Bulletin Vert n°480
janvier — février 2009
Faut-il rembourser les frais de déplacements ?
Pauvre homme qu’un autre homme assomme
Pour une petite question d’argent
Pour une malheureuse petite somme
Peut être quatre cinq ou six cents francs
Les bruits de la nuit
Histoires
En 1959, Georges Thovert, professeur au lycée Ampère de Lyon est mécontent et il le fait savoir dans une lettre qu’il adresse au président Huismann : [1, p. 330]
J’ai le regret de vous donner, par la présente, ma démission de membre du comité de l’A.P.M. Cette démission est motivée :
- par le fait que les membres de province sont dans l’impossibilité matérielle d’assister aux réunions du Comité. Ils tiennent donc dans cet organisme une place qui pourrait être plus utilement occupée par un membre de Paris ou d’une région voisine de Paris.
- Par le fait que la présence aux trois réunions annuelles du comité impose aux membres éloignés une cotisation supplémentaire vraiment excessive. Pour moi, l’aller-retour me coûte 12000 F, ce qui me ferait une cotisation de 36000 F.
Il n’est donc plus possible pour un élu d’une académie assez éloignée de Paris de participer aux réunions du comité. La cotisation normale en cette année 1959 est fixée à 1000 F. Georges Thovert doit donc s’acquitter d’un surcoût de cotisation 36 fois supérieur au montant de base pour pouvoir exercer son rôle d’élu de l’association. Cher payé pour le professeur lyonnais et pour une action militante même si jusqu’à cette date, aucun déplacement n’a été remboursé par les instances nationales de l’association. La seule trace dans les bulletins de l’association d’une aide aux déplacements remonte à 1914, lorsque Charles Bioche se fait le relais pour les adhérents de l’A.P.M.E.S.P. d’une proposition de réduction de 50% sur les tarifs des chemins de fer pour que les membres de l’association puissent se rendre à la Commission internationale de l’Enseignement mathématique qui se déroule cette année là à Paris [6, p. 63].
Il faut donc attendre près de dix années après la seconde guerre mondiale pour que ce principe soit remis en question, sans polémique excessive d’ailleurs, puisque Georges Thovert ajoute dans sa lettre que son dixième échelon lui permettrait de supporter cette dépense. Il en fait donc une question de principe plus qu’une requête inconditionnelle. Certes, certaines sections locales bénéficient d’une organisation très évoluée depuis la création de l’association qui en a toujours stimulé le développement [2, ]. Même si elles ne sont pas déclarées en associations indépendantes avant 1967, elles disposent parfois d’un bureau, vraisemblablement le plus souvent informel, dont l’un des rôles peut prendre une justification dans de tels remboursements. Cette question du budget des régionales semble être « un des soucis constants du comité » selon M. Magnier [1, p. 330].
Le contexte économique du début des années soixante rend cette situation de plus en plus intenable et l’apparition en janvier 1959 du nouveau franc institué par Antoine Pinay ne change rien à l’affaire [3, p. 297]. Le problème est donc d’importance puisqu’il pose la question des frais de remboursements des transports difficiles à assumer, même pour un professeur en fin de carrière et par delà ce seul aspect, la question sous-jacente du fonctionnement global de l’association. De plus, derrière ce dernier thème, se dessine la problématique de la représentativité des membres des régionales de province aux postes éligibles de l’association. En effet, le poids des régionales devient de plus en plus important, tant par le nombre d’adhérents qui commencent à se regrouper de manière significative dans certaines académies que par le rôle que ces régionales entendent jouer dans le fonctionnement de l’association. L’effectif du nombre de sièges au comité, fixé en 1938 à 24, passe en 1956 à 32, puis à 36 en 1962 pour atteindre 40 sièges en 1969. Tout en gardant des modalités de fonctionnement encore très parisiennes, la prise en charge des frais de déplacement apparaît ainsi inéluctable, dans ce contexte de régionalisation de la structure interne de l’association. En 1961, le constat du bureau va dans ce sens : [4, p. 98]
Il faut pourtant, si nous désirons stimuler l’action des régionales, faciliter leur liaison avec le comité.
Ainsi, il est ajouté un article dans le règlement intérieur [1] : [4, p. 98]
Art VII : Les frais de déplacement des membres élus du comité et des délégués des Régionales sont couverts en principe, par les recettes extraordinaires de l’A.P.M. (publicité). Dans le cas où les recettes s’avèreraient insuffisantes, une cotisation supplémentaire pourrait être demandée aux adhérents, à condition qu’elle ne dépasse pas 10% de la cotisation normale [2].
Il s’agit donc encore d’un simple principe qui n’inscrit toutefois pas dans le marbre l’automatisation du remboursement des frais de déplacement. Les remboursements restent conditionnels aux recettes extraordinaires qui sont apportées par la publicité. Le principe d’une surcotisation engendrée par des déplacements non pris en charge n’est donc pas éliminé. Ainsi, avant d’instaurer des modalités davantage systématiques pour ces remboursement, l’association envisage déjà de ménager les comptes à venir : [4, p. 98]
Ce serait présumer des possibilités financières de l’A.P.M. dans le lointain avenir que d’inscrire dans les statuts la règle du remboursement des frais de voyage aux membres du comité et aux délégués des Régionales.
Cette prudence affichée dénote une certaine inquiétude face à l’avenir des recettes de l’association. Les comptes de l’association dans les années 1960 sont pourtant saints et paraissent assurés d’une progression constante grâce à l’augmentation rapide et ininterrompue du nombre des adhérents depuis l’année de création de l’A.P.M.E.S.P. en 1910. Les frais ne paraissent pas d’ailleurs constituer une dépense très importante par rapport aux recettes affichées puisqu’en 1968, ils ne représentent que 2,2% des dépenses totales. Le poids relatif de cette dépense est toutefois jugée non négligeable à cette date dans le compte rendu financier : [5, p. 159]
Augmentation très nette des frais occasionnés par les réunions : réunions plus nombreuses, assiduité des participants.
L’inquiétude face à un déséquilibre financier s’explique aisément par l’extrême rapidité de la progression du nombre des adhérents en l’espace d’une dizaine d’années. Il n’est pas aussi facile de gérer une association qui compte de 300 à 2000 adhérents durant les quarante premières années de son existence et qui voit son effectif plus que tripler en l’espace d’une décennie : les effectifs sont en effet de 2300 adhérents en 1957, 6600 en 1966 pour atteindre plus de 9000 en 1969. La fin des années 1960 entérinent également le nouveau fonctionnement des régionales qui sont maintenant autonomes puisque déclarées en association loi 1901 dans chaque académie. Les années soixante rendent nécessaires des réunions nombreuses et fréquentes. Les adhérents sont assidus mais également très actifs dans les régionales et au niveau national. Ce sont les années de transformations profondes des programmes et des méthodes pédagogiques tournées vers les mathématiques modernes avec en point d’orgue la création des Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques (I.R.E.M.) dont les trois premiers sont créés en 1968. La participation des adhérents élus au fonctionnement de l’association et les modalités de leurs déplacements deviennent dorénavant indispensables.
Bibliographie
[1] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, n° 199, Imprimerie Coueslant, Cahors, juin 1959
[2] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, n° 479, Louis Jean Imprimeur, Gap, 2008
[3] AMBROSI Christian, AMBROSI Arlette, La France 1870-1986, Masson, Paris, 1986.
[4] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, n° 217, Imprimerie Coueslant, Cahors, octobre-novembre 1961
[5] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, n° 261, Imp. Alençonnaise, Alençon, mars-avril 1968
[6] Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, n° 14, Imp. Coueslant, Cahors et Alençon, février 1914