Bulletin Vert no 440
mai — juin 2002
Editorial du Bulletin 440 Quelle formation en mathématiques, vulgariser ou former ?
Nous ne répéterons jamais assez que les mathématiques sont un outil essentiel et spécifique pour structurer l’esprit, assurer les bases et la réflexion dans de nombreux domaines de connaissances et, plus généralement, accéder à une meilleure compréhension du monde. Elles sont aujourd’hui omniprésentes, de façon visible ou cachée, dans des secteurs de plus en plus nombreux de notre société, laquelle devrait avoir un besoin croissant d’enseignants et de cadres moyens et supérieurs dans un très proche avenir.
La place et le rôle des mathématiques dans l’enseignement secondaire devraient donc en être renforcés. Au lieu de cela, les horaires de leur enseignement sont réduits au collège et au lycée, leur utilité a été sévèrement mise en cause par un ministre de l’Éducation et l’on tente de faire croire que leur apprentissage peut passer par l’interdisciplinarité [1]. Les responsables ministériels font la sourde oreille aux observations, suggestions et revendications de l’APMEP ou les écartent pour des raisons douteuses et parfois surprenantes. Par exemple, le directeur de la DESCO affirme qu’il n’y a pas d’inconvénient à ne pas traiter la totalité du programme, qu’une présence suffisante des mathématiques dans les TPE relève de la responsabilité des professeurs qui nie ainsi l’autonomie offerte aux élèves.
Alors que l’on s’inquiète, au plus haut niveau, de la désaffection des jeunes pour les études scientifiques, on rejette la proposition de l’APMEP de créer une option sciences de détermination en seconde susceptible de créer des vocations.
Pourquoi notre souci d’une formation mathématique de qualité pour le plus grand nombre d’élèves, rencontre-t-il si peu d’échos du côté des décideurs ?
La rectrice de Toulouse, chargée par le ministre d’un rapport sur le lycée, son avenir et les moyens de réhabiliter les filières générales du baccalauréat, n’a pas daigné recevoir une délégation de l’APMEP souhaitant pourtant lui faire des propositions.
La lecture de son rapport « 30 propositions pour l’avenir du lycée » apporte des éléments de réponse. Les besoins du marché de l’emploi, nécessiteraient de 10 000 à 16 000 bacheliers supplémentaires chaque année. Pour accroître la proportion de bacheliers, « il faut indiscutablement travailler sur la capacité à attirer les jeunes et à les garder » dans les lycées. Il faut aussi que « la moitié d’une génération ait un diplôme de l’enseignement supérieur ». Atteindre de tels objectifs nécessite de gros moyens … à moins que l’on ne décide de sacrifier la qualité de la formation.
L’apprentissage des mathématiques nécessite du temps et des efforts de la part des élèves, la formation est coûteuse et difficile pour quelques-uns, il est donc tentant de réduire le rôle de cette discipline. Ce que l’auteur du rapport justifie, pas seulement pour les mathématiques, en affirmant que la « culture portant sur les savoirs traditionnels, de type savant » doit être remplacée par des « compétences » et des « aptitudes ».
Comme s’il n’y avait aucun lien entre compétences et connaissances !
Comme si l’on pouvait développer l’un sans l’autre ! Pour tenir compte « des évolutions de la science et des transformations du public scolaire, il faut apprendre à articuler et non pas à juxtaposer les disciplines ». Ainsi, la promotion des travaux interdisciplinaires permet de justifier la réduction du rôle des disciplines, et celle des sciences expérimentales la réduction du rôle des mathématiques.
On comprend mieux pourquoi l’APMEP qui s’entête à revendiquer les moyens de donner la meilleure formation possible en mathématiques, et implicitement de développer le maximum de compétences chez le plus grand nombre possible d’élèves, est si peu écoutée actuellement. Le type de formation que l’on attend que nous donnions à nos élèves ne va pas dans cette direction. Les mathématiques que l’on veut nous faire enseigner ne semblent plus avoir pour objectif une certaine initiation au savoir savant mais une certaine « vulgarisation ». Pour des raisons d’économie, pour faciliter l’accès aux diplômes au plus grand nombre, la tentation est grande d’abandonner les exigences relatives aux connaissances, de se limiter à l’acquisition de « compétences ». Or les connaissances « approximatives » ne suscitent pas l’intérêt des élèves et ne développent pas des compétences mais l’art du flou.
L’à-peu-près est un obstacle à la compréhension, même des choses les plus simples, il ne permet pas de saisir les nuances, d’accéder à la finesse, de distinguer l’essentiel, il laisse l’individu à l’état grossier, il n’est porteur d’aucune formation, il ne développe pas l’intelligence. Est-ce ainsi que l’on entend former les citoyens de demain ?
Foix, le 4 mai 2002