Bulletin Vert no 447
septembre — octobre 2003
Editorial du Bulletin 447 Passe ton bac d’abord ...
En 1808 [1], année de sa création, seuls 31 candidats furent titulaires du baccalauréat. Cette première version était orale, les épreuves portaient sur les auteurs grecs et latins, sur la rhétorique, l’histoire, la géographie et la philosophie. Le taux de réussite ne cessera d’augmenter : 1% d’une classe d’âge en 1880, 3% en 1945, 25% en 1975, pour atteindre 65% en 2000.
Les sciences furent introduites en 1821, l’épreuve écrite en 1830. C’est en 1968 qu’apparaissent les séries A, B, C, D et E.
Cependant, dès l’année de sa création, le baccalauréat est à la fois une sanction des études secondaires et le premier diplôme de l’enseignement universitaire, dont il ouvre les portes.
Le baccalauréat est un diplôme national, sa valeur ne dépend donc pas de l’endroit où on le passe. Depuis quelques années, tous les candidats composent sur le même sujet et les barèmes devraient permettre une évaluation homogène sur tout le territoire. De plus, la correction est assurée par des professeurs ne connaissant pas les candidats, les copies étant anonymées.
Comme premier diplôme universitaire, le baccalauréat doit évaluer les connaissances permettant la poursuite des études en faculté.
Ces quelques rappels historiques montrent l’importance de cet examen. Il est la clef de voûte de notre système éducatif. Il est donc important que tout se déroule pour le mieux. L’organisation, certes très lourde, doit en être exemplaire. Un maximum de précautions doivent être prises quant aux choix des sujets, notamment.
Administrativement, tout est prévu. L’élaboration des sujets s’étale sur un an [2] : en mai, le ministère en répartit la charge entre les académies et une commission académique de choix de sujets est mise en place ; la présidence en est confiée conjointement à un inspecteur général et à un universitaire. Les membres de ces commissions sont des professeurs de lycée. Dès septembre, chaque commission élabore plusieurs sujets, chaque IPR, représentant de l’inspection générale, doit veiller au respect des instructions réglementaires. En décembre, chaque sujet est soumis à deux professeurs ne le connaissant pas ; ces cobayes doivent composer dans un laps de temps inférieur à celui des candidats et donner leur avis sur la faisabilité et l’intérêt du sujet. À la suite des remarques faites par les cobayes, chaque sujet est éventuellement modifié, mais non soumis à d’autres professeurs. Un dossier est alors remis par les deux co-présidents au recteur de l’académie. En mars, le recteur procède, en accord avec l’inspection générale, au choix définitif et à l’affectation des sujets.
Comme on peut le voir, toutes les précautions semblent prises pour garantir la faisabilité des sujets.
Et pourtant… Les événements récents ont montré que la machine pouvait s’enrayer. Malgré toutes ces procédures, le bac de S, et celui de ES dans une moindre mesure, ont été caractérisés par une infaisabilité certaine, non pas sur un lycée, non pas sur une académie, mais sur tout le territoire français.
Et cette « bévue », comme l’a reconnue madame la doyenne de l’inspection générale, concerne les épreuves de mathématiques des deux sections. À un moment où les sciences n’attirent plus les étudiants, où le manque de scientifiques devient très préoccupant, nous nous serions bien passés de cette « bévue » !
Depuis toujours, l’APMEP travaille sur l’enseignement des mathématiques et l’évolution de notre métier. Ces dernières années, à la suite des travaux des différentes commissions [3] et des débats en comités nationaux, de nombreuses positions ont été prises. Une importante réflexion a été menée sur le baccalauréat. Quel dommage que notre association ne soit pas écoutée par nos instances dirigeantes. On aurait sûrement évité le désastre (et le scandale, car c’est le mot) de cette session 2003.
« Agir sur le baccalauréat, c’est agir à la fois sur l’enseignement au lycée et sur le comportement des élèves, donc sur leur formation. » lit-on dans la plaquette « Visages de l’APMEP ».
Oui, mais nous pensons à l’APMEP que les changements doivent être annoncés au moins deux ans à l’avance, afin de permettre aux professeurs et à leurs élèves de travailler dans l’esprit des nouveaux programmes dès la classe de première (l’idéal serait dès la seconde).
Citons un extrait du rapport [4], remis en juillet 2000, au ministre concerné, par la commission « Épreuves du BAC en mathématiques » présidée par M. Paul ATTALI, inspecteur général :
"L’épreuve du bac en mathématiques pilote de manière significative les pratiques d’enseignement des professeurs de lycée. Ceux-ci désirent, bien entendu, que leurs élèves réussissent l’épreuve du bac et les entraînent donc à partir des sujets des épreuves passées. Ceci créé un contrat « implicite » entre l’institution, les élèves et leurs parents…"
Cette année, le contrat fut rompu ; non par les professeurs, ni par les élèves et leurs parents… Écoutons ce qu’un candidat de S écrivait à l’APMEP, au lendemain de l’épreuve :
« C’est un choix délibéré qui fait que nous n’avons pas été mis au courant, élèves et professeurs, de la volonté de faire évoluer l’épreuve »
La diminution des horaires, trop souvent dénoncée par l’APMEP, n’est pas en adéquation avec un programme aussi ambitieux, dont le niveau d’exigence n’a d’ailleurs jamais été clairement défini. Le livret d’accompagnement des programmes, certes très intéressant, ouvre trop de portes ; personne ne peut explorer à fond toutes les pistes proposées, avec un horaire hebdomadaire de 5h30 seulement.
En plus de ce contexte général, les parties testées du programme de ces sujets sont trop limitées. La presse s’est emparée des exercices de géométrie dans l’espace, en inventant au passage une nouvelle expression : « géométrie spatiale ». Mais ce n’est pas le seul reproche que l’on peut faire à ces épreuves. Monsieur de GAUDEMAR [5] peut bien affirmer que le problème « traitait des équations différentielles qui sont au cœur même du programme », il ne fait en cela que reprendre une phrase dudit programme. Mais, dans le même programme, il est aussi indiqué que l’analyse doit occuper 45% du temps et le chapitre « Équations différentielles » n’en représente qu’une petite partie ; de plus le texte précise qu’"on étudiera quelques problèmes où interviennent des équations différentielles de la forme y’ = ay + b". Et cette infime partie du programme donna lieu à un problème noté sur 11 points… Sans parler des nombreux paramètres y figurant dont l’usage n’est pas un objectif du programme !
Lorsque, rapidement, le désastre fut connu, l’APMEP demanda l’annulation de l’épreuve et son remplacement, solution déjà mise en pratique en 1965. Elle ne fut pas adoptée malgré les moyennes inquiétantes données par un panel d’environ 300 copies. Comme souvent dans ces cas-là, lorsque l’on ne veut pas reconnaître l’origine de la fièvre, on change de thermomètre. Un barème, soi-disant national, fut censé être appliqué sur tout le territoire français.
Le ministre put alors affirmer [6], sans trop se mouiller, qu’il « y aurait équité assurée sur tout le territoire » avec « un barème national noté sur 20 pour tous ». Aucune copie ne dépassera 20, c’est sûr ! Monsieur de la PALISSE en aurait dit autant. Jouer sur les mots semblent être, chez nos dirigeants, une habitude et une méthode permettant d’éviter le débat de fond ! Cependant, les remontées du terrain indiquent des barèmes, bricolés par académie, allant de 20 à 34 ! S’il est habituel que les échelles de notations varient de quelques points (et encore est-ce bien normal ?), que penser de ce grand écart ?
Laissons encore parler notre élève de terminale S [7] :
« À la difficulté intrinsèque de l’ensemble de l’épreuve s’est rajouté un effet de surprise de tomber sur une forme très particulière de poser les exercices, ce qui suscite le stress, l’énervement, même parfois le désespoir et les pleurs ; et, comme vous pouvez l’imaginer, ça aussi est une cause directe de nos bêtises… »
Le stress, le désespoir peut aussi amener certains candidats à rater l’épreuve suivante ; comment intégrer cette réalité dans les barèmes ?
En fait, qu’a-t-on évalué en mathématiques lors de cette session ? Où est le caractère national du baccalauréat ? Quelle image donne-t-on alors de l’enseignement des mathématiques dans le secondaire ? Comment regagner la confiance de nos élèves ? Autant de questions qui attendent des réponses.
Plusieurs travaux d’analyses et de réflexions vont être menés par les commissions APMEP : les résultats de ces travaux feront alors l’objet d’un BGV spécial, à paraître en septembre.
Du côté de nos institutions, une enquête nous a été promise. Nous demandons à ce que ses conclusions soient rendues publiques. Le conseiller du ministre, Monsieur NEMBRINI, aimerait travailler avec l’APMEP à la confection de la nouvelle maquette du bac 2004 ; nous lui rappellerons cette invitation et participerons activement à ces travaux. Nous ne voulons pas que se reproduisent les errements de cette fin d’année scolaire 2003 et nous espérons que nous serons écouté et entendu cette fois-ci.
Pour terminer, citons un précédent éditorial [8] :
« Susciter davantage de vocations scientifiques exige un effort de tous les acteurs du système éducatif. Les professeurs doivent rendre leur enseignement plus conforme à cet objectif. Les responsables ministériels doivent mettre en place des conditions favorables, ce qui, hélas, n’est pas toujours le cas. »
Nous avons montré que nous sommes des enseignants responsables [9]. Nous attendons la même attitude de la part de nos dirigeants.
Durant les deux semaines qui ont suivi ce « mardi noir [10] », des associations de parents d’élèves, plusieurs syndicats nous ont contacté. Des comités de lycéens, créés à la suite de cette « bévue », nous ont demandé notre appui. Notre légitimité en sort renforcée. Profitons-en pour faire adhérer de nouveaux collègues. Nos actions auprès des autorités, le BGV spécial seront alors d’excellentes cartes de visite. À ceux qui ne voient pas encore l’intérêt d’adhérer, nous pourrons ainsi montrer les capacités d’analyse, de propositions de l’APMEP. Plus nous serons nombreux, plus grande sera l’écoute de la part de notre administration !