Élaborer un programme de mathématiques Quelques principes majeurs pour l’élaboration d’un programme de mathématiques dans le second cycle.

Faut-il réduire les programmes de lycée ? Pourquoi ? Et comment faire ?

Le problème du temps nécessaire à la transmission des connaissances, à la participation des élèves à l’activité de classe et à l’assimilation de ces connaissances conduit à sacrifier l’une au moins de ces composantes majeures de l’enseignement. La charge en contenus visés rend incompatible leur satisfaction conjointe car, dans les conditions horaires actuelles, ce défi ne peut pas tenir, comme le souligne la Commision Lycée de l’APMEP dans sa synthèse de mai 1999 . Qu’en serait-il alors en cas de diminution horaire ? Il est donc impossible de résister à des coupures dans les programmes de contenus, sauf en refusant à l’élève d’être en partie acteur de ses acquisitions. Mais rechercher un consensus très large est illusoire. Par conséquent, l’Association, à travers une commission ou le comité, me paraît ne pas devoir craindre de désigner clairement quelles notions devraient disparaître des programmes ou être limitées en termes d’approfondissement. Citons, afin de contribuer au débat et, par exemple, pour la classe terminale S :

dans le programme commun :

 arrêter l’étude de l’intégrale définie à l’interprétation en termes d’aire,
 supprimer la limite en un point d’une fonction composée,
 pas d’étude fine des transformations, en particulier pas d’insistance sur leur usage dans une démonstration (ceci est bien entendu valable dès la classe de première),

en spécialité :

 supprimer PGCD et PPCM (un problème où ils apparaîtraient comme clés vaut mieux que tout discours magistral sur le sujet),
 arrêter l’étude des complexes au double cadre de leur représentation,
 supprimer la géométrie analytique dans l’espace et les configurations spatiales sauf en termes d’aire ou de volume (d° en première),...

Mais des corrections importantes devraient être apportées, bien entendu, dans les programmes des autres sections où le choix des contenus ne prend pas suffisamment en compte les spécificités des filières avec, au plan des élèves, des motivations, des capacités et des débouchés professionnels bien distincts de la série S. Trop souvent encore, leurs programmes sont bâtis par suppressions ou compressions au sein du programme de S.

Ainsi, en série ES, insister davantage sur les notions contribuant aux traitements efficaces des problèmes d’optimisation, d’extrema, d’analyse de données, ainsi qu’à l’usage des graphes pour représenter et résoudre des problèmes de gestion, me semble préférable aux finasseries en géométrie (espace encore) et en analyse (calcul intégral qui sera revu plus tard).

De la même façon, le programme des L nous paraît trop chargé en analyse (subtilités sur les limites dont ils n’ont que faire ! rabâchage sur la représentation graphique d’une fonction,...), au prix d’une réflexion historique et épistémologique sur de grands problèmes de mathématiques, sur les obstacles, les errances dans la construction d’un concept, sur l’analyse logique du discours qu’il ne faut pas laisser au seul philosophe. Au prix aussi d’un apprentissage sérieux de tables numériques, plus efficace que l’intégration d’une fonction dont ils n’auront pratiquement jamais besoin. Au prix aussi d’un apprentissage du traitement de données qualitatives ou non.

Quel(s) statut(s) pour les contenus à enseigner ?

Il est impératif de bien distinguer le statut des contenus visés : sont-ils des objets de savoirs culturels ? sont-ils des outils intellectuels pour résoudre des problèmes ? sont-ils les mieux adaptés à l’usage qu’il en sera fait ultérieurement (profession, vie courante, études supérieures) ? Peuvent-ils être objets culturels et outils pour chacun d’entre eux ? (cf aussi note 1). La réponse spécifiée par contenu change très sensiblement le traitement didactique qui en est fait.

En tant qu’objet, le concept nécessite une construction, une définition univoque, rattachée à un champ déterminé, éventuellement placé dans l’histoire de sa construction.

En tant qu’outil, le concept peut être considéré comme donné par ses pratiques dans le domaine des mathématiques ou bien dans celui d’autres disciplines ou bien dans l’environnement quotidien. C’est son usage dans la résolution de problème qui en précisera, éventuellement et au fur et à mesure, ses propriétés et en gommera le caractère proto ou paramathématique, c’est-à-dire préconstruit. Cet usage s’assortit, comme le souligne Philippe Bardy, d’un intérêt par rapport aux démarches, aux modes de représentation, aux modes de raisonnement, etc. Par exemple, l’arithmétique offre des modes de raisonnement autres que l’analyse ou l’algèbre, modes où l’exhaustion et la récurrence ont leur place. Mais également, le théorème « toute suite croissante majorée admet une limite » permet de prouver l’existence d’un être mathématique sans l’exhiber, et peut-être même sans que l’on soit capable de le calculer.

L’objectif ne serait cependant pas d’institutionaliser, systématiquement et avant la sortie du lycée, le référent théorique, l’objet qui est sous-jacent.

C’est le cas, à notre avis des transformations dont le caractère outil apparaît clairement, mais non sans mal, dans les années 75-80, dans le premier cycle alors qu’il devrait adopter, affirme le programme, un statut d’objet mathématique en second cycle. Cet impératif est relativement dommageable car l’assimilation est vaine et l’intérêt épistémologique incertain dans le secondaire. Nous pensons, en particulier, que la rotation ne devrait pas jouir d’une telle ambition didactique et devrait garder seulement l’usage dynamique qui pourrait suffire à appréhender les angles. C’est a fortiori le cas pour la similitude. Par contre, introduire l’inversion, en tant qu’outil, à partir de problèmes carto ou photo-graphiques permettrait de donner a contrario du sens à la notion d’isométrie et de conservation de propriétés affines.

Quelle place et quels rôles pour les statistiques et les probabilités ?

On ne peut pas manquer de faire remarquer qu’en dépit de sérieux efforts du G.T.D., la place de la statistique et des probabilités reste opaque et soumise aux ... aléas des suppressions institutionnelles ou bien, de fait quelquefois, à de sérieuses réductions par le professeur lorsque le temps manque pour « boucler un programme ». J’ai déploré que les programmes de premier cycle n’aient pas permis d’enseigner toutes les notions élémentaires, retrouvées en second cycle, de statistique descriptive au moment où l’âge des élèves autorise les traitements graphiques qui paraissent puérils et dérisoires plus tard. De même que le couplage géométrie-statistiques n’ait pas conduit dans les premières classes l’introduction de la notion d’écart-type en parallèle avec celle de distance.

Rappelons que, pourtant, les probabilités et les statistiques remplissent des fonctions essentielles trop fréquemment négligées alors que la conjoncture leur est favorable en cette fin de siècle. Qu’on en juge :

 multiplicité de données pluridisciplinaires
 abondance d’informations numériques et graphiques fournies par les médias (sondages, statistiques économiques, démographiques,...)
 développement des jeux de hasard (loteries diverses, P.M.U.,...)
 développement des moyens de stockage, de calcul et de représentation.

Ces fonctions essentielles nous semblent de trois ordres : socio-culturel, épistémologique et didactique.

Les fonctions socio-culturelles contribuent à privilégier l’individu social, le citoyen : mise à distance critique des informations recueillies et/ou traitées, autonomie plus grande vis-à-vis de ces traitements, résistance objective à l’égard des jeux de hasard, préparation à la vie professionnelle.

Les fonctions épistémologiques permettent de mettre l’accent sur la différence entre le mode de raisonnement déterministe et le mode non déterministe, entre le raisonnement déductif (convergent) et le raisonnement inductif (divergent). Elles conduisent à privilégier une démarche structurante, classifiante (coder l’information, passer d’un critère à une typologie, ...), à la réduction raisonnée de l’information par une maîtrise de données numériques abondantes et surtout à privilégier le développement de l’attitude et de la démarche scientifiques.

Sur le plan didactique, un enseignement des probabilités et des statistiques non dogmatique se nourrit de situations favorables à l’enjeu, au défi, à la conjecture, aux changements de registres et de cadres, aux relations inter-conceptuelles et interdisciplinaires, à la mathématisation (modélisation, formalisation).

En résumé, il y a tout lieu de s’étonner que la place d’un tel enseignement soit aussi négligé quand il n’est pas mis à distance car considéré comme étant trop appliqué donc suspect, indigne ou méprisable ; mais négligé aussi parce que la formation reçue dans le supérieur n’y prépare généralement pas de façon adaptée. Cependant, insistons bien, une place plus grande dans les programmes ne peut être accordée qu’au prix de la suppression explicite de chapitres en analyse et en géométrie. Néammmoins, en dépit de ce rôle insubstituable du couple probabilités-statistiques dans la formation générale des élèves, il nous paraîtrait sage de doser leur enseignement en évitant de le ramener à l’apprentisage de techniques. En particulier, nous considèrons déraisonnable de croire possible de dégager, dès la seconde, à partir de simulations, la notion d’échantillonnage et, a fortiori, d’intervalle de confiance, comme le préconise le G.T.D. Certes, le groupe « Problématiques » est attaché à cette introduction avant la sortie du 2nd cycle, on l’a bien compris, mais seulement lorsque des éléments de probabilités suffisants permettront d’éviter la seule contemplation de fluctuations et un placage prématuré de la notion de niveau de confiance sur cette observation.

Que propose le groupe « Problématiques Lycée » ?

Le travail qui se conduit dans ce groupe de travail se renforce des réflexions, travaux et expérimentations en oeuvre dans le groupe"Prospective Bac". Il apparaît ainsi clairement que l’état actuel des connaissances acquises par la majorité des élèves à la fin du 2ème cycle se réduit le plus souvent à ce qui leur est justement bien souvent conseillé dans la préparation du bac et renforcé, pour l’essentiel, par les problèmes qui y sont donnés : à savoir, "jeunes gens, algorithmisez par sécurité vos connaissances, por vous assurer la « moyenne », ne vous écartez pas du chemin qui vous conduit pas à pas à la solution, segmentez votre savoir comme le sont les questions du problème, ne perdez pas de temps à comprendre ses relations avec les autres disciplines, etc.". Il est hors de question de condamner en cela les enseignants qui, déontologiquement, doivent assurer, à travers la réussite maximale aux examens, un contrat social vis-à-vis de l’institution, des élèves et de leurs parents. L’acrobatie pour échapper à la dérive « algorithmique » que nous dénonçons est utopique.

Notre proposition au sujet d’un programme, sans être révolutionnaire, veut se construire à partir de grandes classes de problèmes, de « problématiques », qui inscrivent objectifs, compétences et contenus plus en système qu’en une suite éclatée de chapitres de cours. Selon un principe constructiviste, les contenus doivent apparaître comme des moyens incontournables de résoudre des problèmes significatifs et non comme une fin en soi . C’est un renversement épistémologique par rapport à ce qu’un programme classique propose où le concept est d’abord introduit et où les problèmes d’application apparaissent ensuite.

Certes les libellés de programme décrivent, en amont des contenus, des intentions générales, des lignes directrices, des objectifs, des capacités attendues. Mais la présentation linéaire de ces préalables ne permet pas d’en voir les articulations qui en feraient la cohérence et surtout ne décrivent pas de façon aisément opérationalisable des situations favorisant l’approche des connaissances visées, ni les démarches attendues des élèves eu égard aux objectifs et capacités déclarés. Elles invoquent certes quelques situations pluridisciplinaires ou environnementales, mais généralement plus comme alibi et de façon incantatoire, que comme lieu de conflits, de quêtes ou de défis, condition nécessaire à l’éveil de la curiosité et du plaisir de faire des mathématiques. Notre ambition est de construire, autour des problématiques majeures de tout l’enseignement des mathématiques, un sytème cohérent qui, en faisant plus de place à la formation scientifique qu’à la culture mathématique sans la reléguer, coordonne trois composantes indissociables :

 des situations où l’activité de l’élève trouve sa place, situations suffisamment significatives pour que l’élève s’approprie le problème posé, pour qu’il y engage un coût cognitif ni trop élevé, ni dérisoire,
 des démarches, des attitudes scientifiques attendues de lui, satisfaisant les objectifs généraux et spécifiques des mathématiques,
 des savoirs visés à organiser en fonction de l’approfondissement défini par le niveau de la classe, le rythme adopté par certains élèves, etc. Par suite, un même contenu pourra être enseigné ou « visité » plusieurs fois mais à des niveaux ou dans des cadres différents.

Ainsi, un programme à notre sens devrait comporter dans son écriture, à chaque niveau scolaire, des préalables qui, à la suite des objectifs visés et des compétences attendues, distingueraient selon les dix problématiques que nous avons identifiées, les trois composantes énoncées ci-dessus . Les contenus déjà cités, pourraient être récapitulés selon les thèmes mathématiques qui les relient dans les différents champs mathématiques, ce qui, dans un premier temps, permettrait une lecture selon le mode classique. Mais cette option n’est pas indispensable et nécessite réflexion et proposition débattue au sein de l’Association.

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