Bulletin Vert no 453
septembre — octobre 2004

Editorial du Bulletin 453 Quelle école ? quelles mathématiques ?

« Pour faire un citoyen, commençons par faire un homme », Victor HUGO.

« Injuste, inutilement élitiste et de surcroît coûteux, notre bac, … , conduit de plus en plus de jeunes dans l’impasse sur le marché du travail  » [1]. Tel est l’analyse faite par un hebdomadaire, dit progressiste. « Redoubler, à quoi ça sert » titraient récemment plusieurs quotidiens. Périodiquement donc, l’école est remise en cause, son fonctionnement critiqué. Les professeurs déserteraient trop souvent leurs classes et ne feraient pas correctement leur travail. Les mathématiques ne sont pas épargnées : elles seraient « … devenues l’outil le plus impitoyable et le plus injuste d’une sélection qui ne dit pas son nom » [2]. Lors du grand débat, on s’est même posé la question de leur utilité au futur citoyen. Nous ne pouvons laisser ces attaques sans réponses, mais cela ne suffit pas, une réflexion approfondie sur le fond s’impose.

Analysons ce phénomène. Certes, notre système a du faire face, depuis plus de vingt ans, à un afflux croissant d’élèves auquel il n’était pas préparé ; on ne lui a, d’ailleurs, pas toujours donné les moyens de s’adapter. Mais cela ne suffit pas à expliquer ce déferlement chronique de critiques.

La première citation contient, à elle seule, l’essentiel. Le système serait « coûteux ». Ce qui laisse supposer qu’il existe quelque part une norme à ne pas dépasser, un service public « économique ». De plus, la notion de « marché du travail » nous entraîne dans un domaine où le marché est roi : celui du libéralisme. On n’est pas loin de ce que disait l’ERT [3], en 1989, dans son rapport « Education et compétences en Europe » : « Les causes du fort taux de chômage en Europe sont à rechercher dans l’inadéquation et l’archaïsme de ses systèmes de formation ». Consciemment ou non, nos critiques font donc le jeux des ultra-libéraux. Car, c’est, à mon avis, de cela qu’il s’agit. Foutaises, diront certains. À ceux-là, je répondrai qu’il existe des textes d’organismes officiels se rapportant à notre propos. Pour ceux qui s’en souviennent, Nico HIRTT avait déjà tiré le signal d’alarme, lors de sa conférence lors des journées APMEP de Lille.

Afin d’alimenter le débat, voici quelques citations. Bien évidemment, on pourra me reprocher de les avoir sorties de leur contexte, mais libre à tout un chacun de consulter les textes, ils sont publics et consultables sur internet.

L’ERT regrettait, déjà en 1989, que « L’industrie n’[ait] « qu’une très faible influence sur les programmes enseignés, … [que] « les enseignants [aient] « une compréhension insuffisante de l’environnement économique, des affaires et de la notion de profit ; … [et qu’] «  ils ne comprennent pas les besoins de l’industrie [4], pour qui « l’éducation nationale doit prendre conscience qu’elle n’est, dans de nombreux domaines, qu’un acteur parmi d’autres dans le monde de la formation » et qu’elle doit donc préparer, « à côté de ses propres diplômes, à des diplômes le cas échéant délivrés par d’autres, en particulier dans les secteurs d’activités offrant de réels débouchés professionnels ». De plus, pour la Commission Européenne [5], « les compétences personnelles liées à l’esprit d’entreprise devraient être enseignées dès le plus jeune âge et jusqu’à l’université ».

Au fait que notre système soit coûteux, l’OCDE [6] a sa petite idée sur la manière de procéder : « [… ] on peut, à l’inverse, recommander de nombreuses mesures qui ne créent aucune difficulté politique […] Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population ». À la lecture de ce passage, on frémit devant tant de cynisme. On ne peut donc s’y tromper, ce qui est visé, c’est la libéralisation du marché de l’éducation, estimée à plus de 1 000 milliards d’euros, au profit des entreprises privées.

Aussi, réfléchir sur le système scolaire doit obligatoirement apporter une réponse à la question suivante : quelle école voulons-nous ?

Déjà, dans la charte de Paris de 1992, l’APMEP s’interrogeait : « Comment l’école peut-elle échapper à l’impératif de rentabilité à court terme qui prévaut dans les entreprises, et prendre le temps nécessaire (y compris au niveau de ses évaluations) pour développer au maximum les potentialités de chacun sans se couper du monde et agir ainsi sur celui-ci ? » et « Jusqu’où doit-on conduire l’harmonisation ou l’uniformisation des programmes scolaires européens, sous la poussée de la mondialisation des échanges et, contradictoirement, de la montée des particularismes ?  ». Lorsque nous serons d’accord sur la réponse à cette question fondamentale, nous pourrons alors nous en poser une autre : « quelles mathématiques enseigner ? »

Mais la réponse à la première question ne peut venir que des seuls professeurs de mathématiques. Tous les acteurs du système éducatif doivent se sentir concernés. Et ce n’est pas en préservant son territoire que l’on avancera. Lorsque telles associations de professeurs essaient de préserver, voire d’augmenter leur horaire, au détriment d’autres matières, elles ne peuvent que desservir notre service public, déjà mal en point.

 

Notes

[1Nouvel Obs, 1 - 7 avril 20

[2Nouvel Obs, 10 - 16 juin 2004.

[3Table Ronde Europée

[4Education et compétence en Europe, ERT, 1989.}}. Ces idées ont fait leur chemin depuis et elles ont apparemment été intégrées par l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche[[Rapport sur l’année 2002.

[5Livre vert, l’Esprit d’entreprise en Europe, Bruxelles, janvier 2003.

[6Document interne OCDE, 1996.

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