Bulletin Vert no 445
mars — avril 2003
Editorial du Bulletin 445 La crise des vocations scientifiques
Paradoxalement, alors que les sciences et les technologies sont aujourd’hui omniprésentes et indispensables dans nos sociétés modernes, qu’elles sont sources de nombreux emplois, les étudiants de la plupart des pays occidentaux les boudent. Les causes de cette désaffection sont les exigences de ces types d’études, l’attrait des professions plus rémunératrices, des carrières plus prestigieuses et le doute grandissant vis à vis des bienfaits de la science.
La France n’échappe pas à ce phénomène. C’est surtout l’enseignement supérieur qui est touché. Un tiers seulement des bacheliers scientifiques ou technologiques scientifiques poursuivent des études supérieures dans ces domaines. Au lycée, la diminution des effectifs de ces séries reste faible mais commence à devenir sensible. Si rien n’est fait, le vivier des jeunes scientifiques sera, dans quelques années, insuffisant pour couvrir les besoins croissants du pays en techniciens, ingénieurs, chercheurs et enseignants. Ce problème est d’autant plus préoccupant que le manque d’étudiants entraîne celui d’enseignants qui à son tour augmente la difficulté d’accroître le nombre d’étudiants !
Pour tenter de réconcilier les jeunes français et les sciences, le Conseil National des Programmes organise, le 25 avril, un colloque sur le thème : « Réussir avec les sciences. L’enseignement de sciences : désamour ou malentendu »
Pour alerter l’opinion, les pouvoirs publics, et susciter davantage de vocations scientifiques, plus de douze associations (dont l’APMEP) et sociétés savantes, représentant l’ensemble des enseignants et chercheurs des différentes disciplines scientifiques ont envoyé à la presse en octobre dernier un communiqué commun (cf. BGV n° 107). Estimant qu’il faut agir à la fois sur les structures du système éducatif, les enseignements, l’orientation scolaire et professionnelle, les mentalités et les comportements, ce collectif attire aujourd’hui l’attention sur la nécessité : de renforcer la cohérence de la voie scientifique du lycée, de mieux favoriser l’accès aux séries technologiques scientifiques, d’inciter plus de filles à faire des études scientifiques, d’infléchir la formation des enseignants vers une ouverture plus large aux sciences dans leur ensemble. Enfin, il recommande un pré-recrutement des professeurs de lycées et collèges.
Avec les autres disciplines scientifiques et en leur fournissant des outils, les mathématiques contribuent à expliquer les phénomènes que l’on observe. Leur rôle est donc central pour la formation des élèves, leur compréhension des sciences, et l’intérêt qu’ils y portent. S’appuyant sur l’expérience de ses adhérents et la réflexion de ses commissions, l’APMEP propose un ensemble cohérent de dispositions qui s’inscrivent dans le cadre défini par le collectif.
C’est à l’école, et surtout au collège et au lycée que l’on peut développer ou non la curiosité, donner ou non le goût des sciences et susciter ou non des vocations. Les programmes, la façon dont ils sont enseignés, les conditions, notamment horaires, dans lesquelles ils peuvent être enseignés, la cohérence entre les objectifs affichés et les exigences réelles du système scolaire sont déterminants pour intéresser les élèves aux sciences ... ou pour les en détourner. Susciter davantage de vocations scientifiques exige un effort de tous les acteurs du système éducatif. Les professeurs doivent rendre leur enseignement plus conforme à cet objectif. Les responsables ministériels doivent mettre en place des conditions favorables, ce qui, hélas, n’est pas toujours le cas.
Les passages en classe supérieure et la réussite aux examens basés sur des quotas fixés à l’avance plus que sur un niveau n’incitent pas les élèves à l’indispensable travail d’appropriation des savoirs. La fragilité, la non-immédiate disponibilité des connaissances de base de la majorité des élèves d’aujourd’hui sont un obstacle à tout nouvel apprentissage et finissent par en masquer l’intérêt.
C’est la recherche de problèmes, le plaisir de trouver qui, tout en développant de multiples compétences, suscite le goût pour les mathématiques. Ne pouvant guère s’appuyer sur le travail à la maison, les activités de recherche sont limitées, au collège et au lycée, par les réductions des horaires des mathématiques. L’enseignement des mathématiques devient de ce fait plus sélectif et leur apprentissage plus rébarbatif. Les cris d’alarme de l’APMEP, les 18 000 signatures de la pétition de 2002 (cf. BGV n°102) laissent indifférents les responsables ministériels qui privilégient les économies budgétaires sur la réussite d’un plus grand nombre d’élèves.
En seconde, la création d’un enseignement de détermination « option sciences », axé sur des activités de recherche et d’expérimentation, permettrait aux élèves qui le souhaitent de mieux s’essayer aux démarches propres aux disciplines scientifiques. Alors qu’il contribuerait efficacement au choix de la série scientifique et pourrait susciter quelques vocations, le ministère refuse de le créer, des rectorats sont hostiles à l’expérimentation d’un tel dispositif.
La série scientifique est actuellement une série généraliste alors que la série littéraire est bien plus spécialisée. On exige peu en sciences des élèves de L mais beaucoup de ceux de S dans les disciplines non scientifiques. Pour augmenter la proportion de lycéennes et lycéens poursuivant des études supérieures scientifiques il est indispensable de renforcer le caractère scientifique de la série S. Diversifier les voies scientifiques est une possibilité.
Trop guidées et ne laissant guère de place aux initiatives des candidats, les épreuves de mathématiques au baccalauréat incitent plus au développement d’automatismes qu’à la réflexion. La formation est en partie vidée de sa substance. Accédant, partiellement, à une demande insistante de l’APMEP, le ministère aurait enfin décidé de faire évoluer les sujets dans le sens demandé.
Passer du tiers à la moitié de bacheliers poursuivant des études scientifiques ou technologiques est un objectif raisonnable. L’atteindre nécessite cependant la mobilisation de tous les acteurs, des élèves aux ministres en passant par les enseignants. Cette crise des vocations scientifiques est l’occasion de faire évoluer notre enseignement pour mieux mettre en évidence le rôle central des mathématiques dans la formation. C’est à nous, professeurs de mathématiques, qu’il appartient de le faire.