). Différemment, au Gymnasium, on cherche à valoriser un enseignement de l’histoire ouvert sur la culture européenne « comme si on préparait les élèves de la Hauptschule à rester toute leur vie près de leur commune natale et les élèves ayant le baccalauréat à bouger, pendant leurs études ou après, dans le cadre européen. Et ce fait révèle une liaison entre niveau intellectuel, ouverture individuelle ou identité personnelle qui fait, en Allemagne, déjà partie du système éducatif. »
L’observation des choix de chaque société pour amener ses ressortissants à un potentiel économique satisfaisant est instructif. Adaptation pour tous chez les Allemands, développement intellectuel du plus grand nombre chez les Français…
Jusqu’à il y a un temps… Par la lettre figurant dans le lancement de la Conférence nationale sur l’Évaluation (information annotée par la nouvelle ministre le 04/09/2014), Benoît Hamon justifiait l’obligation d’un changement de cap par la réalité des inégalités et le constat d’incapacité pour tout un chacun de s’inscrire dans un parcours qualifiant. Il affirmait en substance que :
- la culture suffisante à une compréhension des codes n’est plus dispensée par l’école,
- les évaluations existantes sont inopérantes.
Dont acte : ces affirmations sont suffisamment graves pour comprendre que le système dans lequel nous évoluions va devoir se transformer. On trinquait en juin à la clôture d’une année dans l’attente des nouveaux programmes, on débarque en septembre dans un monde nouveau. Feue notre hexagonalité a vécu. Mutatis Mutandis, il fallait bien un édito pour l’affirmer ! Alors, condamnation du DNB ? Préprofessionnalisation au sein du collège unique ?… Le moins que l’on puisse dire est que nous ne savons pas encore…
Les rencontres de cette année
Nous serons bientôt invités à nous prononcer sur l’évaluation, le Nouveau socle et les Programmes de maternelle. Des modifications s’annoncent sans que chacun puisse vraiment définir qui sera concerné ou de quelle façon sera impacté le métier d’enseignant (et la formation) et le système scolaire. On se sent un peu comme lorsqu’on regardait la météo cet été : comme remplis d’espoir de beau temps dans une période de dérèglement climatique ! C’est une curieuse période, qui promet une année riche d’échanges. Nos rencontres seront autant de temps de réflexions vives à ne pas manquer. Alors, rendez-vous à Toulouse et dans les différentes commissions !
Santé à tous !
Article mis en ligne par GC