Éditorial du BGV n°216
Enseigner les mathématiques au XXIe siècle
Notre enseignement des mathématiques est en crise ! Les mauvais résultats des élèves français dans les évaluations internationales, la désaffection globale des élèves envers les mathématiques, la baisse importante du nombre de candidats aux concours d’enseignement de mathématiques, les réformes successives, l’image des mathématiques véhiculée dans les médias et la société… L’ensemble de ces éléments doit nous interroger sur l’enseignement des mathématiques aujourd’hui. Qu’est-ce que l’activité mathématique ? Quels sont les besoins en connaissances mathématiques pour un citoyen du XXIe siècle ? Quelles mathématiques doit-on enseigner demain ? Quelle forme scolaire serait adaptée ? Comment partager le plaisir de la pratique mathématique, à l’école mais pas seulement, et bien au-delà d’un public averti ? Quelle cohérence et quelles interactions sont à envisager entre les mathématiques et les autres disciplines ? Autant de questions dont nous devons nous emparer.
L’APMEP est un lieu de riches débats, d’échanges et de réflexion. Il nous semble donc naturel de nous emparer de ces questions au sein de notre association, de le faire avec l’appui de l’ensemble de nos adhérents et partenaires et d’inviter tous les collègues qui le souhaitent à y participer. Nous voulons ainsi nous positionner dans la durée, et non sous la contrainte du train des réformes et de la succession des ministres. Nous n’ignorons pas le récent rapport « 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques » qui a fait suite à de larges (mais courtes) consultations, ni le « rapport Kahane » publié au tout début du siècle, nous souhaitons surtout que ce type de réflexion soit continue et non exceptionnelle, et qu’elle associe l’ensemble de la profession.
Si, individuellement, par nos pratiques, nos représentations, notre propre parcours professionnel, nous avons certaines convictions, aboutir à des propositions à la fois cohérentes et ambitieuses pour tous les élèves, dans un système dont nous ne pouvons pas maîtriser tout le fonctionnement, est un grand défi. Cessons les caricatures qui rejettent la faute sur les uns ou les autres à propos des résultats des élèves français aux évaluations internationales. L’un des problèmes, pour nous enseignants, est de retrouver du sens à notre travail et croire en nos compétences et capacités à transmettre les mathématiques. La croyance qu’il existerait une méthode meilleure qu’une autre pour enseigner une discipline est à combattre. Il semble que le ministère en soit adepte mais sans aucun doute, depuis plusieurs millénaires que les mathématiques s’enseignent, s’il devait y avoir une méthode miracle, les hommes l’auraient trouvée. C’est que cet enseignement est une affaire humaine et qu’en ce domaine, ce qui est primordial semble être l’interaction entre l’élève et son professeur.
Il est d’autant plus illusoire de chercher LA méthode d’enseignement des mathématiques que l’activité mathématique et les conditions d’apprentissage sont en perpétuel mouvement. C’est d’ailleurs ce que la commission pour l’enseignement des mathématiques dirigée par J.-P. Kahane a souligné pour introduire ses travaux et les vingt années qui se sont écoulées depuis la publication des travaux de cette commission ne l’ont pas démenti. La démocratisation des outils numériques, les modes d’accès à l’information, l’émergence de nouvelles questions posées aux mathématiques, par exemple en lien avec le traitement de données massives, sont autant d’éléments qui influencent la manière dont nos élèves apprennent. Ils modifient nos pratiques enseignantes. En quoi les nouveaux outils peuvent-ils nous aider à mieux diffuser les mathématiques ? À les rendre accessibles au plus grand nombre ? Quels bénéfices peut-on en tirer dans nos classes ?
Loin de leur image parfois austère, hermétique et gratuitement abstraite, les mathématiques sont une discipline vivante, qui mobilise la créativité, l’imagination, qui se nourrit souvent de questions issues d’autres disciplines, du monde qui nous entoure. L’un des enjeux essentiels de la pratique des mathématiques est la formation à un mode de raisonnement, à la pratique de l’abstraction, à la conceptualisation. Les mathématiques ne sont pas la seule discipline qui y concourt, mais elles apportent quelques spécificités : démarche hypothético-déductive, types d’arguments, formalisation… Cette formation donne à l’élève un outil pour penser le monde dans lequel il évolue et, partant, d’y jouer un rôle d’acteur, de citoyen. Cela demande du temps et de la nuance dans l’analyse des erreurs. L’instabilité permanente des contenus et des modalités d’enseignement n’est pas souhaitable : elle empêche un travail de fond, en particulier collectif, elle brouille les repères des élèves et de leurs familles.
Riches de nos réflexions sur le métier, forts de la collaboration entre équipes et grâce à une formation mieux organisée nous pourrons répondre aux enjeux de demain pour l’enseignement des mathématiques. Nous devons ensemble apporter des éléments à cette réflexion : professeurs des écoles, des collèges, des lycées, des universités, chercheurs, scientifiques… Nos idées peuvent être contradictoires, qu’importe, discutons-en ! Soyons modestes, notre objectif n’est pas de mettre en place une nouvelle réforme, ce n’est d’ailleurs pas notre rôle. Nous souhaitons simplement prendre le temps de la réflexion. Celui dont on nous prive trop souvent, aujourd’hui en particulier.
Nous, membres du Bureau, vous proposons une méthode pour que le travail que nous avons engagé se poursuive dans chacune des Régionales de l’APMEP et dans les diverses associations partenaires. Les membres du Comité nous ont déjà, lors de la réunion de novembre, apporté quelques éléments. Nous interrogerons aussi les enseignants de mathématiques, adhérents de l’APMEP ou non. Une page dédiée à ce travail sera mise en place prochainement sur le site de l’APMEP et vous pourrez aisément contribuer à cette réflexion. Alors n’hésitez pas, chacun de vous a sa place dans ces débats !