Bulletin Vert n°475
mars — avril 2008

L’A.P.M.E.S.P. et L’Union des Physiciens

Éric Barbazo & Cédric Lacpatia [1]

Introduction

La chronique qui paraît depuis le Bulletin n° 469 a l’ambition de mettre en exergue la genèse du mouvement associatif des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire qui surgit dans la première décennie du vingtième siècle.

Près d’un siècle s’est écoulé et il apparaît important que l’A.P.M.E.P. interroge son passé et mette en évidence le foisonnement d’idées nouvelles, de positions politiques et de réflexion pédagogique que ce mouvement a créé et développé. Plusieurs lignes ont été évoquées, dans la période allant de la création de l’Association en 1910 jusqu’à la Seconde guerre mondiale.

Un rapport d’étape s’impose maintenant dont nous présentons les grandes lignes : l’enseignement des jeunes filles figure parmi les deux premières questions auxquelles s’intéresse l’Association ; la défense de la réforme de 1902 qui a instauré l’enseignement scientifique (sciences physiques, sciences naturelles, mathématiques) dans les classes du secondaire constitue la raison d’existence de l’A.P.M.E.S.P [2]. C’est la première bataille politique qui se déroule avant la Première guerre mondiale, au sein des réunions du Conseil supérieur de l’instruction publique mais également sur les bancs du Sénat.

La réforme des années 1925 qui met en place le principe dit « d’égalité scientifique » dans les programmes de la sixième à la terminale constitue un deuxième combat politique qui marquera au fer rouge les esprits des professeurs de mathématiques jusque bien des années après la Seconde guerre mondiale. Durant la période 1910-1939, l’Association enrichit le contenu de son Bulletin, développe sa communication interne en publiant des rapports sur le baccalauréat ou sur le concours de l’agrégation, des textes aux contenus mathématiques ou politiques et conquiert toujours davantage d’adhérents.

L’A.P.M.E.S.P. n’est toutefois pas la seule association de spécialistes à voir le jour au début du vingtième siècle. De nombreux autres mouvements se créent entre 1905 et 1914, parmi lesquels l’Union des physiciens. Il est question ici de mettre en perspective l’action de l’A.P.M.E.S.P. par rapport à celle de l’U.D.P., dans le contexte des diverses grandes réformes rappelées plus haut et qui ont jalonné la totalité de l’enseignement secondaire français : après une présentation de l’U.D.P., les similitudes et différences du fonctionnement et des actions politiques et pédagogiques des deux associations représentent les enjeux de cette chronique.

L’Union des physiciens (U.D.P.)

L’Union des Physiciens, créée en 1906, est la première association de professeurs de sciences dans l’enseignement secondaire. Son fonctionnement est très similaire à celui de l’Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public. Outre le déroulement des assemblées générales, la présence dès le départ de professeurs femmes dans le Bureau en est un bon exemple. Néanmoins, quand on s’intéresse aux contenus des Bulletins, on s’aperçoit que les différences abondent. Comme le rappelle Abel Buguet, professeur au lycée Corneille à Rouen en 1906, « il n’est pas, dans le corps enseignant, de groupe à qui s’impose aussi complètement l’action commune, en raison de la similitude absolue et de la complication de nos préoccupations [3] » à savoir les travaux pratiques, les expériences et les instruments scientifiques – bref l’aspect expérimental des sciences. Ainsi, jusqu’à la première guerre mondiale, 75% des articles concernent les thèmes cités ci-dessus.

Pourquoi un tel déséquilibre entre les deux parties du travail – cours et expériences ? Deux raisons l’expliquent : le sentiment de se distinguer des autres disciplines par les pratiques expérimentales et surtout la réforme de 1902.

Les aspects expérimentaux de l’enseignement des sciences physiques sont mis en avant dès la fin du XIX°siècle. L’enseignement des jeunes filles par exemple doit, selon les instructions, avoir « un point de vue expérimental [4] ». Mais c’est lors de la réforme de 1902 que ces pratiques se généralisent à l’enseignement masculin. Pour les réformateurs, les sciences physiques sont trop théoriques et mathématiques. Elles devront maintenant être pratiques, expérimentales et proches de la vie courante. Plus encore, ce sont les élèves qui devront, à partir de la seconde, faire des manipulations – des exercices pratiques – pour observer les phénomènes et en déduire les lois physiques.

Pour les enseignants, c’est un énorme changement dans leurs pratiques. Si la plupart ont réalisé des expériences à l’université, ils n’ont pas été formés à leur utilisation à des fins pédagogiques. De plus, leur laboratoire d’enseignement manque cruellement de matériel. Sous l’impulsion d’Abel Buguet, l’idée de former une association pour agir en faveur du métier de professeur de physique voit le jour en 1906. Selon lui, il faut d’abord commencer par là où les professeurs peuvent agir sans aide extérieure : trouver des idées d’expériences, des lieux où se fournir en matériel. Ensuite, le groupe formé pourra, uni, agir auprès des universitaires, du ministre pour défendre sa discipline. L’idée va faire son chemin et, après plusieurs réunions, l’Union des Physiciens naît officiellement en novembre 1906. L’année suivante, en mars, elle se dote d’un journal, le Bulletin.

Suivant les propositions d’Abel Buguet, les articles des premières années ne vont pratiquement concerner que la réalisation des exercices pratiques. Pour reprendre les termes du premier président, Achille Mermet, alors professeur au lycée Charlemagne, le Bulletin devient une « Mutuelle des Idées [5] ». La partie la plus représentative de ce système est le Service de Renseignements (SR). Il s’agit d’un espace dynamique où tous les adhérents peuvent poser une question sur l’enseignement. Dans les numéros suivants, d’autres abonnés peuvent leur répondre. Ce service connaît un très fort succès avec plus de 200 questions posées les deux premières années. On y demande « où trouver » tel matériel ou « quelle expérience réaliser ». Malgré quelques actes militants ponctuels comme la défense des horaires en 1909, l’attention de l’Union reste focalisée sur les expériences.

Dans les premières années, ceux qui écrivent la majorité des articles et des réponses au SR sont des membres du Bureau. Plus des trois-quarts des Bulletins sont écrits par eux. Ces professeurs, à l’image de Jules Lemoine, secrétaire chargé de la physique, ou Jules Delvalez, secrétaire général, sont des expérimentateurs qui aiment passer du temps dans leur laboratoire. Ils croient en une identité des enseignants de physique qui passe par le concret. C’est souvent une manière de sortir de l’ombre des mathématiques qui restent la discipline reine parmi les sciences, d’avoir leur propre identité. Aussi se démènent-ils pour faire de l’introduction des exercices pratiques dans l’enseignement secondaire une réussite.

L’Union des Physiciens, dont les effectifs grandissent vite doit ainsi autant son succès [6] au sentiment identitaire qu’elle fait naître chez ses membres, basé sur l’enseignement expérimental, qu’à la richesse des informations que les professeurs, démunis devant la tache à accomplir, vont trouver dans le Bulletin.

Si la guerre n’empêche pas le Bulletin d’être publié, ce sont surtout les universitaires, présents depuis 1907, qui vont remplir ses pages. Néanmoins ce phénomène accentue le repli sur soi de l’association. Après la guerre, il semble détaché de l’Instruction Publique. Ainsi, en 1925, alors que les professeurs de mathématiques montent au créneau face à la nouvelle réforme dite d’égalité scientifique, l’Union des Physiciens reste passive. Le président d’alors, Jules Delvalez, ira même jusqu’à juger que l’égalité scientifique est une bonne chose pour l’enseignement des sciences. L’écart avec les autres disciplines modernes grandit et ce n’est qu’à partir de 1931, lors d’une réforme qui touche durement la physique en la supprimant des épreuves écrites du baccalauréat, que l’Union des Physiciens va commencer à militer en s’alliant notamment aux professeurs de mathématiques pour la défense de l’enseignement scientifique.

D’un enseignement marginal à un enseignement de culture

La particularité de la réforme de 1902 qui en fait un évènement majeur pour l’enseignement secondaire, réside dans le fait qu’elle transforme l’enseignement scientifique du 19ème siècle relégué en arrière plan de la formation à dominante classique en un enseignement de culture, reconnu comme formateur de l’esprit. Louis Liard [7] écrit ainsi en 1904 :

Les nouveaux plans d’études ont investi définitivement les sciences de leur fonction dans l’enseignement secondaire. Dorénavant, elles y seront des instruments de culture.

Pour l’U.D.P., cet enseignement de culture se construit par la pratique expérimentale, conforme à l’enseignement moderne de la science dans l’esprit positiviste de la fin du 19ème siècle. Les sciences naturelles bénéficient également du contexte de la réforme de 1902 comme l’atteste Émile Brucker [8] en 1911 :

La méthode positive est la méthode d’établir, au moyen des faits dûment vérifiés, des lois générales.

Dans ce contexte, l’enseignement des mathématiques issu de la réforme de 1902 relève de la même démarche : acquérir des pratiques intuitives et concrètes dans les premières années du second degré pour accéder ensuite, dans le second cycle, à un niveau de formalisme construit sur un édifice de déductions et de démonstrations. Cette question des exercices pratiques, soulevée dès 1904 par Émile Borel dans sa conférence au musée pédagogique, est posée dès sa deuxième année d’existence par l’A.P.M.E.S.P. qui reprend la proposition que formulait Émile Borel :

On nous recommande de faire des exercices pratiques de mathématiques, nous devons demander que ces exercices figurent dans nos programmes et que leur direction nous soit confiée. L’Assemblée générale émet le vœu que dans les classes du premier et du second cycle le dessin d’architecture et le dessin de machines soient supprimés et que le dessin de géométrie soit considéré comme un auxiliaire de l’enseignement de la géométrie.

Exercices pratiques, méthode concrète sont donc pour les professeurs de mathématiques constitutifs d’un enseignement qui doit être présent dans tous les cycles de l’enseignement secondaire y compris pour les élèves des classes non scientifiques A et B « qui ont peu de goût et peu d’aptitude pour les mathématiques ».

Le Bulletin de l’Association n’est toutefois pas un lieu d’échange sur ce thème. Il ne contient pas de texte relatif au contenu mathématique enseigné dans les classes, mais reste, pendant les premières années, une publication davantage militante, de comptes rendus des assemblées générales, des comités ou des actions de l’Association. Il faut attendre le Bulletin n°19 de mars 1921 pour que le premier texte mathématique concernant « le cercle, limite de polygones circonscrits » soit publié [9].

Conclusion

Les problématiques engendrées par la réforme de 1902 se retrouvent vraisemblablement dans la plupart des préoccupations des associations de spécialistes qui se créent entre 1905 et 1914. Les associations scientifiques ont tout intérêt à faire perdurer une structure de cycles qui leur permet d’exister pleinement en tant que disciplines reconnues, grâce à cette réforme, comme instruments incontournables de culture.

L’U.D.P., moins militante face aux remises en cause de la réforme, est davantage orientée vers un échange des pratiques nouvelles que les nouveaux programmes ont fait naître dans les classes des lycées. Le souci de mutualisation remplace une formation continue qui n’existe pas à cette époque pour les professeurs en exercice.

L’A.P.M.E.S.P., davantage orientée vers une action militante, cherche à pérenniser un enseignement des mathématiques que la réforme de 1902 a révélé indispensable pour la formation de toutes les catégories d’élèves. Des moyens somme toute différents pour que chacune se construise une identité propre.

Bibliographie

  • LACPATIA (C), Le milieu des professeurs de physique et l’Union des Physiciens. (1900-1914). Naissance d’une identité professionnelle, Mémoire de Master2 sous la direction de Renaud d’Enfert.
  • BUGUET (A.), Entendons-nous, Journal de Physique Élémentaire, mars 1906, XXI.
  • MERMET, L’Union des physiciens. Son origine – Son programme, BUP, mars 1907.
  • BRUCKER (E), La méthode positive dans l’enseignement secondaire et primaire, Alkan Félix, 1913.
  • LIARD (L), Les sciences dans l’enseignement secondaire, La revue de Paris, 1904.

 

Notes

[1Cédric Lacpatia rédige une thèse sur l’U.D.P. cedric.lacpatia@gmail.com

[2L’APMESP, Association des Professeur de Mathématiques de l’Enseignement Secondaire Public, devient APMEP en 1945.

[3Buguet (A.), « Entendons-nous », Journal de Physique Élémentaire, mars 1906, XXI, p. 33-35.

[4Bulletin Administratif, 62, 1897.

[5Mermet, « L’Union des physiciens. Son origine – Son programme », BUP, mars 1907, 1, p. 4-13.

[6On passe de 150 adhérents en 1907 à plus de 600 en 1914.

[7Louis Liard est Vice-recteur de l’Académie de Paris depuis 1902.

[8Émile Brucker est naturaliste.

[9L’auteur en est Charles Bioche et le texte est très court. Les textes qui sont publiés par la suite signés par de nombreux auteurs, sont davantage développés

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